Histoire

Commentaire de l’« Abrégé de l’Histoire de France » de Bossuet. Partie 7 : Charles Martel, vainqueur des Arabes, serviteur de la France et de la Légitimité

TEXTE DE BOSSUET

Chilpéric II (ou Daniel, an 716)

Ayant ainsi disposé les choses, Reinfroi mena le nouveau roi dans le royaume d’Austrasie : son dessein était de l’ôter à Plectrude, et d’abattre la puissance de cette femme emportée. Il avait fait alliance avec Radbode, duc de Frise, qui devait le secourir dans cette entreprise. Plectrude demeurait à Cologne, où elle avait transporté tous les trésors de Pépin : ses richesses la rendaient extrêmement fière. Cependant Charles-Martel s’étant échappé de prison, et ayant assemblé quelques troupes, commença à examiner par quels moyens il pourrait défendre, tant contre Plectrude que contre Reinfroi, l’Austrasie que Pépin lui avait laissée. Il résolut de commencer par Reinfroi, et de l’attaquer devant qu’il se fût joint avec Radbode. Le combat fut long et opiniâtre : Charles, qui l’emportait par la valeur, fut cependant contraint de céder au nombre. Reinfroi victorieux marcha à Cologne ; Radbode l’attendait aux environs, et tous deux ensemble devaient faire le siège de cette ville ; mais Chilpéric et son maître Reinfroi s’en étant approchés, Plectrude détourna cet orage, eu leur donnant de l’argent et des présents : après quoi ils ne songèrent plus qu’à se retirer. Charles, dont le courage n’avait point été abattu dans la défaite de son armée, en ramassa les débris et poursuivit l’ennemi dans les défilés des Ardennes. Reinfroi étant sorti de cette forêt, étendit ses troupes dans une vaste campagne, et vint camper à Amblève, près de l’abbaye de Stavelot. Charles n’osa rien entreprendre, parce qu’il n’était point en force.

Comme il était dans cette peine, un soldat s’approcha et lui promit de mettre en désordre l’armée ennemie, s’il lui permettait de l’attaquer seul ; Charles se moqua de sa témérité, et lui dit qu’il pouvait aller où le poussait son courage. Aussitôt qu’il eut reçu cette permission, il alla droit au camp de l’ennemi, où il trouva les soldats couchés les uns d’un côté, les autres de l’autre, sans crainte et sans sentinelles ; et se mit à crier d’une voix terrible : « Voici Charles avec ses troupes. » En même temps, l’épée à la main, il perce tous ceux qu’il rencontre. Toute l’armée fut saisie d’une si grande frayeur, que Charles s’étant avancé sur l’avis qu’il eut du désordre, et n’ayant avec lui que cinq cents hommes au plus, cette poignée de gens parut aux ennemis alarmés une multitude effroyable : on les voyait, tremblants, courir de différents côtés ; ils prirent enfin la fuite avec une si étrange précipitation, que Reinfroi et le roi même eurent peine à s’échapper. Charles, maitre du camp et des bagages, ne poursuivit point les fuyards, de peur qu’ils ne reconnussent le peu qu’il avait de forces, et qu’ils ne songeassent à se rallier. Le bruit de cette victoire rendit son nom illustre par toute la France et le fit redouter de ses ennemis.

Reinfroi, accompagné de Chilpéric, eut peine à joindre Radbode, et n’osa jamais attaquer Cologne ; mais Charles, au sortir du quartier d’hiver, ayant assemblé une armée considérable, vint attaquer Chilpéric et Reinfroi, qui étaient alors campés à Vinci, près de Cambrai. Ce fut ici que se donna la sanglante bataille de Vinci, que nos historiens ont comparée à la bataille de Fontenoy par le grand carnage qui s’y fit. Charles y remporta une victoire complète, et poursuivit Chilpéric et Reinfroi jusqu’à Paris ; mais il ne voulut pas laisser ralentir le courage de ses soldats victorieux dans l’attaque de cette ville. Il tourna toutes ses forces contre Plectrude, qu’il effraya tellement, qu’elle lui ouvrit les portes de Cologne et lui remit les trésors de Pépin. Ainsi il fut maitre de l’Austrasie, où il se fit reconnaître pour prince ; il marcha ensuite en Neustrie pour s’y faire élire maire du palais, et mit, en 718, sur le trône, Clotaire IV, fils de Thierry III, pour l’opposer au roi Chilpéric. Cependant Reinfroi avait appelé Eudes, duc d’Aquilaine. Celui-ci agissait comme souverain, et ne voulait point reconnaître le roi ni le royaume de France. Reinfroi lui ayant accordé ce droit, qu’il avait déjà usurpé, il lui amena un grand secours ; mais Charles les défit sans peine, tant la terreur était grande dans tous les esprits. Chilpéric s’enfuit en Aquitaine, et Reinfroi à Angers.

