Histoire

[CEH] Les stratégies matrimoniales. Partie 2 : Les stratégies familiales

Mariage Charles de Bourbon-Siciles et Mercedes

Les stratégies matrimoniales

Par le Pr. Philippe Lavaux

► Consulter la première partie du dossier – Introduction / Partie 1 : Les stratégies étatiques

Partie 2 : Les stratégies familiales

Elles ont en commun avec les précédentes de procéder d’une logique essentiellement dynastique.

Mais il ne s’agit plus ici de se maintenir ou se réinsérer dans le champ de dynasties régnantes et dans un objectif politique. Il s’agit dès lors principalement de resserrer des liens familiaux qui conditionnent les structures dynastiques en soi, avec comme corollaire assez fréquent, la conservation de biens ou patrimoines familiaux restés parfois considérables, malgré l’éloignement plus ou moins ancien du pouvoir royal.

Les frontières avec la catégorie précédente peuvent être, comme on l’a déjà dit, assez poreuses, dans la mesure où c’est, dans les deux situations, une logique dynastique qui prévaut.

Reprenons donc l’inventaire des branches et des lignes pour l’appliquer à cette deuxième catégorie.

A – La branche aînée

Pour les Bourbons d’Espagne de la première ligne, j’ai mentionné déjà le cas du mariage de la sœur aînée d’Alphonse XIII, la princesse des Asturies, héritière présomptive, avec son parent Don Carlos de Bourbon des Deux-Siciles.

Il s’agissait certes d’un de ces mariages endogamiques assez caractéristiques de la dynastie bourbonienne depuis le XVIIe siècle mais aussi, et d’abord, d’un mariage d’inclination (on peut mentionner, dans le même genre, celui d’Alphonse XII et de sa cousine Montpensier).

Mais cette union familiale soulevait des difficultés politiques. On se trouve ici en quelque sorte dans le cas inverse du cadre classique d’une stratégie étatique, en ce qui concerne la partie espagnole. Une partie de l’opinion publique espagnole, la tendance libérale, reprochait au prince, ou du moins au père de celui-ci, ses liens avec le carlisme.

En conséquence, la régente Marie-Christine a quelque peu tenté de faire renoncer sa fille à son projet. Mais devant sa détermination, elle ne voulut pas l’y contraindre et le mariage eut lieu.

Pour la partie Bourbon-Siciles, il y avait cependant un enjeu proprement étatique. Il s’agissait de savoir si les enfants issus de ce mariage seraient susceptibles de devenir successibles en Espagne ou si, du fait de leur statu de dynastes en Sicile, ils en seraient exclus. À la mort, très précoce, de la princesse des Asturies, le gouvernement a fait trancher la question par les Cortès.

Il fut résolu que le fils issu de cette union devenait l’héritier présomptif, avant la deuxième sœur d’Alphonse XIII (non encore mariée) mais sans porter le titre de prince des Asturies (notons que cette deuxième sœur devait ensuite renchaîner l’alliance Bourbon-Bavière). C’est ce qui vaut à l’actuel duc de Calabre d’avoir encore la qualité d’Infant d’Espagne, même si ceci dut être reconfirmé par Juan Carlos, sous le régime actuel.

Une stratégie familiale du même type se retrouve — mais cette fois sans contestation, elle intervient en exil — avec le mariage du comte de Barcelone et de sa cousine Mercedes des Deux-Siciles, en 1935, ce pourquoi Juan Carlos est appelé « de Borbon y Borbon », statut dynastique irréprochable.

On trouverait certes bien d’autres exemples à ajouter dans les lignes suivantes de la première branche, issue de Philippe V. Mais c’est dans la branche d’Orléans que ce type de stratégies familiales revêt les aspects les plus intéressants.

