Chretienté/christianophobieHistoire

21 janvier 2023. Prône sur Louis XVI à Saint-Eugène-Sainte-Cécile, par le R. P. Jean-François Thomas

Prône pour la Messe solennelle de Requiem pour le repos de l’âme du Roi Louis XVI

Église Saint-Eugène-Sainte-Cécile, Paris

21 janvier 2023

Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Mes chers Frères,

Roi vaincu, roi déchu, roi humilié, roi exécuté ! Roi victorieux, roi triomphant, roi couronné ! L’abbé Edgeworth, accompagnant le souverain jusqu’à l’échafaud, ne s’y trompa point lorsqu’il murmura à Louis XVI refusant ses mains aux bourreaux voulant le lier : « Sire, dans ce nouvel ouvrage, je ne vois qu’un dernier trait de ressemblance entre Votre Majesté et le Dieu qui va être sa récompense. » Le condamné, levant les yeux vers le Ciel, acquiesça et déclara qu’il était prêt à boire le calice jusqu’à la lie. Ces dernières années n’avaient été qu’une longue et terrible agonie. Le Roi y avait cherché, comme Notre Seigneur au Jardin des oliviers, le soutien humain de quelques amis fidèles, trop rares. Déjà, dans la nuit des grands massacres du 2 au 3 septembre 1792, la clameur de la populace aux environs de la Tour du Temple ressembla étrangement à la rumeur des soldats puis à la vocifération du peuple de Jérusalem, à tel point que Louis XVI demanda à son valet de chambre Cléry de ne point le quitter. Notre temps humain ne crée guère du nouveau. Notre destinée se répète sans cesse. L’auteur inspiré du Livre de la Sagesse rapportait déjà : « Tendons des pièges au juste, / Car sa vie est une critique de la nôtre…/ Éprouvons-le par des outrages et des tourments…/ Condamnons-le à une mort infâme… » (II. 12 à 20) Les méchants et les pervers sont de toutes les époques, mais les justes et les saints également, toujours victimes sacrifiées, mais ce sont eux qui permettent de garder l’espérance, de ne point haïr les hommes, de ne pas maudire le monde. Celui qui monte aujourd’hui vers la guillotine va emporter avec lui toute une tradition, une civilisation, et il les serre dans son cœur, en attendant des jours meilleurs pour ce pays qu’il a servi, qu’il a chéri et auquel il pardonne, lui le Lieutenant, comme l’a fait son Maître au Golgotha. Chateaubriand écrira magnifiquement quelques décennies plus tard, tandis qu’il assurait le jeune duc de Bordeaux, futur Henri V et comte de Chambord, de son attachement et de sa fidélité :

« L’ancienne légitimité n’était autre chose que la volonté nationale personnifiée et maintenue dans une famille. La puissance de cette légitimité était si prodigieuse que lorsque cette légitimité s’est retirée, la base sociale a fui et le monde politique a tremblé. Combien faudra-t-il de siècles pour que la nouvelle volonté nationale française se recompose une nouvelle légitimité ? Si cette volonté varie d’année en année, elle reproduira la barbarie : qu’un peuple soit bouleversé par une idée ou une conquête, le résultat est le même ; la société ne s’établit point en changeant à chaque instant de maîtres, de formes, de principes et de malheurs. » (De la nouvelle proposition relative au bannissement de Charles X et de sa famille)

