Politique

Les fondamentaux de la restauration (11) – Chap. VIII : Les Familles souches

famille souche

Les fondamentaux de la restauration – 11

Mgr Henri Delassus, L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État, Société Saint-Augustin, Lille, 1911.

Chapitre VIII – Les familles souches

Que toute âme républicaine sensible s’abstienne, car ce chapitre risque de le choquer : on y parle familles souches, inégalités des successions et autres thèmes bien étrangers à nos contemporains empoisonnés au jus du libéralisme depuis la plus tendre enfance.

Blague à part, attachons-nous au raisonnement de notre auteur, Mgr Delassus, si précieux pour nos temps. Commençons par rappeler une vérité fondamentale : le partage égal est le plus souvent foncièrement injuste. Pour une raison simple : l’égalité n’existe ni dans la nature, ni dans les mérites, ni dans les œuvres. La justice consiste pourtant à rendre à chacun ce qui lui est dû (tant en récompenses et en honneurs, qu’en châtiments et en vexations, selon ce qu’il mérite). Rendre à tout le monde la même chose est une insulte à la nature d’une part — nous sommes tous différents — et à la liberté humaine d’autre part — qui permet de mériter différemment en fonction de l’exercice de notre volonté et de nos efforts.

« Donne-t-il à chacun d’eux une somme égale ? Je posai cette question afin de savoir si les idées de partage égal, qui sont si chères aux Français, exciteraient quelque sympathie dans l’esprit de mon interlocuteur. Il me regarda avec étonnement, puis me répondit : « Mais cela ne serait pas juste. Tous les enfants ne sont pas égaux : les uns ont plus de chance ou plus de qualités que les autres, et réussissent rapidement à se créer une position ; à ceux-là le père donne peu ou ne donne rien, afin de pouvoir aider plus efficacement les autres. » D’ailleurs, ajouta-t-il, le succès dans la vie ne provient pas de l’argent dont on dispose, mais des qualités personnelles. Cette réponse me frappa : elle pose la question sur son véritable terrain. Avec sa brutalité, notre pariage égal n’est, dans chaque famille, qu’une source permanente d’inégalité. L’appréciation du père est plus équitable, car elle balance, pour chaque enfant, les inégalités de la nature. Elle rétablit l’équilibre et a pour résultat de donner à chacun un secours proportionné à ses besoins. Elle n’abaisse pas le père au rôle de simple caissier, mais l’élève à la dignité de juge et d’équitable dispensateur de la fortune qu’il a su gagner ou conserver. Dans ces conditions, le père n’est pas porté à limiter le nombre de ses enfants, car il ne considère pas chaque nouveau-né comme un créancier devant réclamer sa part du domaine ou diminuer celle de ses frères. Il sait que les  enfants sortis de familles nombreuses sont généralement mieux élevés, mieux préparés aux luttes de la vie, plus capables, par conséquent, de se tirer d’affaire et, même de venir en aide à leurs frères et à leurs sœurs. »[1]

Soulignons bien ces observations : le partage égal décourage la construction des familles nombreuses, dont les avantages naturels sont pourtant immenses car, c’est un fait, les enfants de familles nombreuses sont plus aptes à la vie en société, mieux éduqués, ont plus d’expérience, sont plus forts, sont plus indépendants, etc. Ajoutons la force de l’argument qui consiste à faire du père le meilleur juge dans sa succession, car il connaît le mieux ses enfants et, avec le conseil de son épouse, il saura pourvoir au mieux pour la pérennité de sa famille, et pour le bien de ses enfants.

La République et son pariage égal rend cette sagesse paternelle impossible, et interdit l’équité. Merci la République ! Celle-ci assure à 100 % l’injustice ! Elle a cassé la sagesse immémoriale sur le simple prétexte que celle-ci n’assurait pas à 100 % la justice — comme si cela existait ! Comprenons bien : nous avions une myriade de père, qui, du fait de leur position, savaient en général ce qui fallait pour leur descendance, et tout se passait essentiellement bien — les exceptions restent des exceptions, et on ne fait pas des règles générales à partir d’exceptions. Malheureusement, la modernité renverse tout : il n’y a plus de pères, tous remplacés par un gouvernement ultracentralisée, qui ne peut que mal choisir pour les successions, du fait même de sa position. Bref, la modernité est littéralement une folie ! Elle est irrationnelle, déraisonnable et dangereuse. Les premiers contre-révolutionnaires le disaient déjà ; ils savaient que les mauvais principes entraînent les mauvaises causes. On ne les a pas crus, car la société gardait encore de beaux restes chrétiens : dommage ! Aujourd’hui nous avons les conséquences, et nous pouvons dire, avec une grande tristesse : vous voyez bien qu’on avait raison !

