Histoire

[CEH] Littérature et magistrature, les nouvelles mamelles de la France d’Henri IV, par Jean-Marie Constant. Partie 2 : La reconquête d’Henri IV

Littérature et magistrature, les nouvelles mamelles de la France d’Henri IV

Par Jean-Marie Constant

Partie 1 : La situation politique en 1589

Partie 2 : La reconquête d’Henri IV

La réputation d’homme de guerre courageux et généreux d’Henri IV est connue depuis ses victoires à Cahors en 1580 et Coutras en 1587, alors qu’il était roi de Navarre et protecteur des protestants. Devenu roi de France, il est vainqueur à Arques, près de Dieppe, en 1589 et à Ivry, dans la vallée de l’Eure, là où est né le « panache blanc » en 1590, contre le duc de Mayenne, un Guise, chef de la ligue1. La prise de Chartres atteint profondément le moral des ligueurs, qui pensaient que la ville serait protégée par Notre-Dame. Beaucoup d’entre eux, après cette défaite, craignent que la Vierge Marie ne les ait abandonnés.

Cependant, ces batailles gagnées ne suffisent pas pour assurer la victoire aux royalistes. De nombreuses villes résistent toujours, Paris particulièrement, la capitale de la France. Il faut donc penser à un compromis et à la diplomatie. Des négociations aboutissent à la décision d’organiser les rencontres de Suresnes, en avril 1593. Douze ligueurs dirigés par Épinac, archevêque de Lyon et primat des Gaules, rencontrent douze royalistes conduits par l’archevêque de Bourges, à Semblançay2. Ensemble, ils décident une trêve et permettent aux Parisiens assiégés depuis longtemps d’aller se ravitailler à la campagne. La population, fatiguée par une guerre qu’elle juge interminable, trouve bien douce cette nouvelle liberté et plébiscite cette décision.

Pendant ce temps, depuis le début de l’année 1593, les états généraux sont réunis à Paris et travaillent à élire un roi, qui pourrait bien être une reine, une infante espagnole, descendant par les gemmes d’Henri II3. Face à ce risque, Semblançay décide alors Henri IV à se convertir et annonce le 17 mai 1593, que le souverain va se faire instruire dans la religion catholique. Une grande partie de la population crie au miracle et se rallie. Dans le passé, on a prêté à Henri IV des paroles qu’il n’a jamais prononcées, comme « Paris vaut bien une messe », voulant faire du roi Bourbon un cynique sans religion. Or, on sait aujourd’hui qu’Henri IV était très attaché à la religion de sa mère et qu’il n’a pas accepté de gaieté de cœur de passer au catholicisme. Cependant, il s’est sérieusement converti. Il a consulté les pasteurs, qui l’ont rassuré en lui disant qu’il pourrait faire de son salut aussi bien dans la religion catholique que dans la protestante. Il a discuté sur le purgatoire, expliquant qu’il ne pouvait pas y croire, mais les évêques n’ont pas insisté. Il s’est montré bon catholique, appréciant les jésuites, qu’il trouvait brillants et intelligents, aimant les cérémonies, même les plus longues. De multiples témoignages confirment ce point.

La seconde étape, qui assure le pouvoir d’Henri IV, est la décision du parlement de Paris, la plus haute instance judiciaire française, qui dispose d’un droit de remontrance pour s’opposer à toute législation royale, d’affirmer son attachement aux lois fondamentales du royaume. Des magistrats élus aux états généraux, dont le philosophe stoïcien Guillaume Du Vair, protestent avec vigueur contre les tentatives ligueuses et espagnoles d’imposer l’infantes d’Espagne comme reine de France. Ils proclament leur attachement à la tradition et quittent les états pour se rendre au palais de justice. Là, ils parviennent à convaincre tous les magistrats du Parlement, pourtant ligueur mais modéré, de voter l’arrêt Le Maître, qui avait été soigneusement préparé par leurs partisans. Le duc de Mayenne, chef de la Ligue, fera tout pour les faire revenir sur leur décision, mais sans succès4. Cet arrêt fait d’Henri IV le roi légitime. Accepté par l’Église catholique qui l’accueille en son sein, soutenu juridiquement par le parlement de Paris, le souverain a gagné une partie importante de l’opinion. La Satyre ménippée allait achever sa reconquête5.