Charles trouva Paris abandonné et s’en empara. Il gouvernait tout en qualité de maire du palais. Clotaire IV vécut fort peu, n’ayant régné qu’un an, et Charles ne fit point de roi durant quelque mois pour sonder les dispositions des Français. Comme il vit que les Neustriens demandaient un roi, il leur donna Chilpéric, qu’il rappela d’Aquitaine. Tout étant paisible au dedans, il alla réduire les Saxons. Pendant ce temps Chilpéric mourut eu 721, et Charles fit roi Thierry IV, dit de Chelles, fils de Dagobert III.

Thierry IV (an 721)

Sous ce prince, Charles défit Reinfroi à qui il voulut bien laisser Angers après qu’il lui eut demandé pardon. Ensuite il dompta les Saxons, les Suèves et les Allemands qui s’étaient révoltés.

Il subjugua les Bavarois qui avaient donné retraite à Plectrude. Il défit les Sarrasins, nation arabique, qui avaient conquis l’Espagne et tâchaient de se jeter dans les Gaules, dont ils prétendaient que la partie qui avait appartenu aux Visigoths devait leur revenir. J’ai cru qu’il était à propos d’insérer ici par où commença l’empire de cette nation barbare, et comment il s’étendit dans l’Espagne.

L’an 622 de Notre-Seigneur, sous l’empire d’Héraclius et du temps de Clotaire II, roi de France, Mahomet, capitaine des Arabes, inventa une nouvelle religion, brutale à la vérité et pleine de fables ridicules et prodigieuses, mais accommodée au génie de celle nation farouche et ignorante, et inventée par son auteur avec un merveilleux artifice pour la politique et pour la guerre, c’est-à-dire non-seulement |pour établir un empire, mais encore pour l’étendre. Cette pernicieuse superstition, sortie d’un tel commencement, prit force en peu de temps, Mahomet se rendit maître de l’Arabie et des pays voisins, en partie par adresse et en partie par force. Ses successeurs appelés califes, c’est-à-dire vicaires de Dieu, prirent en peu de temps la Palestine, la Perse, la Syrie, l’Égypte et toute la côte d’Afrique. Il leur était aisé de passer de là en Espagne, et voici l’occasion qui leur en donna moyen.

Du temps du roi Rodrigue, le comte Julien avait une fille d’une très-grande beauté et d’une égale vertu. Le roi en devint éperdument amoureux, et comme elle était invincible à ses caresses, il s’emporta jusqu’à la prendre de force. Elle fit incontinent savoir à son père l’outrage qu’on lui avait fait. Le père brûlant du désir de se venger, employa tout contre Rodrigue. Quand ce malheur arriva, Julien était ambassadeur auprès des Maures, c’est ainsi qu’on appelait ordinairement les Sarrasins d’Afrique. Il fit son accord avec eux et revint à la cour, dissimulant son dépit et feignant qu’il voulait profiter de la faveur de sa fille comme un habile courtisan : mais après qu’il eut attiré à son parti ceux qu’il voulait, il pria le roi de lui permettre d’envoyer sa fille auprès de sa femme qu’il avait laissée en Afrique, sous prétexte qu’elle était malade ; il obtint son congé peu après et suivit lui-même sa fille ; il fit en passant une ligue avec les seigneurs des environs de Gibraltar, et lorsque tout fut disposes il appela les Maures qui remportèrent d’abord de grands avantages.

