Histoire

[CEH] De Gaulle et les Capétiens : le sang ne ment pas

► Consulter la première partie du dossier – Annexe 1 : De Gaulle et les Capétiens

► Consulter la deuxième partie du dossier – Annexe 2 : De Gaulle, héritier des « Leçons Millénaires de la Maison de France »

De Gaulle et les Capétiens : le sang ne ment pas

Par Paul-Marie Coûteaux

Olivier Guichard relève que « les de Gaulle cultivaient la mémoire de leur lignée et que le jeune Charles a souvent dû entendre l’histoire familiale et l’histoire nationale se marier dans les évocations de son père ». Lointain mariage, en vérité, dont les échos n’ont pas fini de retentir dans la pensée et les songes du jeune homme. L’aristocratie est ancienne : on repère, à la fin du XIIe siècle, un sieur Richard de Gaulle, assez vaillant pour que le Philippe II, dit Auguste, lui attribue en 1310un fief près d’Elbeuf — quatre ans avant Bouvines, bataille, elle aussi fondatrice, à laquelle il est fort probable que l’ancêtre du Général ait pris sa part. On trouve ensuite, pendant la guerre de Cent ans, un certain chevalier Jehan de Gaulle, que le roi Charles VI plaça à la tête de cinq cents arbalétriers pour reprendre Charenton au parti anglais, et qui fut nommé « gouverneur d’Orléans ». Geodeffroy, chroniqueur du malheureux règne de Charles VI, relève que, en 1413, le même Jehan de Gaulle se vit confier la garde de la porte de Saint Denis menacée par le duc de Bourgogne, et qu’il s’illustra deux ans plus tard à la bataille d’Azincourt, dispersant, écrit l’auteur du Règne de Charles VI, plusieurs lignes d’arbalétriers anglais. Peut-être l’intrépide Jehan de Gaulle produisit-il quelque effet sur l’imaginaire du petit Charles lorsqu’il apprit que, poursuivant la lutte contre l’armée anglaise victorieuse, il organisa jusqu’en 1418 la résistance dans les alentours de Vire, y marquant assez les esprits pour que, selon le même Geodeffroy, les maquisards de la région monumentale et minutieuse, sur ce point du moins, Paul-Marie de la Gorce écrit même que Jehan refusa éloquemment de passer au service du roi d’Angleterre et partit vivre dans l’Est de la France. Ce lointain de Gaulle aura-t-il entendu parler de la résistance nouvelle qu’y leva quelques années plus tard une certaine Jeanne, de Domrémy ?

En 1946, quand le nom de de Gaulle fut connu de tous les Français, un professeur de Saint-Lô, généalogiste à ses heures, M. Patry, envoya au Général une longue lettre où il retraçait la lignée de Gaulle, confirmant ou complétant l’étude qu’en avait esquissée au XIXe un autre ancêtre, d’ailleurs lui aussi historien, Jean-Philippe de Gaulle. Sous Louis XI apparait en Bourgogne un certain Girard de Gaulle, puis au siècle suivant un Nicolas de Gaulle, qui sera conseiller au Parlement de Dijon. LE petit fils de ce dernier, Jean-Baptiste de Gaulle s’éleva à la fonction de Procureur au Parlement de Paris et greffier à la Grande chancellerie du Palais avant de mourir pendant la Révolution. Son fils Jean-Baptiste, bien qu’il eût jugé prudent de camoufler ses quartiers de noblesse et de se nommer Degaulle, n’en fut pas moins emprisonné sous la Terreur au « collège des Écossais », où il racontera avoir croisé Saint Just. Il ne fut libéré qu’après le 9 Thermidor, au prix de tous ses biens. Ruiné, sa vie menacée pour cause de sang non conforme, il s’exila, entra quelques années plus tard dans les service des Postes de la Grande Armée et, rentré en France après la chute de l’Empire, mourut à Paris du choléra.

