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[CEH] Les funérailles d’Henri IV à Saint-Denis, par Odile Bordaz. Partie 2 : Le cortège funèbre du Louvre à Notre-Dame de Paris

Les funérailles d’Henri IV à Saint-Denis

Par Odile Bordaz

Partie 1 : Le cérémonial de la quarantaine

Partie 2 : Le cortège funèbre du Louvre à Notre-Dame de Paris

Les obsèques des rois étaient célébrées avec la même pompe à Notre-Dame de Paris et à l’abbatiale de Saint-Denis. Le 28 juin, les cérémonies furent annoncées à tout le peuple de Paris par les vingt-quatre crieurs jurés qui parcoururent la ville avec leurs clochettes sonnantes en prononçant ces paroles :

« Nobles et devotes personnes, priez Dieu pour l’âme de très haut, très puissant et très excellent Prince Henry le Grand, par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre, très Chrestien, très auguste, très victorieux, incomparable en magnanimité et clemence, lequel est trespassé en son palais du Louvre ; Priez Dieu qu’il ait son âme. Mardy à deux heures après midy sera levé le corps de Sa Majesté, pour estre porté en l’Eglise de Paris, auquel lieu et mesme jour se diront les Vespres et Vigiles des morts, et le lendemain ses services et prières accoutumees, pour à la fin d’icelles estre porté en l’Eglise Sainct Denys, sepulture des Rois de France, et y estre inhumé. Priez Dieu qu’il en ait l’âme. »1

Le mardi 29 juin, les rues qui allaient du Louvre à Notre-Dame et de Notre-Dame jusqu’aux portes de Paris en direction de Saint-Denis, et qui devait emprunter le convoi funèbre, furent toutes tapissées de noir et des torches allumées devant les maisons.

Pour accompagner le cercueil royal, un long cortège réunissant les corps constitués du royaume, les autorités de la ville, les princes et les seigneurs, partit du Louvre pour se rendre à Notre-Dame.

Les funérailles d’Henri IV furent marquées par un incident qui retarda le départ du convoi. Au moment où le cortège s’apprêtait à quitter la grande cour du Louvre, une querelle éclata entre le Parlement et les évêques de Paris et d’Angers pour savoir qui aurait le privilège de marcher le plus près de l’effigie. Il fallut consulter les textes, les comptes-rendus des funérailles d’Henri II et de Charles IX, les registres du Parlement, avant d’en référer finalement à la reine régente qui trancha en faveur des évêques, décision confirmée par un arrêt du Conseil du roi.

« Les Évêques de Paris et d’Angers, s’appuyant sur l’ordre qu’ils attendaient, aussi fiers que s’ils eussent remporté une victoire sur les ennemis, se placèrent à toute force aux pieds de l’image, disant hautement qu’ils avaient sur eux l’arrêt du Conseil du Roi. Le Parlement, qui sçavait le contraire, fut indigné de voir qu’on ôsât se servir du nom du Roi même, pour donner atteinte à la Majesté du Roi. »2

Le mardi 29 juin, sur les deux heures de l’après-midi, le convoi se mit en marche pour Notre-Dame, passant par le Pont-Neuf, puis le long du couvent des Grands augustins, le pont Saint-Michel et le marché neuf. Voici quel était l’ordre du cortège.

En tête se trouvaient les capitaines lieutenants, enseignes et sergents de la maison de ville avec leurs robes et capuchons noirs, l’épée au côté ; ils étaient suivis par 172 archers, arbalétriers et arquebusiers vêtus de casaques brodées sur leurs habits noirs, portant leurs hallebardes et leurs arquebuses penchées contre terre ; ils formaient trois bataillons marchant deux à deux.

Précédés par leurs croix, escortés et suivis de torches décorées aux armes du roi, venaient les gens d’Eglise, religieux de différents ordres, ordres mendiants en tête : 60 récollets ; 45 religieux du tiers ordre de Saint-François, dit de Saint-Louis, 33 pauvres de Montegu, 836 capucins, 68 minimes, 224 cordeliers, 190 jacobins, 100 augustins, 50 carmes, 35 feuillants. À leur suite marchaient deux à deux les 500 pauvres, vêtus de grandes robes de drap noir, avec les capuchons, souliers et bas-de-chausses, portant chacun une torche allumée, où l’on voyait les armoiries du roi ; parmi eux, on reconnaissait aux croix blanches qu’ils portaient au bras gauche, les estropiés de guerres, entretenus aux frais du roi, d’où leur nom de « pauvres de la Charité ».

