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Les fondamentaux de la restauration – 3

Mgr Henri Delassus, L’Esprit familial dans la maison dans la cité et dans l’Etat, Société Saint-Augustin, Lille, 1911

CHAPITRE II  – Les États doivent conserver le type familial

La sagesse immémoriale et universelle crie de tous les coins de la terre cette vérité naturelle qui devrait être évidente : « LES ÉTATS DOIVENT CONSERVER LE TYPE FAMILIAL ». Entendez que toute société constituée – pour éviter le mot état au sens si dévoyé aujourd’hui – ne l’est par définition que sur la famille naturelle – ce qui signifie qui correspond à la nature de l’homme, non pas laissée aux hasards des contingences et aux fantaisies des hommes, mais bien à l’institution familiale telle que nous pouvons la constater dans l’histoire, et telle qu’elle est confirmée et parfaite par la révélation divine (avec en particulier la monogamie de principe et le sacrement du mariage, deux choses qui paraissent évidentes aux yeux des chrétiens, mais qui ne le sont pas du tout aux yeux de l’histoire universelle, en pratique).

« La famille n’est point seulement l’élément premier de tout État, elle en reste l’élément constitutif, de telle sorte que la société régulière, telle qu’elle existe, si longtemps qu’elle n’a point contrarié les lois de la nature, comme l’a fait notre France par la Révolution, se compose non d’individus, mais de familles. Aujourd’hui, les individus seuls sont comptés, l’État ne connaît que des citoyens dispersés; cela est contraire à l’ordre naturel. »[1]

Ou encore :

« Comme le dit fort bien M. de Savigny : « L’État, une fois formé, a pour éléments constitutifs les familles, non les individus. » Il en était ainsi autrefois, et ce qui le montre d’une manière bien sensible, c’est que dans les dénombrements de population, on comptait toujours, non par personnes, mais par feux, c’est-à-dire par foyers; chaque foyer était réputé le centre d’une famille, et chaque famille était dans l’État une unité politique et juridique aussi bien qu’économique. »[2]

Tout cela semble évident, normalement… Déjà au début du vingtième ces vérités premières étaient attaquées frontalement : ne soyons pas étonner de voir les conséquences visibles dans notre actualité. Et voyons-y la Providence : la société devient tellement folle par ces fous qui croient aux illusions secrétées par leurs esprits étranges qu’elle produit des monstres et des fruits si délétères que toute personne possédant un sens commun minimal ne peut pas ne pas sentir que quelque chose cloche. Premier pas vers la restauration que cette prise de conscience : à nous de l’accompagner, et de l’aider à accoucher et de répéter à temps et à contre temps les vérités naturelles de toujours, et puis les vérités surnaturelles.

« Il y a les cellules premières, élémentaires, qui donnent naissance aux cellules du sang et aux cellules des tissus. De même dans la société, les familles quoique parties d’un même point se trouvent en tout Etat civilisé être de condition diverse et réparties en trois classes ; le peuple, la bourgeoisie et la noblesse. Pour plus de similitude, la bourgeoisie remplit, dans la société, le rôle du sang dans le corps humain elle sort du peuple et elle alimente la noblesse. Contrairement à ce que veut la démocratie, partout où le progrès moral, intellectuel, matériel, germe et se déploie, les inégalités se font jour, s’accentuent, se fixent dans les familles et peu à peu constituent une hiérarchie, non de fonctionnaires, mais de maisons. »[3]

L’analogie ne retranscrit pas la réalité de la vérité telle quelle mais elle permet de bien la saisir. Mgr Delassus reprend la classique analogie de la société en corps, et lui attribue une certaine tripartition pour le coup quelque peu original et bien de son temps pourrait-on dire, nous y sentons l’influence de Blanc de Saint-Bonnet et de toute la question « sociale ». Il prend le parti ici d’ignorer la tripartition classique holiste du Moyen-Âge entre oratres, bellatores et laboratores. Ceci témoigne bien d’un climat de la société de son temps, extrêmement anti-clérical. On pourrait voir cette concession à son temps comme un défaut. Elle a l’avantage, dans notre siècle areligieux – au sens traditionnel de la religion, car rien de plus idolâtrique que la république en fait – et laïcisé, de se concentrer d’abord sur le fonctionnement naturel de la société. Sur ces vérités-là, normalement, tout homme doté raisonnablement devrait pouvoir opiner à ses vérités, sans acte de foi, mais juste par sens commun et raison naturelle.