Le sujet suivant est encore plus épineux dans la société contemporaine, et pourtant il est clef :

 « Vous dites : l’hérédité est une loi brutale et animale, qui aboutit dans l’ordre public à la formation de castes fermées. Et je réponds : l’hérédité par la continuité qu’elle assure au corps social, est une imitation, infime sans doute, de la pérennité divine ; réglée, contenue, modifiée par l’esprit chrétien, par les mœurs, par les coutumes, elle aboutit non à la caste, mais à la tradition professionnelle, ce qui, aux yeux de tout vrai philosophe politique, est un bien de premier ordre. Je comprends parfaitement que l’hérédité politique et sociale soit repoussée par ceux qui, comme les socialistes, rejettent l’hérédité économique ; mais, dès lors qu’on admet celle-ci, quelle difficulté voit-on à admettre que l’hérédité sociale tende comme d’elle-même à rejoindre l’hérédité économique ? » Philosophie morale et sociale. Formes du pouvoir. »[2]

Notre auteur pointe ici du doigt une vérité universelle : l’hérédité est non seulement naturelle, mais aussi très fortement inscrite dans la société humaine. Quelle que soit la force avec laquelle on la nie, elle reparaît toujours ! Regardez la nomenklatura en pays soviétique, nos ploutocraties en démocraties libérales, etc. C’est un fait indéniable : l’hérédité est un fait de nature nécessaire à la société ; le nier rend impossible les bons fruits qu’elle peut porter et ne fait que créer des situations foncièrement injustes, car là où la nature n’est pas assumée, elle reparaît sous des formes monstrueuses…

Nous pourrions comparer cette nature qui, chassée, revient au galop aux réactions excessivement hygiénistes d’un certain nombre de personnes dans nos sociétés modernes. Ceux-là ne supportent pas la moindre tâche ou la moindre souillure. Une partie de rugby dans la boue les fait frémir, une petite odeur inconvenante les horrifie, la vision du sang les plonge dans l’angoisse ! Dans la même logique, des témoignages nous affirment que Robespierre et Hitler — l’un des nombreux héritiers du premier —, toujours propres sur eux, tournaient de l’œil à la seule vision du sang, ce qui ne les empêchait pas d’organiser dans le même temps les génocides juif ou vendéen. Ce genre de symptômes correspond au besoin naturel de l’homme d’être pur, d’abord dans son âme, puis dans son corps : des gens excessivement souillés dans leur âme et dans leur corps doivent compenser ces souillures par l’exhibition d’une fausse pureté, purement superficielle et extérieure : c’est l’hygiénisme. Pour l’exemple, ce phénomène se constate typiquement chez les coupables de péchés contre-nature, le plus souvent compulsivement hygiénistes. Le mode de vie moderne, avec ses intérieurs aseptisés et ses désinfections systématiques, est symptomatique ! La folle réaction face au corona ne le montre malheureusement que trop bien…

La nature s’impose toujours et quand elle est niée, elle revient de manière grossie et déformée. Dans l’exemple ci-dessus, nier la nécessité des vertus — car la pureté de l’âme et du corps consiste dans l’exercice des vertus — et légitimer le vice (c’est-à-dire la souillure) conduit à un hygiénisme démesuré, voire terroriste, comme pour compenser cet appel de la nature qui rejette instinctivement la souillure, mais sans y parvenir, car cette compensation se fait là où elle ne doit pas se faire. Pour l’hérédité et la famille c’est la même chose : les sociétés qui refusent cette réalité ouvrent la voie à l’infanticide, à l’inceste, aux ploutocraties les plus injustes, aux combines népotiques, etc., car il y aura toujours des familles, qu’on le veuille ou non !

Revenons donc à la sagesse immémoriale qui sait bien que seule l’hérédité permet la perfection de l’espèce, la vie en société harmonieuse, et le rapprochement du divin — par sa pérennité et par la succession. Ajoutons la loi de l’Évangile, comme l’ont fait nos ancêtres chrétiens, pour sanctifier le mariage, les relations familiales, la piété filiale, créer de l’harmonie, tout en évitant les abus païens du clan divinisé, qui traite ses membres comme des esclaves (la loi d’airain, juste d’un point de vue de la loi naturelle, mais dure, car destinée des cœurs durs) ou des abus apostats qui font semblant de croire que la famille n’existe pas ou qu’elle ne constitue qu’une simple « convention sociale », véritable folie du chaos institutionnalisé.

