Histoire

[CEH] Littérature et magistrature, les nouvelles mamelles de la France d’Henri IV, par Jean-Marie Constant. Partie 3 : Popularité et impopularité d’Henri IV

Littérature et magistrature, les nouvelles mamelles de la France d’Henri IV

Par Jean-Marie Constant

Partie 1 : La situation politique en 1589

Partie 2 : La reconquête d’Henri IV

Partie 3 : Popularité et impopularité d’Henri IV

Les ligueurs les plus engagés prirent le chemin de l’exil et se réfugièrent en Espagne, aux Pays-Bas espagnols (en gros l’actuelle Belgique) ou en Italie, à Naples notamment. Les gens d’Église retrouvèrent, notamment aux Pays-Bas, des carrières ecclésiastiques semblables à celles qu’ils auraient faites en France. Les civils vivotèrent en touchant de maigres pensions du roi d’Espagne et de petits travaux, qu’ils réalisaient1. Ils passaient leur temps à comploter contre Henri IV et rêvaient d’une revanche. Beaucoup de ces ligueurs extrémistes parvinrent à se faire oublier et à rester en France. Certains d’entre eux se rallièrent, mais d’autres ne croyaient pas à la sincérité de la conversion d’Henri IV, qu’ils accusaient d’être secrètement calviniste. De nombreux complots et tentatives d’attentats marquèrent tout le règne d’Henri IV. De Pierre Barrière à Chastel jusqu’à Ravaillac, le nombre de ceux qui veulent tuer le roi est impressionnant. Souvent déséquilibrés, ayant interprété de façon partisane des conversations qu’ils avaient entendues et des sermons enflammés, ils passaient à l’action, se croyant investis d’une mission divine. Ils reprochaient à Henri IV ses alliances européennes avec la reine Elizabeth Ire d’Angleterre avec la République calviniste des Province-Unies (la Hollande), son hostilité aux Habsbourg d’Espagne et à l’empereur du Saint Empire romain germanique, qu’ils regardaient comme les bastions de la foi catholique. Ils n’acceptaient pas l’édit de Nantes2, refusant la possibilité de la coexistence de deux religions sur le territoire français. On sait d’aujourd’hui, depuis les travaux d’Hugues Daussy, qu’Henri IV n’était pas partisan de donner un statut juridique à ses anciens coreligionnaires. Il ne se résigna à négocier « la paix de Nantes », pour reprendre l’expression de Philippe Duplessis-Mornay, que devant la menace de reprise des guerres civiles par les protestants. Duplessis-Mornay, qui avait été son principal conseiller pendant de longues années et jouissait de la confiance du roi, comme de la communauté protestante, a joué un rôle déterminant dans la promulgation de l’édit, qui a nécessité nombre de clauses secrètes pour être accepté par les responsables des deux religions3. Bien sûr, les catholiques les plus intransigeants refusaient de voir les réalités de la France de leur époque et continuaient à rêver d’une France unie sur le plan religieux. Ils trouvaient que la paix avait été achetée trop cher, en sacrifiant la religion catholique.

Henri IV est aussi impopulaire à cause de sa fiscalité. Après quarante ans de guerres civiles, la France est endettée vis-à-vis de la Suisse, de l’Angleterre, des principautés italiennes. Henri IV avait souvent du négocier le ralliement de la grande noblesse en payant ses dettes et lui accordant des sommes considérables. Il en fut de même avec les villes. A ceux qui lui reprochaient cette politique, il répondait que s’il avait prolongé la guerre pour les faire capituler, le coût aurait été encore plus élevé. Le mariage du souverain avec Marie de Médicis a contribué à diminuer la dette avec Florence, le dot de la reine, ayant été négociée entre les deux gouvernements de façon à l’éteindre en grande partie. Sully a négocié l’étalement pendant une vingtaine d’années de celle des Suisses4. Néanmoins, pour la population, les impôts étaient insupportables et les gens accusaient le roi de dépenser sans compter pour satisfaire les goûts dispendieux de ses innombrables maîtresses.

Les désordres de sa vie privée ont contribué à son impopularité. Son divorce avec la reine Margot, sa passion pour Gabrielle d’Estrées, qu’il voulait épouser, contre l’avis général, provoquaient la colère des anciens ligueurs5. On appelait Gabrielle « la putain du Roi », « la duchesse d’ordure ». Henriette d’Entragues n’a pas hésité à comploter contre lui et à revendiquer le trône pour son fils. Henri IV avait la sexualité d’un homme de guerre de son temps, mais il se pourrait bien que le ressort profond de ses inclinations soit un manque d’affection. Il aurait eu besoin d’une femme à qui il aurait pu se confier, comme il le faisait avec la « belle Corisande », Diane d’Andoins. Il semble que Gabrielle lui apportait cette stabilité affective. C’est pourquoi il fut très affecté par sa mort subite. Il faut dire que la solitude du pouvoir est toujours grande et qu’il est difficile à un souverain d’analyser les comportements des uns et des autres. De même, bien des notables de l’époque étaient prêts à lui livrer leur femme, leurs filles et toutes les femmes de la famille, pour obtenir un poste ou promotion. Il n’en était pas dupe. A la fin de sa vie, il en plaisantait même. Voyant s’agiter des magistrats autour de lui, pour une possible succession de président au parlement de Paris, il disait en riant, « je ne vais pas à mon âge besogner pour un poste de président ».

