Histoire

[CEH] L’Affaire de Parme ou la mise en œuvre du pacte de famille face à la papauté, par Ségolène de Dainville-Barbiche. Partie 1 : Parme

L’Affaire de Parme ou la mise en œuvre du pacte de famille face à la papauté (1768-1774)

 Par Ségolène de Dainville-Barbiche

L’Affaire de Parme peut se comparer à une pièce de théâtre préromantique. Il n’y a pas unité de lieu : la pièce se joue à Parme et à Rome, mais aussi à Paris, à Madrid et accessoirement à Avignon (et à Bénévent et Ponte-Corvo). Il n’y a pas unité de temps : l’affaire se prolonge pendant plusieurs années, de 1768 à 1774. Enfin, il n’y a pas unité d’action : les péripéties s’enchevêtrent.

Pour les historiens, l’affaire de Parme représente un bon exemple de la solidarité entre les dynasties de la Maison de Bourbon établies dans les royaumes de France, d’Espagne, des Deux-Siciles (Naples et la Sicile, royaume appelé le plus souvent dans le langage commun « Royaume de Naples »[1]), enfin dans le duché de Parme. Elle met en œuvre cet axe Paris-Madrid réactivé par un troisième pacte de famille (les deux premiers remontaient à 1733 et 1743), signé en août 1761 par Louis XV et le nouveau roi d’Espagne Charles III. Il s’agissait du renforcement d’une alliance familiale pour se prémunir notamment contre la politique coloniale offensive de la Grande-Bretagne. Mais en l’occurrence, dans l’affaire de Parme l’agresseur était le pape.

Après ce prologue, nous verrons successivement le cadre principal :Parme, les acteurs, le déroulement des différents actes, enfin le dénouement.

Partie 1 : Parme

L’histoire de Parme est assez compliquée : Parme et son territoire avaient été donnés par Charlemagne au pape. S’émancipant une première fois du Saint-Siège, Parme passa aux Visconti de Milan au XIVe siècle. En 1512, Parme fut rétrocédé au pape Jules II. Mais le pape Paul III Farnèse, qui avait eu plusieurs enfants naturels avant d’accéder à la tiare, céda Parme à titre de fief du Saint-Siège à son fils Pierre-Louis Farnèse en 1545. Parme devint alors un enjeu entre le roi de France et la Maison d’Autriche. Le traité du Catau-Cambrésis (1559) reconnut la possession des duchés de Parme et de Plaisance aux Farnèse. Cependant, le pape se considérait toujours comme suzerain de Parme. La descendance mâle des Farnèse s’éteignit à la mort du duc Antoine. Il laissait une nièce, Élisabeth Farnèse. Celle-ci avait épousé Philippe V d’Espagne, veuf de Marie-Louise de Savoie en décembre 1714. Alors que son époux sombrait dans la neurasthénie, l’ambitieuse et énergique Élisabeth Farnèse s’efforçait d’établir ses deux fils Charles (don Carlos) et Philippe, la succession au trône d’Espagne étant dévolue à un fils du premier lit.

Dans un premier temps, Parme et Plaisance passèrent au duc de Lorraine, François, en attendant qu’il puisse l’échanger contre le grand-duché de Toscane à la mort du dernier Médicis (9 juillet 1737). Quant à la Lorraine, elle devait être rétrocédée à la France après le règne de façade de Stanislas Lesczynski, roi détrôné de Pologne et beau-père de Louis XV. Entre-temps, François de Lorraine avait épousé en février 1736 l’héritière des Habsbourg, Marie-Thérèse, à laquelle son père, l’Empereur Charles VI, s’efforçait d’assurer sa succession dans ses États héréditaires, puis de pousser la candidature de son gendre à la couronne impériale. Mais, la mort de Charles VI en octobre 1740 eut pour conséquence une guerre européenne, la guerre de succession d’Autriche, dont la péninsule italienne l’enjeu des convoitises du roi de Piémont-Sardaigne et des Autrichiens qui cherchaient à consolider les possessions en Lombardie. La paix d’Aix-la-Chapelle signée à la fin de 1748, paix de compromis, attribua les duchés de Parme et de Plaisance, auxquels fut adjoint celui de Guastalla provenant des Gonzagues, à l’infant dont Philippe d’Espagne (second fils d’Élisabeth Farnèse), tandis que don Carlos, son frère aîné, se voyait confirmer la possession du royaume de Naples.

Don Philippe s’achemina d’Espagne vers ses nouveaux États en janvier-mars 1749. Il emmenait avec lui son épouse Élisabeth (1727-1759), fille aînée de Louis XV. On peut s’étonner d’ailleurs de cette alliance, somme toute assez médiocre, entre la fille d’un des plus puissants monarques de l’Europe et le dernier fils de Philippe V, mais en 1738, quand il apparut nécessaire de réchauffer les relations entre la France et l’Espagne par une union matrimoniale, c’était le seul parti espagnol qui fût encore disponible. Dans la suite de Don Philippe et d’Élisabeth figurait un homme qui allait jouer un rôle déterminant à Parme : Guillaume-Léon Dutillot[2], né à Bayonne en 1711, fils d’un Français devenu valet de chambre de Philippe V. Après ses études à Paris, Dutillot entra à son tour au service de la cour d’Espagne, d’abord auprès de don Carlos, puis auprès de don Philippe. Élisabeth se toqua de Dutillot et l’employa comme conseiller. Il faut préciser que face à un époux gentil garçon, maris d’une insignifiance proverbiale[3], c’était Élisabeth, une femme énergique comme son homonyme de belle-mère, qui régentait tout. En l’occurrence, Dutillot, homme éclairé sans impiété, avait la confiance de Louis XV. Après deux décennies de guerres et d’incertitudes, la situation administrative et économiques des États de Parme était fort délabrée. C’est à son redressement que s’attachera Dutillot quelques années plus tard, quand il détiendra tous les pouvoirs, ce qui provoquera l’affaire de Parme, comme nous le verrons.