Derrière eux marchaient les 24 crieurs jurés, portant les armoiries du roi sur leur poitrine et leur dos, et sonnant leurs clochettes.

Le chevalier du guet et son lieutenant, en habit de grand deuil, un bâton à la main, étaient suivis par les hommes de leur compagnie vêtus de casaques de couleur recouvertes au niveau des épaules d’une cornette de drap noir. Le drapeau de la compagnie, incliné vers le sol, était couvert de crêpe noir, de même que les tambours.

Venaient ensuite les 30 sergents du Châtelet, les sergents de l’hôtel de ville, les notaires, commissaires de quartiers, procureurs, avocats du Châtelet, commis, greffiers, bourgeois de la ville, tous vêtus de grandes robes noires et d’un bonnet carré, suivis par les lieutenants civils et criminels du Châtelet.

Dans la suite du cortège marchaient le clergé des paroisses de Paris et les chantres de la chapelle du roi. Les messagers jurés, les maîtres des postes, avec leur contrôleur général, M. de La Varenne, les pages de l’écurie, habillés de noir, les musiciens, joueurs de hauts bois, flûtes, clairons et trompettes, leurs instruments couverts de noir, précédaient les officiers des Gardes et régiments du roi, les officiers des Archers, des Cent Suisses, les deux compagnies de Gentilshommes d’honneur, la compagnie de M. Le Vidame du Mans. 160 officiers et commis de la Maison du roi étaient suivis par les médecins, chirurgiens, responsables de la Chambre du roi, huissiers, gentilhommes servants, à la suite desquels venaient les généraux des monnaies, Cour des aides et Chambre des comptes.

Huit trompettes, aux instruments couverts d’un crêpe noir, précédaient M. de Rhodes, chevalier de l’ordre et maître des cérémonies, portant le grand guidon du roi, de velours violet à fleurs de lys, couvert d’un crêpe de deuil.

Le chariot d’armes rappelait les chars de triomphe de la Renaissance, eux-mêmes inspirés de l’Antiquité. Voici la description qu’en donne le chroniqueur du Mercure français :

« Le chariot d’armes du Roy, dedans lequel estoit son corps et cercueil, couvert d’un grand drap de veloux noir croisé au milieu de satin blanc, et autour ving-quatre armoiries de France et de Navarre broderie d’or. Six chevaux le tiroient, couverts de veloux noir croisé de satin blanc, et estoient conduis par deux cochers vestus de veloux noir. »3

MM. de Vitry, de Pralin et de Montespan, capitaines des gardes, suivaient le chariot. Des valets de pied menaient par la bride douze grands coursiers couverts de velours noirs à croix de satin blanc, montés par des pages. Ils précédaient le défilé des écuyers vêtus de grandes robes et chaperons de deuil, qui portaient les « pièces d’honneur » du roi : éperons et gantelets dorés, écusson de France et de Navarre, cotte d’armes, heaume surmonté de la couronne royale, mantelet de velours violet semé de fleurs de lys d’or et paré d’hermines, le tout couvert de crêpe noir.

À leur suite marchaient deux à deux les prédicateurs, confesseurs et aumôniers du roi, suivis par dix-sept évêques portant des chapes de velours noir et des mitres blanches.

Trois ambassadeurs, ceux de Savoie, de Venise et d’Espagne, défilaient à cheval, escortés par trois archevêques montés sur des mules. Ils étaient suivis par les deux nonces du pape, l’ordinaire et l’extraordinaire, eux aussi à dos de mules et accompagnés par deux archevêques. Les cardinaux de Joyeuse et de Surdy en chapes violettes et chapeaux rouges, montés sur des mules, étaient escortés par leurs officiers à pied.

Deux écuyers conduisaient par les rênes le grand cheval d’honneur, couvert d’une housse de velours violet azuré, semé de fleur de lys d’or et brodée de franges d’or qui descendaient jusqu’au sol, avec la selle et les étriers dorés ; dix hérauts d’armes en tenue de deuil l’entouraient. Le grand collier de l’Ordre était porté par M. Le Grand, qui chevauchait un coursier couvert de velours noir.