Alors, face à ces critiques et à cette impopularité, comment comprendre cette popularité d’aujourd’hui ? D’abord, il y a la brutalité de sa mort, qui a frappé les esprits et en a fait martyr. Ensuite, la légende naît dès le XVIIe siècle. Henri IV a été donné en modèle à Louis XIV par son ancien précepteur, Hardouin de Péréfixe, qui deviendra archevêque de Paris6. Dans cet ouvrage, on trouve les éléments, qui vont faire du roi Bourbon un mythe vivant de la nation. Enfin, Sully, qui, après son départ du Conseil du roi, en 1611, consacra trente ans de sa vie à rédiger ses mémoires, décide de les publier, en 1638, alors qu’il a soixante-dix-huit ans. A cette époque, l’historien Scipion Dupleix, écrivain officiel de Louis XIII, publia une Histoire de Henri le Grand, qui oubliait le rôle de Sully et critiquait Henri IV. Ce livre rencontrait un certain succès, ce qui détermina Sully à faire imprimer son ouvrage. Il mourut en 1641, alors qu’un seul volume était sorti. C’est seulement en 1662 que les tomes II et III furent imprimés à Paris. Ces Œconomies royales ont été l’objet de nombreuses éditions par la suite. Bien que cette œuvre soit très difficile à manier, les historiens des périodes anciennes l’ont utilisée pour vanter les mérites d’Henri IV et de son ministre Sully.

Des formules qui ressemblent étrangement à nos slogans publicitaires comme le « panache blanc », « labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », « la poule au pot », ont aidé à la naissance de la légende henricienne. Nombre d’anecdotes, sans doute vraies mais peut-être romancées, dans toutes les provinces, le présentent sous un jour sympathique et drôle. Elles pullulent dans les ouvrages du XVIIe comme les Historiettes de Tallemant des Réaux, qui n’a pas connu le règne d’Henri IV, mais a entendu raconter des histoires dans le salon de Mme de Rambouillet, qu’il fréquentait assidûment7. Cependant, ce corpus dénote une part de vérité sur le caractère d’Henri IV, généreux, tolérant, sympathique, courageux à l’extrême. On sait qu’il payait de sa personne dans les combats, savait entraîner les troupes et libérait d’illustres prisonniers, sans contrepartie ni rançon.

De plus, la conjoncture économique de son époque a été bonne. Les inventaires après-décès beaucerons témoignent de la bonne santé de certains laboureurs, et renforcent l’idée du bon temps d’Henri IV pour les campagnes. Le cas de Maria Mercier est significatif. Sa gemme meurt en 1599 et lui en 1606, ce qui permet d’avoir deux descriptions de sa ferme. En sept années, il a triplé la valeur de ses biens. Ses quatre chevaux sont devenus cinq, ses deux vaches ont trois compagnes et désormais il a un troupeau de cent moutons, alors qu’il n’en possédait pas auparavant8. Dans le Cambrésis, la production agricole a été multipliée par trois, entre 1598 et 1610, dans le midi méditerranéen, elle a doublé, de même que celle du vin en Anjou. En Beauce, les fermages sont 105 plus chers, ce qui prouve que les propriétaires ont pris conscience de l’aisance soudaine de leurs fermiers. Évidemment, cette période est celle de la reconstruction, après les guerres civiles. On sait que ces époques connaissent l’expansion économique9. Le règne d’Henri IV est resté, ainsi, dans les mémoires des gens du XVIIe siècle qui ont connu des difficultés du temps de Richelieu, comme le bon temps, où il faisait bon vivre.

Enfin, il faut souligner qu’il a été l’objet d’un consensus politique quasi unanime, lorsqu’au temps de la IIIe République, les grands manuels d’histoire se sont construits. Les historiens républicains de l’époque voyaient en lui l’homme de l’édit de Nantes, c’est-à-dire de la tolérance religieuse, le roi de l’unité nationale à l’issue de la grave des guerres de religion. Il ne faut pas oublier que la défaite de 1870-71 a traumatisé les Français et que l’idée de rassembler toutes les tendances politiques et religieuses de la nation touchait profondément les gens de cette époque. Les adversaires des républicains, les monarchistes ne contestaient pas cette interprétation et vénéraient Henri IV comme le premier des rois de la branche capétienne des Bourbons.