En attendant, Élisabeth et Dutillot firent entrer un souffle de modernité à Parme où se diffusa l’Encyclopédie dont Dutillot fut l’un des souscripteurs. Élisabeth choisit comme précepteur pour son fils Ferdinand (né en 1751) l’abbé de Condillac, un philosophe dont on peut se demander s’il croyait véritablement en Dieu, même s’il n’a jamais fait profession d’athéisme (en tout cas, ses leçons n’empêcheront pas son élève de tomber dans la bigoterie plus tard). L’abbé de Condillac séjourna à Parme de 1757 à 1767. Il a pu y rencontrer un jeune moine bénédictin, Barnaba Chiaramonti, en religion Dom Gregorio, enseignant de philosophie et bibliothécaire du monastère de Saint-Jean-l’Évangéliste de Parme, de 1766 à 1771. À Parme, Dom Gregorio manifesta son ouverture aux idées nouvelles en souscrivant à l’édition italienne de l’Encyclopédie pour son monastère. Pourtant, il est resté dans l’histoire, sous le nom de Pie VII, avec l’étiquette conservatrice de l’homme qui résista à Napoléon et du restaurateur des états romains en 1814.

1759 fut une année charnière pour Parme. En Espagne, à Philippe V mort en 1746, avait succédé son fils du premier lit, Ferdinand VI. Celui-ci, neurasthénique comme son père, mourut sans postérité le 10 août 1759. Don Carlos, roi de Naples, lui succéda sous le nom de Charles III. Autant les relations avaient été distantes, voir mauvaises, entre Louis XV et Ferdinand VI, autant celles de Louis XV avec Charles III furent excellentes. C’est alors qui se réactiva le pacte de famille (1761) et que s’établit un « axe Paris-Madrid » sans arrière-pensée réciproques. Même, Louis XV sacrifia son affection pour sa fille à son alliance avec Charles III en favorisant l’accession d’un fils de Charles III, Ferdinand, qui n’avait que huit ans, au trône de Naples et Sicile en 1759. La duchesse de Parme s’évertua à obtenir ce royaume pour son époux, sans succès. C’est précisément au cours d’un long séjour à la cour de France pour y défendre les intérêts de son ménage qu’elle mourut de la variole le 6 décembre 1759. En juin 1759, Dutillot devint secrétaire d’État du duc de Parme, réunissant en sa personne toutes les fonctions ministérielles. Il avait le soutien de Louis XV, il aura celui de Charles III, au service duquel il avait débuté. Il était également apprécié de Choiseul, qui était devenu le premier ministre sans le titre de Louis XV avec l’appui de la marquise de Pompadour en décembre 1758. La mort du duc Philippe en juillet 1765 et l’avènement de son fils Ferdinand qui n’avait que quatorze ans confortèrent le pouvoir Dutillot fait marquis de Felino en 1764.

Tel est le contexte dans lequel allait se jouer l’affaire de Parme[4].

À suivre…

Ségolène de Dainville-Barbiche
Conservateur général honoraire aux Archives nationales


[1] C’est ainsi que nous l’appellerons désormais.

[2] On trouve aussi son nom de famille écrit Du Tillot.

[3] Selon Michel Antoine, Louis XV, Paris, 1989, p. 472-473.

[4] Sur ce contexte, voir : Henri Bédarida, Parme et la France de 1748 à 1789 et Les premiers Bourbons de Parme et l’Espagne (1731-1802). Inventaire analytique des principales sources conservées dans les Archives espagnoles et à la Bibliothèque nationale de Madrid, Paris, 1927, 2 volumes ; Lucien Bély, dir., La présence des Bourbons en Europe, XVIe-XXIe siècle, Paris, 2003 ; Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France depuis les traités de Westphalie jusqu’à la Révolution française, tome X : Parme, par Joseph Reinach, Paris, 1893.


Publication originale : Ségolène de Dainville-Barbiche, « L’Affaire de Parme ou la mise en œuvre du pacte de famille face à la papauté (1768-1774) », dans Collectif, Actes de la XIXe session du Centre d’Études Historiques (12 au 15 juillet 2012) : Royautés de France et d’Espagne, CEH, Neuves-Maisons, 2013, p. 135-150.

Consulter les autres articles de l’ouvrage :

Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou (p. 5).

Avant-propos. Le vingtième anniversaire du Centre d’Études Historiques, par Jean-Christian Pinot (p. 7-8).

De la Visitation au Centre de l’Étoile : quatre siècles de présence religieuse au Mans, par Gilles Cabaret (p. 37-41).

Le baron de Vuorden. De la cour d’Espagne à la cour de France, par Odile Bordaz (p. 43-55).

► La rivalité franco-espagnole aux XVIe-XVIIe siècles, par Laurent Chéron (p. 73-92) :

► Les mariages franco-espagnols de 1615 et de 1660 ou le deuil éclatant du bonheur, par Joëlle Chevé (p. 93-114) :

L’Espagne vue par l’Émigration française à Hambourg, par Florence de Baudus

► L’Affaire de Parme ou la mise en œuvre du pacte de famille face à la papauté (1768-1774), par Ségolène de Dainville-Barbiche (p. 135-150).

  • Partie 1 : Parme
  • Partie 2 : Les acteurs / Partie 3 : Le déroulement de l’affaire
  • Partie 4 : Le dénouement de l’affaire

Consulter les articles des sessions précédemment publiées :

Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV

Articles de la XXe session (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.