[CEH] Littérature et magistrature, les nouvelles mamelles de la France d’Henri IV, par Jean-Marie Constant. Partie 1 : La situation politique en 1589

Littérature et magistrature, les nouvelles mamelles de la France d’Henri IV

Par Jean-Marie Constant

Au cours du XXe siècle, une quarantaine de livres ont été consacrés à Henri IV¹. Le pire côtoie le meilleur pour célébrer le plus populaire des rois de France. Alors, une telle floraison ne suffit-elle pas à éclairer le passionné d’histoire ? Pourquoi ajouter encore de nouveaux titres à ce palmarès déjà si riche ?

La première raison est que la recherche continue et que de nouvelles perspectives sont apparues. La connaissance de la Ligue a fait d’énormes progrès depuis un demi-siècle, et ouvert des nouveaux champs d’investigation. Il est donc nécessaire de remettre Henri IV dans le cadre des guerres civiles et de ne pas oublier qu’il fut le chef des armées protestantes. Ce contexte explique bien des méfiances et des antipathies à son égard.

La seconde raison réside dans l’exploration de nouveaux territoires historiques comme les analyses des sensibilités collectives, le rôle des médias de l’époque et la formation de l’opinion.

La troisième est le triomphe de la conception pluridisciplinaire de l’histoire, la dimension politique de la littérature et des arts ont contribué à renouveler des interprétations, que l’on pouvait faire du règne de ce souverain².

Dans un premier temps, il est nécessaire de décrire la situation d’Henri IV et de la France, en août 1589, au moment de l’assassinat d’Henri III³. Dans une seconde phase, la reconquête du royaume par Henri IV sera décrite étape après étape, en montrant le rôle capital de la littérature, produite par la magistrature et utilisée comme principal média de l’époque, pour convaincre l’opinion. Enfin, le problème de la popularité et de l’impopularité du souverain sera analysé, afin de comprendre ce paradoxe : un roi peu populaire de son vivant et considéré comme un des plus grands monarques, depuis sa mort violente jusqu’à aujourd’hui.

La situation politique en 1589, après l’assassinat d’Henri III

Henri III, sur son lit de mort, reconnaît Henri IV comme son successeur légitime, au nom du droit et des lois fondamentales du royaume de France. Descendant du sixième fils de saint Louis, Robert de Clermont, après la disparition des Valois, qui n’avaient pas d’héritier, Henri IV est le roi de France que le droit reconnaît.

Cette légitimité est contestée par les ligueurs, qui trouvent que le cousinage avec Henri III est bien lointain et contestent la loi salique, jugée archaïque et dépassée. Ils veulent imposer une autre légitimité, l’élection du roi par les états généraux. Il faut distinguer deux ligues. Celle des princes, autour du duc de Guise⁴, est un mouvement nobiliaire traditionnel, qui ne cherche pas à promouvoir des idées révolutionnaires. La seconde, la ligue parisienne, dirigée par la bourgeoisie de la capitale⁵, est beaucoup plus radicale. Certes, elle se réclame de la protection du duc de Guise, mais elle a conquis une grande autonomie. Elle a dévoilé son programme, lors des états généraux de 1588, à Blois. Outre l’élection du roi, les ligueurs veulent que les états généraux votent les impôts, les dépenses de l’état et contrôlent le choix des ministres. On voit que leurs projets vont très loin et que la France serait devenue une sorte de république, dans laquelle le pouvoir du roi aurait été très diminué. Leur principal objectif demeure cependant le refus de voir Henri IV monter sur le trône de France, parce qu’il est protestant. Ils souhaitent également l’anéantissement de tous les adeptes de cette religion, qu’ils considèrent comme hérétique. On sait que la tolérance religieuse n’existait pas à cette époque et qu’il faut attendre l’époque des Lumières, de Voltaire et Diderot, pour qu’elle se développe avec vigueur. Les ligueurs refusent un roi hérétique et les dissidents religieux, ce qui apparaît au regard des valeurs de notre époque comme difficilement compréhensible. En revanche, ils prônent un système de gouvernement où le roi est étroitement contrôlé par les états généraux, ce qui les rapproche de nos canons démocratiques. Ils vont même beaucoup plus loin que l’Angleterre des Tudors, qui laisse la reine Elizabeth Ire une prérogative très importante.

Ainsi, en 1589, deux légitimités s’affrontent, celle des lois fondamentales de la monarchie, défendue par les royalistes et celles des ligueurs, qui déclarent que les états généraux représentent le peuple. Mais les royalistes et les ligueurs sont séparés par une autre divergence, une vision du monde totalement inverse. Le Dialogue du Maheustre et du Manant, testament des ligueurs, publié en 1593 et écrit par un ligueur radical, Morin de Cromé, exprime bien cette différence⁶. Le ligueur accepte un roi étranger, espagnol, lorrain, allemand, mais exige qu’il soit d’abord catholique, alors que le royaliste veut uniquement un roi français. Cette opposition entre nation et religion est fondamentale. Les ligueurs sont attachés à une église, puissante comme la chrétienté médiévale, dirigée par le pape et considèrent l’idée de nation comme machiavélique et quasiment hérétique. Au contraire, les royalistes placent la nation au-dessus de la religion et les intérêts de la nation au premier plan.

Face à de si redoutables adversaires, qui contrôlent la moitié des villes de France, Henri IV n’a pas la partie facile. De plus, ces villes se représentent comme des cités libres, comparables aux républiques urbaines d’Italie, du Saint-Empire romain germanique ou des Province-Unies. Un port comme Saint-Malo a proclamé son indépendance, a mis à mort son gouverneur royaliste et fait du commerce aussi bien avec les Espagnols catholiques qu’avec les Hollandais calvinistes. Ces villes ne sont nullement disposées à retrouver le giron de la monarchie centralisée, comme le veut la tradition capétienne.

À suivre…

Jean-Marie Constant
Professeur émérite à l’université du Maine

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1 Voir la liste dans Jean-Pierre Babelon, Henri IV, Fayard, 1982.