Lorsque l’esprit de l’homme décida, volontairement et orgueilleusement, de s’opposer à l’esprit du christianisme, — et tel fut le XVIII° siècle, le désir de reconstruire la société par la destruction d’une révolution ne pouvait qu’aboutir à l’anarchie des mœurs et au renversement de l’homme. Car c’est chaque homme qui est tué à travers le Roi. Antoine Blanc de Saint-Bonnet, s’adressant aux démocrates de son temps en 1851, affirme très justement : « La Société civile repose sur la Société spirituelle ; en détruisant la Société spirituelle, on détruit la Société civile. Les nations n’ont pas un autre sol que les âmes. » (La Restauration française) Lorsque l’âme est oubliée, piétinée, un pays périclite. Et si, à Dieu ne plaise, les hommes d’Église en venaient, eux aussi, à oublier que l’âme, chaque âme, est le bien le plus précieux à cultiver et à nourrir, alors tout ne pourrait que s’écrouler dans un vacarme terrifiant, celui dont les échos résonnent de plus en plus à nos oreilles, pourtant habituées aux cacophonies révolutionnaires de toute sorte. Louis XVI n’a jamais désespéré, et pourtant, il aurait eu bien des raisons de sombrer et de douter. Dans ce beau conte que seuls les grands enfants peuvent goûter, Alice au pays des merveilles, Lewis Carroll nous livre cette note de lumière : « Sûrement la joie ne doit pas être moindre/ À la pensée que nous verrons un jour/ Se lever une aube plus claire. » Malesherbes, qui annonça au Roi sa condamnation à mort, rédigea une lettre au futur Louis XVIII qui, bien à l’abri dans l’émigration, l’invitait à le rejoindre. Il y fait table rase de tous les bruits en défaveur du défunt souverain, et il rapporte les mots du Roi, lors de cette dernière et tragique rencontre, lui demandant un ultime service, celui de lui trouver un vrai prêtre, non assermenté, qui puisse le confesser et le préparer à la mort : « C’est le plus grand service que vous puissiez me rendre, car vous aurez beau faire, je crois qu’il y aura un moment où je n’aurai plus besoin que de cela. » Tout s’effaçait ainsi devant le devoir du chrétien, celui de prendre soin de son âme. Louis XVI signait d’une encre identique la conclusion du drame dont il était la victime. Ayant toujours refusé à ses avocats d’accuser ses ennemis lors de son procès inique, il ira jusqu’au pardon exprimé dans son Testament, car un chrétien prêt à mourir ne peut faillir dans cette imitation de son Seigneur. Ce ne fut point une réaction tardive, dictée par l’urgence et les circonstances, mais le couronnement de ce que fut sa politique, au risque de mécontenter même des amis lui faisant reproche de faiblesse. Louis XVI jugea sévèrement pour cette raison son prestigieux aïeul Louis XIV en ce qui regarde la révocation de l’Édit de Nantes. En signant l’Édit de novembre 1787 en faveur des non catholiques, il annonça son désir de proscrire « avec la plus sévère attention, toutes ces voies de violence qui sont aussi contraires aux principes de la raison et de l’humanité, qu’au véritable esprit du christianisme. » Cette haute conscience de son devoir de prince chrétien jalonne toutes les étapes de son règne, forgeant une fausse réputation de faiblesse politique. Sa faiblesse était justement à l’imitation de celle de Notre Seigneur face à ses juges. Jamais il n’aurait consenti à sacrifier d’autres vies pour sauver la sienne, et il ordonna à ses sujets tentés d’utiliser la violence pour le délivrer de n’en rien faire, comme le Sauveur demandant à Pierre de rengainer l’épée.

Dans une monarchie chrétienne, la souveraineté de Dieu est indissolublement liée à celle du roi. Le comte de Chambord sera le digne héritier de Louis XVI lorsqu’il rappelle dans une lettre à Albert de Mun, en 1878 :

« Il faut, pour que la France soit sauvée, que Dieu y rentre en maître pour que j’y puisse régner en roi. »

