CivilisationHistoire

Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (4)

Les actes des communications des sessions du centre d’études historiques paraissent une fois par semaine, chaque samedi. Les liens des communications en bas de page.

Centre d’Etudes Historiques

1661, la prise de pouvoir par Louis XVI.

Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques (7 au 10 juillet 2011)

Collectif, Actes dela XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV, CEH, Neuves-Maisons, 2012, p.119-162.

Par l’abbé Christian-Philippe Chanut

Le cardinal Mazarin était-il donc homme à s’y connaître en religion ? Au moins autant que n’importe quel homme qui « entendait la messe tous les jours et communiaient aux grandes fêtes »[1]. Mais, soulignera-t-on, Mazarin n’était pas prêtre. Depuis quand faudrait-il nécessairement être prêtre pour avoir des convictions spirituelles et doctrinales ? Bien sûr, ce n’est point ce qu’on veut dire ; on veut dire qu’étant ecclésiastique, il a reculé devant l’engagement total, mais n’a pas renoncé à jouir des bénéfices. Outre que « le cardinal aux vingt-cinq abbayes » n’était pas responsable du système commendataire et qu’il n’était pas le seul à en profiter (beaucoup s’en faut), avec la bénédiction du Pape qui, aux termes du concordat de Bologne, pouvait toujours s’opposer aux nominations du Roi, ce qui n’est pas sans exemple. Il faut se souvenir que Mazarin n’eut pas le désir d’entrer dans les ordres : il ne s’y résolut que contraint et forcé par l’impérieuse volonté d’Urbain VIII qui, en octobre 1630,exigea qu’il fût « prêtre au plus tôt » ; pendant les négociations qui suivirent son retentissant exploit de Casal (26 octobre 1630), le Souverain Pontife changea si peu d’idée qu’il lui donna comme revenu un canonicat ) Saint-Jean-de-Latran (décembre 1631), à la condition de « recevoir au moins la première tonsure ». En dépit des suppliques et d’atermoiements, le Pape resta inflexible et Mazarin se fit tonsurer à Sainte-Menehoud (18 juin 1632). Rien ne l’empêchait de recevoir les saints ordres et, après les avoir reçus, rien ne l’aurait obligé à y conformer sa vie. Les mauvais exemples ne sont pas rares. Ne pourrait-on pas, pour une fois, lui accorder le privilège de la foi ?

Il ne saurait être question de faire de Mazarin un saint de vitrail, mais de soutenir que, contrairement à ce qu’affirmera le cardinal de Retz, il ne se moqua pas de la religion dont il avait une vraie connaissance et une bonne pratique, mâtinée de quelques menues superstitions qui n’étonneront pas chez un romain. Est-il inconcevable qu’il pût avoir des scrupules au sacrilège ? Dans la relation (inconnue jusqu’en 1955) qu’il fit de ses derniers jours du cardinal Mazarin, le R.P. Angelo Bissaro, théatin, déclare : « S.E a toujours vécu en France avec une dignité et une intégrité telles que jamais personne n’a pu le taxer de grave scandale et cette justice, ses ennemis eux-mêmes la lui rendent. Mais, comme elle était toujours distraite par les affaires politiques et les très lourdes occupations de la guerre, elle ne paraissait pas s’acquitter d’une manière satisfaisante des manifestations vraies de la piété à laquelle elle était tenue de par sa condition ecclésiastique. Toutefois au fond de son cœur, elle eut toujours des sentiments solides de piété. » Que vaut, après cela, le venimeux témoignage de cette vieille peste jalouse de Motteville ? Elle met trois mensonges bout à bout : « Il avait été soupçonné de n’avoir pas eu beaucoup de religion. Sa jeunesse était déshonorée par une mauvaise réputation qu’il avait eue en Italie ; et comme je l’ai dit en parlant de lui plus haut, il n’avait jamais témoigné assez de vénération pour les mystères les plus sacrés. »

Que le cardinal de Mazarin ne fût un grand théologien et qu’il n’eût pas le goût des controverses est probable, mais qu’il n’entendît rien à propos de la grâce efficace et du libre arbitre est une absurdité. Il n’avait point encore l’entendement qu’il était déjà un familier des choses de la religion, au sein d’une famille qui vivait et se construisait à l’ombre de l’Église romaine. Il était né et avait été élevé selon cette foi humaniste et vivante où la grâce se saisit des hommes de bonne volonté pour leur donner les moyens de s’élever jusqu’à Dieu où ils seront pleinement accomplis. Cette foi sûre, intelligente et confiante, qui s’attachait tous les arts, se voyait et s’entendait partout à Rome. Pour qu’elle lui fût devenue étrangère, il eût fallu qu’il oubliât le pieux exemple de sa mère dont le pape Alexandre VII Chigi dit à Hugues de Lionne, avec une grande émotion : « C’était une sainte ». Il eût fallu qu’il ne souvînt plus des enseignements de ses deux oncles ecclésiastiques, surtout du vieux jésuite Mazarin (dont il portait le prénom), prédicateur renommé dans toute l’Italie. N’éprouva-t-il pas ses premières émotions musicales lors des offices de la Chiesa-Nova ou de San-Onofrio ? On sait qu’il y écoutait les sermons des Pères de l’Oratoire, puisqu’on raconte qu’étant encore tout enfant, il était capable de les répéter, avec le ton et les gestes. Il suivit ensuite tout le cursus du fameux Collège Romain où les Jésuites furent si contents de lui qu’ils le voulurent engager dans leur société. De saint Ignace de Loyola (que les Jésuites de Rome lui firent représenter sur un théâtre où il fit merveille), il retint au moins cette admonestation : « Prie car tout dépend de Dieu, mais agit comme si tout dépendait de toi. » Quant à l’ecclésiologie, peut-son sérieusement soutenir qu’un docteur « in utroque jure » de l’illustre université Sapienza de Rome n’y connaît rien ?

On peut hasarder que Mazarin fût un clerc de circonstance et un cardinal de rencontre, mais on ne peut honnêtement douter de sa foi catholique, sujet sur lequel il se montra toujours pudique et sérieux. S’il n’est pas rare que certaines gens emploient des références religieuses à tort et à travers, le cardinal Mazarin, quant à lui, en est tellement parcimonieux qu’il faut y attacher de l’importance lorsqu’elles viennent sous sa plume.


[1] Henri de Loménie de Brienne, « Mémoires ».

Communications précédentes :

Préface : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/ histoire /2653-ceh-xviiie-session-preface-de-monseigneur-le-duc-d-anjou

Avant-Propos : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2654-ceh-xviiie-session-avant-propos

 La rupture de 1661 (1/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2663-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (2/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2664-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2684-ceh-la-rupture-de-1661-3-4

De Colbert au patriotisme économique (1/3)

De Colbert au patriotisme économique (2/3)

De Colbert au patriotisme économique (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2693-ceh-de-colbert-au-patriotisme-economique-3-3

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (1/3) 

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (2/3)

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (3/3): https://www.vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/ceh-1661-transfert-de-la-cour-des-aides-de-cahors-a-montauban-3-3/

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (1/3)

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (2/3)

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (3/3)

Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (1/2)

Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (2/2)

Louis XIV au Château de Vincennes (1/3)

Louis XIV au Château de Vincennes (2/3) 

Louis XIV au Château de Vincennes (3/3) 

1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage ? (1/2)

1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage ? (2/2)

La collection de tableaux de Louis XIV

Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (1)

Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (2)

Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (3)

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