Ce chef-d’œuvre de la littérature, publié au début de l’année 1594, est une œuvre collective écrite par six auteurs, poètes, érudits, magistrats, chanoine, qui ont peut-être travaillé autour de Jacques -Auguste de Thou, Au Parlement royaliste réfugié à Tours, pour échapper aux pressions terroristes de la Ligue6. Agrippa d’Aubigné écrit que le texte a commencé à « trotter » au cours de l’année 1593. Le premier jet aurait été réalisé par Pierre Le Roy, chanoine à la Sainte chapelle. L’ouvrage eut un succès considérable, car il s’inscrit dans la tradition rabelaisienne de la satire et de la dérision. Cette farce, en un acte, comprend un prologue et un épilogue. Au départ, deux charlatans, l’un représentant l’Espagne et l’autre la Lorraine, vantent les mérites de leur pays respectifs et le seul remède possible, « le catholicon d’Espagne ». Puis tous les personnages présents aux états généraux défilent en avouant de façon comique leurs arrière-pensées les plus secrètes, leurs ambitions les moins avouables et leurs intérêts les plus sordides. Parmi les interventions, le discours de Daubray conquiert l’opinion. Il a su trouver les accents les plus propres à émouvoir beaucoup de Français, déjà très attachés, à cette époque, à l’idée de nation et à la place exceptionnelle de la culture française, comparée à celle des Castillans. Au cœur de tous les débats, la Satyre ménippée, en vantant les mérites de l’engagement royalistes et le rôle du parlement de Paris, a non seulement fait rire, au détriment des ligueurs, mais aussi touché la sensibilité royaliste de bien des Français.

Les deux conséquences les plus immédiates sont le ralliement à Henri IV de la plus grande partie de l’opinion et la disqualification des états généraux, qui ne retrouveront de l‘importance qu’en 17897. En effet, on sait que les états généraux de 1614 n’ont pas été voulus par Marie de Médicis, mais lui ont été pratiquement imposés par Condé et quelques grands nobles révoltés. Soutenue vigoureusement par le tiers-état composé presque exclusivement par des magistrats, la régente manœuvra avec suffisamment d’habileté parmi les trois ordres profondément divisés et renvoya les députés dans leurs provinces8. Seuls les leaders et les militants ligueurs les plus radicaux demeureront méfiants vis-à-vis du nouveau roi.

À suivre…

Jean-Marie Constant
Professeur émérite à l’université du Maine


1 Le duc de Mayenne est le frère puîné du Balafré, Henri de Guise, qui a été assassiné sur l’ordre d’Henri III, à Blois, à la fin du mois de décembre 1588. Son embonpoint, son manque de charisme et son peu de sens stratégique expliquent qu’il n’atteignit jamais la popularité de son frère aîné et ne parvient pas à vaincre Henri IV.

2 P. Richard, La Papauté et la ligue : Pierre d’Epinac, archevêque de Lyon (1573-1599), Paris, 1901.

3 Georges Picot, Histoire des états généraux, Paris, 1972, volume III.

4 Édouard Maugis, Histoire du parlement de Paris, de l’avènement des rois Valois à la mort d’Henri IV, Paris, 1913-1916, 3 volumes.

5 Pour connaître l’ensemble des éditions de la Satyre ménippée : Yves Cazaux, Essai de bibliographie des éditions de la Satyre ménippée, Revue d’histoire du livre, janvier mars 1982. Les publications de l’université de Saint-Étienne ont été édité le texte, en 2010. La présentation et les notes sont d’Étienne Martin. Voir aussi Franck Lestringant et Daniel Ménager (dir), Études sur la Satyre ménippée, Genève, Droz, 1897 (on trouve dans cet ouvrage des études d’Anne Armand, Michel Driol, Florence Poinrson, Franck Lestringant, Marie-Dominique Legrand, Daniel Ménager, B. Boudou, P. Lambersy, Jean Vignes, Marie-Aline Barrichina, Marie Chrisine Gomez-Géraud).

6 Sur les relations entre les familles de Thou et Semblaçay, voir les Mémoires de de Thou, collection Michaud et Pioujoulat, 1858. C’est un de Thou, évêque de Chartres qui sacre Henri IV dans sa cathédrale et c’est un Semblançay qui obtient sa conversion au catholicisme. Un de Thou, dans le Parlement royaliste réfugié à Tours, encourage et aide les auteurs de la Satyre ménippée. Il faut donc remarquer à quel point ces deux familles, originaires toutes deux de la vallée de la Loire, ont joué un rôle capital dans le succès d’Henri IV. Les auteurs de la Satyre, œuvre collective, écrite en plusieurs étapes, sont les chanoines Jacques Gillot et Pierre Leroy, les poètes Florent Passat et Gilles Durant, l’érudit Florent Chrétien, les magistrats Nicolas Rapin et Pierre Pithou.

7 Marie de Médicis ne les fait pas représenter dans la décoration de son palais du Luxembourg commandée à Rubens. Mazarin au moment de la Fronde avait promis une réunion, qui n’aura jamais lieu. Henri IV réunira des assemblées de notables, lorsqu’il voudra une concertation avec les forces vives de la nation.

8 Voir Jean-Marie Constant, La folle Liberté des baroques, Paris, Perrin, 2007, p. 131 et sq.

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