Son fils, Julien-Philippe (grand-père de Charles) fut historien ; élève de l’École des Chartes, il écrivit une monumentale « Histoire de Paris et ses environs », préfacée par Charles Nodier, historien et poète alors en vogue, puis se vit chargé par la Société d’Histoire de France d’annoter et de publier l’Histoire du roi Saint Louis. Pas davantage que ses pères et grand-pères, il ne portait pas la République dans son cœur, affirmant régulièrement « son horreur de la Révolution, non seulement ses excès mais aussi ses principes, son origine et ses résultats », cela aux dires de son fils, cet Henri e Gaulle né en 1848, dont le prénom sonne d’ailleurs comme un hommage au prétendant légitime, Henri, comte de Chambord, qui, on le sait, fut roi quelques heures en 1830, faillit remonter sur le trône en 1873, appelé par chacune des Chambres, et dont la doctrine élaborée en exil, prônant la participation des ouvriers, aura une influence directe sur la pensée et la politique sociale du futur président de la Ve République. Notons que la femme de ce Jean-Philippe fut elle aussi historienne : personnage haut en couleurs, cette Joséphine-Marie Maillot, fille d’industriels du textile (spécialisés dans les vêtements religieux), écrivit de nombreux ouvrages, une « Vie de Chateaubriand », un « O’Connel, Libérateur de l’Irlande », quelques romans. Charles, qui connut cette grand-mère et semble l’avoir appréciée, parlait d’elle comme d’un exemple d’indépendance d’esprit. Bien qu’elle fut sans doute plus célèbre et plus lue que son mari, elle ne l’était pas assez pour éviter les créanciers, dont les poursuites (les grands-parents du général furent souvent contraints de déménager) exacerbaient sa détestation de la bourgeoisie d’affaires, ce qui explique que cette monarchiste elle aussi déclarée ait eu la tripe sociale — au point de publier un éloge de Proudhon (regrettant simplement qu’il ne se soit pas converti), et d’entretenir des relations amicales avec Jules Vallès, qui l’appelait « la comtesse de Gaulle » (se faisait-elle passer pour telle ? ». Monarchiste de gauche ? Elle pensait que la misère du peuple venait du siècle des Lumières, et de l’irréligion de la bourgeoisie, écrivant par exemple ! « Allez donc jeunes gens qu’un siècle malade a élevés dans l’ignorance du beau et du vrai, allez désaltérer vos intelligences, desséchées par un froid scepticisme, aux sources vivifiantes de la religion du Christ ! »

Le dernier des trois fils de ce couple peu banal, Henri de Gaulle, est lui aussi original ; on croit lire à travers sa vie une partie de celle du futur général, et transparaître son caractère. Ce père très aimé, aussi bien de ses cinq enfants, qu’il élève avec une autorité exigeante et débonnaire, souvent teintée d’humour, qu’il l’est de ses élèves, qui l’appellent alternativement le PDG (le Père de Gaulle) ou le Vicomte. Le personnage vaut le beau portrait qu’en brosse Christine Clerc, en « gentilhomme du XVIIe siècle », désintéressé et romanesque[1]. Aristocrate jusqu’au bout des ongles, Henri de Gaulle est indépendant dans l’âme, se signalant tôt par un coup d’éclat : admis haut la main à l’oral de Polytechnique, il renonce à poursuivre pour pouvoir subvenir aux besoins de son frère paralytique, s’engagea dans l’armée qui dispersa les derniers communards, il se fit ensuite précepteur des enfants du marquis de Talhoët-Roy, député légitimiste de la Sarthe, puis entra dans l’administration, commença une brillante carrière, mais démissionna en 1884 pour protester contre la politique anticléricale de la République. Entré dans l’enseignement catholique, il enseigna principalement l’Histoire — à laquelle, doté d’une mémoire prodigieuse, il se consacra corps et âme, donnant des cours gratuits à son domicile, le matin avant la classe, ou le soir, quelquefois tard, ce qu’il faisait encore en 1930, à l’âge de 82 ans… Catholique fervent (tous les matins à 7h, il sert la messe de Saint Thomas d’A.), il ne se préoccupa jamais d’argent, sujet que l’on n’évoquait jamais en famille et dont il avait horreur, ne plaçant finalement que de maigres économies dans les emprunts russes : à qui lui fit un jour observer qu’il en avait tout perdu après la Révolution bolchévique, il répondit qu’il avait au contraire contribué à soutenir le Tsar Nicolas II, dont la ténacité sur le front de l’Est avait permis la victoire de la Marne…