Cet ensemble de raisons explique pourquoi, alors que le souverain n’était pas très populaire de son vivant, la légende l’a transformé et en a fait un grand roi, le plus populaire selon les sondages, parmi les Français d’aujourd’hui.

Conclusion

On peut donc dire que la victoire d’Henri IV est une « aventure », car elle n’allait nullement de soi, lorsqu’on examine le rapport de force politique, qui existait entre la Ligue et lui. Le royaume s’est joué d’abord sur le plan militaire et Henri IV a triomphé de Mayenne. Si ce dernier avait gagné la partie sur les champs de bataille, l’avenir de la France aurait radicalement changé. Le roi, élu par les états généraux, aurait été semblable au roi de Pologne et aurait dû partager ses prérogatives avec les assemblées.

Le succès d’Henri IV a été aussi celui de ses partisans royalistes, porteurs de l’idée de nation et qui ne pensaient pas comme les ligueurs que cette dernière devait se dissoudre dans une chrétienté à l’ancienne, toute puissante, sous la houlette du pape. Le gallicanisme français renaissait de ses cendres et trouvait une nouvelle vigueur. Ces partisans étaient des magistrats, qui constituaient les cadres de l’État monarchique. Grâce à l’arrêt Lemaistre et à la Satyre ménippée, ils étaient parvenus à discréditer pour deux siècles les états généraux et à promouvoir la suprématie du parlement de Paris, qui se prétend le représentant naturel du peuple français, le frein aux possibles dérives du pouvoir tyrannique et la garantie de l’État du droit. Ce soutien des officiers, du monde judiciaire, des cadres de l’État monarchique, ce groupe social, qui deviendra plus tard, la noblesse de robe, a été capital. Henri l’a fort bien compris. Il les ménage, leur accorde la paulette, rendant ainsi leurs offices pratiquement héréditaires dans les familles. Sachant caresser l’institution parlementaire dans le sens qu’elle souhaitait, convoquant des assemblées de notables composées principalement de ces officiers, il gouverne avec ces couches sociales et culturelles nouvelles.

Néanmoins, pour ses détracteurs, il était un souverain marqué par l’ambiguïté. L’édit de Nantes était le symbole de sa double appartenance. Ses alliances avec des pays protestants comme l’Angleterre, les Provinces-Unies, des princes allemands protestants, au lieu de rejoindre les Habsbourg, champion du catholicisme en Europe, montraient sa vraie nature. Il faut expliquer sans doute de cette façon les haines farouches et tenaces dont il fut l’objet pendant sa vie.

Cependant, au regard de l’histoire et des Français d’aujourd’hui, il est une sorte de socle, le parangon de la nation française, au point de faire oublier sa difficile conquête de son royaume pour ne retenir que les aspects positifs et louangeurs.

Jean-Marie Constant
Professeur émérite à l’université du Maine


1 Robert Descimon et José Ravier Ruiz Ibanès, Les Ligueurs de l’exil, le refuge catholique français après 1954, Champ Vallon, Seyssel, 2005.

2 Roland Mousnier, L’Assassinat d’Henri IV, les trente journées qui ont fait la France, Gallimard, 1964, seconde édition 2010.

3 Hugues Daussy, Les Huguenots et le roi, le combat politique de Duplessis-Mornay (1572-1600), Droz, Genève, 2002.

4 Bernard Barbiche, Sully, Albin Michel, Paris, 1978.

5 Marguerite de Valois, Mémoires, présentation et notes d’Yves Cazaux, Mercure de France, Paris, 1971 et 1986. Éliane Viennot, Marguerite de Valois, histoire d’une femme, histoire d’un mythe, Payot, Paris, 1993. Jeanne Garrisson, Marguerite de Valois, Fayard, 1994.

6 Hardouin de Péréfixe, Histoire d’Henri le Grand, racontée à Louis XIV, préface de François Bluche, Communication et tradition, Paris, 1999.

7 Tallemant des Réaux, Les Historiettes, Pléiade, Gallimard, 1960, deux volumes, texte intégral établi et annoté par Antoine Adam, p. 3 à 15.

8 Jean-Marie Constant, Henri IV roi d’aventure, op. cit. p. 347.

9 Joseph Goy et Emmanuel Le Roy Ladurie (Dir), Les Fluctuations du produit de la dîme, Mouton, Paris-La Haye, 1972 et Prestations paysannes, dîmes, rentes foncières et mouvement de la production agricole à l’époque pré-industrielle, Paris, La Haye, New York, 1982.

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