Puisque nous sommes dans le chapitre de toutes les vérités qui fâchent, attaquons-nous encore au mythe tenace présentant le code civil comme une bonne chose :

 « On a célébré pompeusement, ces temps-ci, le centenaire de la promulgation du Code civil. Autant dire qu’on a célébré le plus certain élément de dissociation d’un peuple qui ait jamais été inventé. Ce code a été fait pour détruire les familles, abolir l’hérédité, anéantir les traditions locales et isoler les individus, annihiler et détruire progressivement toutes les influences territoriales et industrielles au bénéfice du capital anonyme et cosmopolite, c’est-à-dire du capital juif. Il porte aujourd’hui ses pleines conséquences. Elles se traduisent par un fléchissement universel de la moralité publique, et par la ruine de la nation. »[3]

Et encore

« Le Code civil a tué chez nous la famille-souche. Par la liquidation perpétuelle qu’il impose, les grandes familles ont été condamnées à s’amoindrir de génération en génération, les familles bourgeoises ont été mises dans l’impossibilité de s’élever, et même de se maintenir longtemps au point où l’effort de leurs membres les avait fait parvenir. Les familles ouvrières sont enfermées dans leur condition. »[4]

La modernité casse l’harmonie sociale et la hiérarchie des familles, qui existe aussi sûrement que la hiérarchie des fonctions et que celle des talents. Cela peut paraître scandaleux au moderne, mais rien n’est plus juste au fond : rôles différents pour un travail harmonieux dans la société et dans les familles. N’oublions jamais que ces hiérarchies sont plurielles et non-univoques : Nous sommes tous le serviteur de quelqu’un et le chef de quelqu’un d’autre, nous sommes tous l’aîné de l’un et le cadet de d’un autre. Il y a des hiérarchies sacrées, temporelles, professionnelles, naturelles (l’âge, etc.), familiales, municipales, sportives… Ceux sont toutes ces autorités plurielles, mais non confondues, ni dissoutes, qui permettent notre perfectionnement et le perfectionnement de la société. Prôner l’égalité, détruire l’autorité et les hiérarchies, c’est installer le désordre, la guerre et la violence : nous y sommes, regardez par la fenêtre !

Et puis, quel bonheur d’avoir une petite forteresse familiale, écrin de liberté pour ses membres, indépendants des mauvaises influences extérieures grâce à la citadelle que constitue la famille et la foi ! Quel bonheur de pouvoir être soumis à notre père aimant et charitable, qui veut notre bien, guidé par les bons conseils de son épouse. C’est ce père qui nous prépare, à notre rythme, à devenir adulte, à devenir un honnête homme. Et nous devenons un jour père à notre tour, que ce soit en fondant une famille, en étant ordonné prêtre, que ce soit dans un métier… que sais-je encore ? Par vocation, en conscience, en connaissant la lourde charge qui incombe à l’autorité, et la responsabilité qui sera exigée sur cette terre ou dans l’au-delà devant ces charges. Nous ne devons pas être de ces chefs parachutés de nulle part, comme ces pseudo-chefs ou ces politiciens d’aujourd’hui, dans un monde où l’autorité niée — bien que celle-ci continue néanmoins d’exister — ne réalise plus son devoir, car elle n’est plus assumée, ni préparée, ni appelée, ni puissante mais, au contraire, apeurée, soumise à tous les vents, faible (et donc cruelle et violente pour compenser sa faiblesse) et irresponsable (mais elle les prendra ses responsabilités un jour ou l’autre) !

Ainsi la restauration commence par la reconstitution de familles souches, bastions de la tradition, cœur battant de l’esprit traditionnel dans la société et rocs solides pour la restauration :

« Si nous voulons que la France ait encore un avenir, rien de plus fondamental, rien de plus nécessaire que de rendre à la famille française la faculté de se replacer sous le régime de la famille – souche, ayant un atelier perpétuel (champ, usine, maison de commerce), chargé de produire non seulement le pain quotidien, mais celui des vieux jours et l’établissement des enfants, ayant aussi son foyer chargé de l’éducation des jeunes générations selon les traditions des ancêtres. Dès que cette liberté sera rendue, un certain nombre de familles entreront d’elles-mêmes dans cette voie, et, après quelques générations, se trouveront tout naturellement au-dessus de celles qui seront restées dans l’instabilité. La hiérarchie sociale s’ébauchera à nouveau par le fait même. La société se raffermira d’autant et finira par se reconstituer. »[5]