Déjouons en passant deux mensonges : un dignitaire gaulliste, désireux, comme tant d’autres de faire pencher son général du côté où il penchait beaucoup lui-même, m’expliqua un jour que le déboire financier des « emprunts russes » expliquait l’opiniâtre volonté par laquelle le jeune Capitaine de Gaulle obtint, en 1919, une affectation dans le détachement français dépêché au secours de la Pologne par les Bolcheviks. Or, non seulement de Gaulle évoque sans ménagements, dans les lettres envoyées à ses parents, ceux qu’il appelle les « Bolchevistes russes » mais il développe une motivation bien plus romanesque et idéologique : exemple parmi d’autres, il exprime, dans une lettre du 11 février 1919, son espoir d’« appuyer une ligue d’États Conservateurs limitrophes des Russes (Finlande, Lituanie, Pologne, Ukraine, Roumanie, Sibérie (Sic !) contre les foyers d’émeutes et de désordres de Moscou et Petersburg… »[2]. De même, on a beaucoup répété (Paul-Marie de la Gorce, Max Gallo par exemples), qu’Henri de Gaulle épousa la cause du capitaine Dreyfus ; la biographie d’Eric Roussel mets ce point en doute en s’appuyant sur des historiens de l’Affaire ; si le scepticisme irait assez bien au tempérament du « Vicomte », on ne voit chez lui nulle trace d’engagement — pas davantage son fil, bien entendu, anachronisme qui pourtant se trouva un jour dans la bouche d’un ancien ministre lui aussi attaché à blanchir, ou plutôt « rosir » l’image du grand homme — dont il connaissait apparemment mal la biographie, chose courante parmi les Compagnons, Charles était évidemment trop jeune pour s’intéresser au sort du malheureux Capitaine, l’affaire étant close par la réhabilitation tandis qu’il avait quinze ans — le fait que sa prophétique novelle « Campagne d’Allemagne » ait illustré un certain général de Boisdeffre, nom des plus hargneux pourfendeurs de Dreyfus montre que l’atmosphère familiale n’était pas autrement dreyfusarde… Ces déformations, fabrications et reconstructions rétrospectives sont à mettre au compte très fourni du reformatage du Général aux normes du jour — ce ne sont pas là les exemples les plus graves…

En 1969, le Général dit à Emmanuel d’Harcourt, ambassadeur en Irlande : « Mon père était monarchiste, mais il avait aussi de l’attachement pour le prince Impérial ». En fait, Henri de Gaulle fut l’un des premiers abonnés à l’Action Française ; vingt ans plus tard, il vécut comme un drame, aux dires de sa fille Marie-Agnès, la condamnation de ce journal — en fait, de son directeur Charles Maurras — par Rome, les lecteurs étant menacés d’excommunication. La question ayant fait l’objet, selon Éric Roussel, d’une discussion en famille, il renoncera à son abonnement ; mais jusqu’à la fin de sa vie, il maintiendra que « comme la Réforme, la Révolution a été satanique dans son essence, selon le mot Joseph de Maistre. L’aimer, c’est s’éloigner de Dieu »… Il n’y a pas grand doute que ce soit au dernier de nos rois régnants, Charles X, bien autant qu’) la providence invoquée par Pierre Nora, que le futur Général de toutes les Gaules doit de s’appeler Charles. Jeanne, sa mère, n’a pas dû objecter au choix de ce royal prénom, elle qui pleurait en évoquant le jour où le petit-fils du dit roi, le comte de Chambord, avait renoncé au trône et qui, elle aussi lectrice passionnée de l’Action Française était restée si militante que, en 1936, à l’évènement du Front populaire, elle écrira à son fils que Léon Blum était un « suppôt de Satan »[3]

Paul-Marie Coûteaux


[1] On recommandera l’ouvrage de Christine Clerc : « Les de Gaulle, une famille française », éd. Nil, 2000, qui analyse en détail l’atmosphère dans laquelle grandit le futur Homme d’État.

[2] Lettres, Notes et Carnets, Tome 2, 1919-1940.

[3] Ces éléments figurent parmi d’autres dans la volumineuse biographie qu’Éric Roussel a publié en 2002 (Gallimard), remarquable par son souci de ne pas se cacher, contrairement à la plupart des autres biographies autorisées, les aspérités qui pourraient nuire au de Gaulle conforme aux présupposés du jour.

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