Il existe ici un certain paradoxe, en fait logique : seul des apostats nourris des vérités chrétiennes pouvaient réussir à nier tellement la vérité surnaturelle qu’ils en sont venus à nier aussi les vérités naturelles, ce qui atteint profondément les sociétés même non chrétiennes… Cela montre indirectement la pureté de la vérité révélée : le mal moderne n’est d’autant plus fort qu’elle prend à contre-pied des vérités parfaitement pures. Chez les païens, il y avait de nombreux maux, mais qui ne dépassaient pas un certain niveau d’intensité en un certain sens : la vérité n’étant que faiblement connu, à son niveau naturel et encore, elle ne pouvait pas vraiment être niée frontalement – et inversement la société ne pouvait pas non plus dépasser un certain niveau de perfection, sans parler de la grâce.

Mais revenons à notre bon auteur, qui cite de nombreuses sources contre-révolutionnaires :

« Nous retrouvons ici les grandes lois que Dieu a établies lors de la création de l’homme, dans la société première, afin qu’elles continuassent à régir toutes les sociétés humaines, quel que soit le développement qu’elles prennent. « Il y a, dit M. de Bonald, des lois pour les fourmis et les abeilles. Comment a-t-on pu penser qu’il n’y en avait pas pour la société des hommes et qu’elle était livrée aux hasards de leurs inventions ? » Rousseau a pensé cela. Il s’est ingénié à formuler pour les États d’autres lois que celles posées par le Créateur; et les démocrates, ses disciples, en s’efforçant d’après ses leçons, d’établir les Etats sur l’égalité en opposition à la hiérarchie, sur la liberté en opposition à l’autorité, et sur l’indépendance réciproque en opposition à l’union, ne peuvent que les détruire et les détruire par la base. » [4]

Il va ensuite aligner quelques citations de sages incontestés de tout temps, rappelant l’évidence que l’état ne peut être au fond qu’une famille de famille, et que la famille élargie est la société elle-même :

« Si les peuples ne sont construits que de familles vivantes, et si les lois imposées par Dieu à la famille doivent être les lois de toute société, il est nécessaire que les États reproduisent en eux quelque chose du type primitif. Tous les sages sont d’accord sur ce point. « Les Grecs et les Romains, dit l’abbé Fleury (1), si renommés pour la sagesse de ce monde, apprenaient la politique en gouvernant leurs familles. La famille est en petit l’image de l’État. C’est toujours conduire les hommes vivant en société. »[5]

« Léon XIII parle de même : « La famille est le berceau de la société civile, et c’est en grande partie dans l’enceinte du foyer domestique que se prépare la destinée des États ». Et ailleurs : « La société domestique contient et fortifie les principes et, pour ainsi dire, les meilleurs éléments de la vie sociale : aussi est-ce de là que dépend en grande partie la condition tranquille et prospère des nations ». C’est donc avec raison que M. de Bonald dit : « Quand les lois de la société des hommes sont oubliées de la société politique, elles se retrouvent dans la société domestique. »

Dans notre France, la société a conservé jusqu’à la Révolution le type familial. »[6]

On remarquera ici d’ailleurs que la distinction habituelle privé/public est au fond très moderne et pas si traditionnel : il faudrait plutôt parler d’esprit public – de service du bien commun – et d’esprit privé – ou esprit de parti et de division. L’esprit public doit se retrouver d’abord dans les familles, qui sont des sortes de mini-royautés à part entière, avec le père, puis ensuite le chef de famille véritable roi en son petit royaume familial, tant temporel que spirituel d’ailleurs puisque, même s’il ne peut évidemment pas donner de sacrements, il reste le curateur premier des âmes qui lui sont confiées, qu’il bénit, et dont il mène prières et dévotions.

Tout est lié : la monarchie « nationale » se trouve en harmonieuse continuité avec cette réalité familiale première, et harmonieusement parfaite par la sagesse naturelle, et la sagesse surnaturelle – la chrétienne.

à suivre…

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France


[1] Mgr Henri Delassus, L’Esprit familial dans la maison dans la cité et dans l’Etat, Société Saint-Augustin, Lille, 1911, p.28

[2] Ibid, p.28-29

[3] Ibid, p.30

[4] Ibid, p.30-31

[5] Ibid, p.31

[6] Ibid, p.32

Une réflexion sur “Les fondamentaux de la restauration – 3

  • PELLIER Dominique

    Et il y en a, des ces républicains, de ces démocrates, qui soupirent au souvenir de réunions DE FAMILLE d’autrefois, des bons mots de tel ou tel parent, oncle ou tante, ou aïeul !!!

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