Il faut ainsi cesser de tomber dans un travers si commun de notre modernité : le légalisme, considéré comme une sorte de gri-gri magique qui réglerait tous les problèmes. Tout cela est d’une naïveté criminelle : la loi peut dire ce qu’elle veut, la réalité ne change pas ! Revenons à la réalité, et agissons sur les ressorts moraux, la Foi, là où tout commence et se termine :

« C’est dans l’âme et non dans la loi qu’il faut mettre le ressort qui donne aux familles l’énergie nécessaire pour s’élever socialement. On ne doit demander à la loi que de lever les obstacles qui empêchent ce ressort de fonctionner. »[6]

Finissons sur une note paradoxale : les Français les plus révolutionnaires ont un instinct traditionnel puissant malgré tout. Cet instinct, perverti par la Révolution, en fait des dangers publics, certes, mais des dangers qui témoignent de la haute tradition de notre pays. Pour le dire autrement, la Révolution ne pouvait se passer que dans notre pays, car pour parvenir à un tel point de perversité, encore fallait-il que la pratique de la tradition et de la Vérité fut si purement et hautement réalisée : la Révolution n’existe que par la clarté de ce qu’elle nie. La France, si traditionnelle, donnait à voir tout ce que le diable veut nier !

Prenons l’exemple de l’obsession de tant de révolutionnaires, bourgeois le plus souvent, de transmettre — vous savez, le syndrome du bobo qui recommande beaucoup de choses, mais qui ne les applique pas pour lui et sa famille :

 « Le code français ne peut cependant arriver à détruire l’instinct de la perpétuité qui est au fond de la nature humaine. De là, la stérilité systématique des mariages, afin de pouvoir transmettre intact, à un héritier unique, le domaine, la maison de commerce, l’usine. La place qu’occupait l’aîné dans l’ancienne société, est prise par le fils unique dans la société nouvelle. Le désir de maintenir le bien de famille est resté le même que sous l’ancien droit, il n’y a que les moyens qui diffèrent pour le garder. Mais les moyens employés aujourd’hui sont aussi désastreux qu’immoraux. La famille ne tarde pas à s’éteindre, faute d’héritier parvenant à l’âge viril, ou plus promptement encore par l’inconduite du jeune homme, gâté dès son enfance par la sollicitude exagérée des parents qui ne redoutent rien tant que de le perdre. »[7]

Puisons ainsi dans l’Histoire les bons exemples, et restaurons dans le Christ nos familles, cellules-souches de notre société qui peuvent seules permettre une restauration saine et sainte. Il suffit de s’y mettre, et de se battre !

Sans la reconstitution de bonnes et puissantes familles, rien ne se fera. Ne croyons pas aux idéalismes révolutionnaires ! Seul l’effort dans la prière, les œuvres justes, paient véritablement à terme. Rien de magique ! Alors, oublions les rêves distillés par les libéraux, qui nous entravent et font notre malheur — ajouter sur un bout de papier plastifié que je suis un petit homme vert ne fera pas de moi un petit homme vert, pour éviter des exemples plus actuels et dramatiques…

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !


[1] Mgr Henri Delassus, L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État, Société Saint-Augustin, Lille, 1911, p. 124-125.

[2] Ibid, p.130

[3] Ibid, p.133

[4] Ibid, p.133

[5] Ibid, p.136-137

[6] Ibid, p.141

[7] Ibid, p.144


Dans cette série d’articles intitulée « Les fondamentaux de la restauration », Paul-Raymond du Lac analyse et remet au goût du jour quelques classiques de la littérature contre-révolutionnaire. Il débute cette série avec L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État, écrit par Mgr Delassus il y a désormais plus d’un siècle.

Mgr Delassus, L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État (1911) :

Une réflexion sur “Les fondamentaux de la restauration (11) – Chap. VIII : Les Familles souches

  • Excellent article, mais n’avez-vous pas conscience que l’Eglise s’est toujours méfiée de la famille-souche? Par les règles de consanguinité fantaisiste du Droit-canon, par la suppression du consentement du chef de famille pour la validité du mariage aprtès le Concile de Trente, par les efforts néfastes de la théologie morale catholique en vue de délégitimer le droit d’aînesse à ce même concile, par la contestation de la privation ou de la réduction des droits à l’héritage pour les enfants naturels ou adultérins?

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