Les « Messieurs du Parlement » en robe écarlate marchaient auprès de l’effigie du roi, privilège traditionnel qui venait d’être revendiqué par l’évêque de Paris, à titre d’officiant, et par celui d’Angers, en tant que représentant du Grand aumônier de France. Ils avaient obtenu satisfaction qui remontait aux funérailles de Charles V, quatre présidents de ce même Parlement tenaient les quatre coins du drap d’or de l’effigie. Celle-ci, qui continuait à recevoir les mêmes honneurs qu’au Louvre, était portée par huit « hanouars », porteurs de seul des halles de Paris, à qui revenait jadis le privilège de porter sur leurs épaules le cercueil du roi, quand on ne le mettait pas encore dans un chariot tiré par des chevaux. Il leur revenait désormais l’honneur de porter l’effigie, depuis qu’elle n’était plus posée sur le cercueil ; c’est lors des funérailles de François Ier que s’était produit ce changement. Les échevins de la ville de Paris tenaient le dais en drap d’or croisé de velours cramoisi, azuré, semé de fleurs de lys en broderie et frangé d’or, qui protégeait l’effigie.

Montés sur de grands coursiers couverts de housses de velours noir à croix de satin blanc, et eux-mêmes en grand deuil, chevauchaient, à la droite de l’effigie, le comte de Saint-Paul, représentant le comte de Soissons, grand maître de France, et à sa gauche, le chevalier de Guise, représentant le grand chambellan de France, qui portait la bannière de France.

Derrière eux venaient le prince de Conti, le comte de Soissons, le duc de Guise, M. de Joinville, le duc d’Elbeuf, chacun en habit de deuil à longue queue portée par plusieurs gentilshommes.

Le duc d’Epernon, M. de Montbazon, pareillement vêtus, chevauchaient à leur suite, eux-mêmes suivis par les autres princes et ducs à cheval.

La suite du cortège marchait à pied : l’huissier de l’ordre du Saint-Esprit, le chaperon sur la tête, les chevaliers des ordres du roi – ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit – en grand nombre, portant leurs colliers sur leurs tenues de deuil à longue queue portée par leurs pages. Un grand nombre de nobles marchaient deux à deux.

Les douze pages de la Chambre du Roi, entièrement vêtus et coiffés de noir, les fourreaux de leurs épées de même, suivis par les quatre enseignes des gardes du corps, les archers, hallebardiers et arquebusiers, armes pointées vers la terre, fermaient la marche.

Parti à deux heures de l’après-midi du Louvre, le convoi funèbre arriva à dix heures du soir à Notre-Dame. Dans la cathédrale de Paris, le cercueil du roi surmonté de son effigie avait été placé au milieu du chœur, sous une chapelle ardente « de la hauteur de deux piques ». Le chœur, y compris le sol, était entièrement tapissé de velours noir sur lequel se détachaient les armes de France et de Navarre. Le maître-autel était lui aussi richement paré et portait deux gros cierges de cire blanche. La nef elle-même était tapissé de noir sur son pourtour et éclairée par la lumière des cierges ; des cierges, il y en avait partout, jusque que « les corniches des piliers ».

Les princes, cardinaux, évêques, prélats, ambassadeurs, grands seigneurs, parlementaires, échevins et officiers prirent place, chacun selon son rang. La cérémonie pouvait enfin commencer. Les vêpres et vigiles des trépassés furent chantées en musique.

À suivre…

Odile Bordaz
Conservateur aux Archives nationales


1 Claude Morillin, Pompe funebre de Très Chetien, très puissant et très victorieux Prince Henry le Grand, Roy de France et de Navarre, Lyon, 1610, p. 12.

2 Nicolas Rigault, cité par Ralph E. Gisey, op. cit. p. 287.

3 Mercure français, 1611, cité par Joël Cornette, Henri IV à Saint-Denis, Paris, 2010, p. 189.


Publication originale : Odile Bordaz, « Les funérailles d’Henri IV à Saint-Denis », dans Collectif, Actes de la XVIIe session du Centre d’Études Historiques (8 au 11 juillet 2010) : Henri IV, le premier Roi Bourbon, CEH, Neuves-Maisons, 2011, p. 57-74.

Consulter les autres articles de l’ouvrage :

► « Henri IV et Sully : un « couple politique » exemplaire ? », par le Pr. Bernard Barbiche (p. 21-35).

► « Les doctrines du tyrannicide au temps des guerres de religion », par Guillaume Bernard (p. 37-56).

► « Les funérailles d’Henri IV à Saint-Denis », par Odile Bordaz (p. 57-74).

  • Partie 1 : Le cérémonial de la quarantaine
  • Partie 2 : Le cortège funèbre du Louvre à Notre-Dame de Paris
  • Partie 3 : De Notre-Dame à Saint-Denis
  • Partie 4 : Changements intervenus lors des funérailles d’Henri IV

Consulter les articles des sessions précédemment publiées :

Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV

Articles de la XIXe session (12 au 15 juillet 2012) : Royautés de France et d’Espagne

Articles de la XXe session (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle

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