Bien sûr, je le répète, les frontières entre stratégies étatiques et familiales sont poreuses. Mais le critère de discrimination est assez simple, vous l’avez compris : les premières se distinguent par la rémanence d’un aspect politique — il s’agit de s’allier avec des dynasties encore régnantes — les secondes comportent des aspects strictement dynastiques (mariages égaux en naissance) et éventuellement patrimoniaux. Et dans ce contexte, ce sont effectivement les Orléans qui illustrent le mieux cette configuration.

B – La branche cadette

On constate en effet dans la descendance de Louis-Philippe un phénomène d’endogamie qui s’apparente fortement à celui des descendants de Philippe V et qui vient d’ailleurs s’y intégrer à partir du mariage de son fils Montpensier avec l’infante Fernande, sœur d’Isabelle II. Ils sont les parents de la première comtesse de Paris, mère de princesses déjà nommées, dont Isabelle, qui réenchaîne les alliances en épousant son cousin le duc de Guise. Eux-mêmes sont les parents du deuxième comte de Paris qui épousera à son tour en 1931 une autre Isabelle, sa cousine, de la ligne d’Orléans-Bragance.

« Les noces du « dauphin », écrit Bruno Goyet, se déroulent comme l’apogée et le chant du cygne de la période dynastique de la Maison. En épousant sa cousine, Isabelle d’Orléans-Bragance, il satisfait aux exigences patrimoniales, d’autant que par elle une partie de l’héritage Nemours, jusque-là hors du champ des Guise, leur revient.[1] »

L’endogamie dans la branche d’Orléans, contrairement à celle qui avait affecté la branche aînée, ne répondait en effet à aucune nécessité juridique ni pratique, sauf précisément la conservation de cet important patrimoine familial amassé depuis le XVIIIe siècle et encore accru par Louis-Philippe.

Mais l’exigence dynastique ne peut non plus être négligée. Le deuxième comte de Paris exigera, avec un succès déclinant, l’égalité de naissance pour le mariage de ses nombreux enfants, mais en dehors cette fois des familles encore régnante : mariages Wurtemberg pour le comte de Clermont et la princesse Diane, mariage Aoste pour Claude, mariage Deux-Siciles pour Anne. À la génération suivante, il ne restera pratiquement rien de cette tradition pour ce qui concerne la descendance masculine.

À suivre…

Philippe Lavaux
Professeur à l’Université Paris II


[1] Bruno Goyet, Henri d’Orléans, comte de Paris. Le prince impossible, Paris, Odile Jacob, 2001.


Publication originale : Philippe Lavaux, « Les stratégies matrimoniales », dans Collectif, Actes de la XXe session du Centre d’Études Historiques (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle, CEH, Neuves-Maisons, 2014, p. 159-170.

Consulter les autres articles de l’ouvrage :

Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou (p. 5-6).

Avant-propos, par Jean-Christian Pinot (p. 7-8).

« Naples et Rome, obstacles à l’unité politique de l’Italie », par Yves-Marie Bercé (p. 13-26).

« Le roi Juan Carlos et les Bourbons d’Espagne », par Jordi Cana (p. 27-35).

« Deux décennies de commémorations capétiennes : 1987, 1989, 1993, 2004, etc. », par Jacques Charles-Gaffiot (p. 37-49).

« L’abrogation de la loi d’exil dans les débats parlementaires en 1950 », par Laurent Chéron (p. 51-67)

► « De Gaulle et les Capétiens », par Paul-Marie Coûteaux (p. 69-97) :

« De Chateaubriand à Cattaui : Bourbons oubliés, Bourbons retrouvés », par Daniel de Montplaisir (p. 99-108).

►  « Les relations Église-État en Espagne de 1814 à nos jours », par Guillaume de Thieulloy (p. 109-124) :

► « Autour du livre Zita, portrait intime d’une impératrice », par l’abbé Cyrille Debris (p. 125-136) :

► « La mission Sixte : la tentative de paix de l’Empereur Charles Ier », par le Pr. Tamara Griesser-Pecar (p. 137-157) :

► « Les stratégies matrimoniales », par le Pr. Philippe Lavaux (p. 159-170) :

Consulter les articles de la session précédente :

Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV

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