Le salut de la France ne peut pas faire l’économie de Dieu. Aucun homme, soi-disant providentiel, ne pourra jamais rétablir le pays dans sa gloire et dans sa prospérité, sans s’incliner d’abord devant le règne de Dieu, le règne du Christ, dont il ne sera que le serviteur ainsi investi d’une autorité dont la source est au Ciel. Un roi chrétien sait que sa couronne dépend de la royauté sociale de Jésus-Christ. Louis XVI n’aurait évidemment pas utilisé ce terme apparu au XIX° siècle, mais, de par son éducation, de par son sacre, il avait été pétri par cette conviction qui est vérité. Il savait qu’après sa mort, — et il en souffrit plus encore que de ses propres tourments, son royaume allait sombrer dans l’utopie de l’État sans Dieu, de la civilisation sans Dieu. Il fut prophète en le devinant, justement grâce à l’essence même du pouvoir qui lui avait été confié. Depuis, le mouvement s’est accéléré. Notre pays sans Dieu ayant créé ses propres idoles se retrouve bien impuissant face aux monstres qu’il a lui-même enfantés et qu’il pense exorciser à force de refrains et de rengaines misérables et inefficaces : laïcité, valeurs républicaines, vivre ensemble etc. Être monarchiste, si nous cultivons vraiment une mémoire religieuse de Louis XVI, est nécessairement de travailler au règne du Christ. Le jésuite Henri Ramière, promoteur de ce règne social au XIX° siècle et du culte du Sacré Cœur, écrira d’ailleurs après la mort d’Henri V : « Le roi chrétien est mort avant d’avoir pu monter sur le trône où il était décidé à faire asseoir Jésus-Christ avec lui. » Louis XVI ne put affronter sa mort avec une telle paix intérieure que par sa certitude, ancrée en son esprit dès sa préparation pour diriger le royaume, d’être un prince au service d’un Roi plus grand que lui. Aucun dirigeant républicain ou démocratique ne reconnaîtra jamais la transcendance de Dieu par rapport à son propre pouvoir. Un Roi chrétien n’accepte pas les moyens propres à la révolution, ceci même pour essayer de rétablir l’ordre. Il repousse la révolte, le mensonge, les manipulations, le crime, la force. Un historien souligne très justement que « la Contre-révolution n’est pas une révolution blanche, mais le contraire de la Révolution. » (Philippe Pichot-Bravard) Et ce contraire est le retournement des âmes car la Révolution commit ce qu’aucune civilisation n’avait jamais osé remettre en cause : s’inscrire contre les lois naturelles et rompre tout lien avec le Ciel. Le caractère unique de ce cataclysme nous a conduit aux problèmes contemporains. Tout commence lorsque la tête du fils de saint Louis est brandie devant des spectateurs hystériques ou bien au contraire tremblants en ce matin glacial de janvier. Car il y eut, dans ce peuple de Paris, bien des femmes de Jérusalem pleurant sur le sort du juste persécuté et sur le sang qui risquait de retomber sur la tête de leurs enfants. Louis XVI savait que son sacrifice ne serait pas vain et qu’il roulerait d’âge en âge jusqu’au moment providentiel où pourrait renaître la foi, et donc le trône. S’il nous regarde ce soir, d’une façon ou d’une autre, il constate que nous sommes au seuil d’un accomplissement : nous pouvons nous abîmer dans la noirceur finale. L’heure de la restauration ne sonnera que lorsque les hommes choisiront enfin de retourner au bien de leur âme. Par sa mort acceptée et vécue en chrétien, Louis XVI ouvre cette ère nouvelle où la civilisation peut soit succomber intégralement, soit s’accomplir si elle est capable de se ressaisir en redonnant aux âmes la nourriture spirituelle. Il ne s’agit plus simplement de conduire le monde, mais de le sauver. Notre pays, réchauffé par le christianisme pendant dix-huit siècles, est aujourd’hui en situation critique de refroidissement climatique. Blanc de Saint-Bonnet, profondément catholique et monarchiste, exprime cet avertissement :

« Le Christianisme est arrivé à la maturité de l’homme, à cet âge de raison dont tous les actes sont un bien ou un crime : âge de la suprême sainteté ou de la méchanceté finale ! Le christianisme touche aux confins du règne de la protection : si, dans les âmes, il ne s’élève tout à coup à un empire immense, c’est qu’il va s’arrêter, et le monde avec lui. Le problème est posé comme au jour d’Adam ! C’est la question du monde qui va être tranchée. Il faut, ou sauver l’homme, ou le détruire : il en sait trop, la responsabilité irait sur lui comme la foudre. C’est assez que le Déluge ait une fois interrompu la race humaine. La liberté désormais abordera la fin des temps… »

La mort du Roi est la première note de la première trompette de l’Apocalypse. Celui que le révolutionnaire de la Commune de Paris, le sinistre Hébert, nommait « le cochon ladre », tout en soulignant en ricanant que, dans ce siècle, les saints n’avaient pas grande vertu, courba la tête sous les humiliations et les persécutions pour le salut de ses peuples. Il est dit que le sang de Louis gicla très loin. La France entière en fut éclaboussée. Pour sa perte ? Pour son salut ? La conclusion est entre nos mains. Si quelques âmes continuent de vivre dans la charité et les vertus, alors la trompette cessera de retentir et nous recevrons en héritage la récompense que méritent les fidèles craignant et aimant Dieu.

P. Jean-François Thomas, s. j.

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