Le roi partit de Tolède pour aller à leur rencontre dans l’Andalousie et les empêcher d’entrer dans cette province. Il se donna une bataille générale sur le bord du fleuve Guadalete, auprès d’une ville qui s’appelait Caesariana, située vis-à-vis de Cadix. Les Chrétiens furent taillés en pièces, et le roi, étant contraint de prendre la fuite, se noya (à ce que l’on dit) dans ce fleuve. Par ce seul combat la conquête fut achevée et cette défaite des Chrétiens fit la décision de toute la guerre : car les Maures aussitôt après ravagèrent sans s’arrêter toute l’Espagne, prirent Séville, Cordoue, Murcie, Tolède, et contraignirent une partie des Chrétiens qui ne purent pas supporter le joug de ces infidèles, de se retirer en Galice, en Biscaye et dans les Asturies où, défendus par les montagnes, ils fondèrent un nouveau royaume sous la conduite de Pélage, dont les rois de Castille sont sortis. Les Maures tenaient le reste de l’Espagne et de là s’étaient déjà répandus dans les Gaules, du côté du Languedoc, qu’ils avaient conquis jusqu’au Rhône.

Eudes (725) songea à se fortifier de leur secours contre la puissance de Charles. Il s’était déjà raccommodé avec les Gascons et les Bretons ; mais pour s’affermir davantage, il avait donné sa fille à Munuza, Sarrasin, gouverneur de Cerdaigne. Comme ils étaient voisins, ils promirent de s’entre-secourir dans tous leurs desseins. Eudes voulait se conserver l’Aquitaine, et Munuza songeait à se faire souverain de Cerdaigne. Abdérame, gouverneur général de toutes les Espagnes, n’ignorait pas leurs complots ; ainsi il se jeta dans la Cerdaigne où il arrêta Munuza dont il envoya la tête au calife ; il entra ensuite dans l’Aquitaine, où il passa la Garonne et prit Bordeaux. Eudes, épouvanté de ces progrès, fut contraint d’appeler à son secours Charles-Martel, à qui peu auparavant il préparait une guerre si cruelle.

Ce prince revenait de Bavière où il avait remporté plusieurs victoires. Quoiqu’il n’ignorât pas les mauvais desseins du duc d’Aquitaine, il sacrifia ses mécontentements particuliers au bien de l’État et résolut de s’opposer aux Sarrasins. Cependant Abdérame, qui ne trouvait point de résistance, était entré bien avant dans les Gaules et ayant traversé tout le Poitou, il allait tomber sur Tours, quand Charles vint à sa rencontre. Là, s’étant joint avec les troupes du duc, il passa environ six jours à de légères escarmouches, après quoi on combattit un jour tout entier ; il se fit un grand carnage des Sarrasins, et Abdérame lui-même fut tué. Les Sarrasins ne laissèrent pas de tenir ferme et de combattre en leur rang ; de sorte que la mort de leur général ne fut en aucune sorte connue ni remarquée par nos troupes. La nuit sépara les combattants.

Le lendemain, Charles fit sortir son armée du camp et demeura longtemps en bataille ; et sur le rapport qu’on lui fit que les Sarrasins s’étaient retirés à la faveur de la nuit, il entra victorieux dans leur camp et y fit un grand butin. Après avoir mis ordre aux affaires d’Aquitaine, il fit heureusement d’autres expéditions contre ceux de Frise ; puis retournant en Aquitaine où Eudes avait renouvelé la guerre, il le contraignit à prendre la fuite. Eudes étant mort, Charles mit à la raison son fils Hunauld qui refusait d’obéir ; il réduisit les Bourguignons rebelles ; il battit les Maures de Septimanie et les chassa de cette province qu’il unit à la France ; au lieu que jusqu’alors elle avait appartenu à l’Espagne. Il vainquit les Saxons qui recommençaient la guerre, et fut cause par ses victoires qu’une multitude innombrable de peuples embrassa la religion chrétienne. Il prit Lyon et Avignon et dompta la Provence révoltée.

Par tant de grandes actions il mérita d’être appelé duc des Français après la mort de Thierry, arrivée en 737, et gouverna quelques années le royaume avec un pouvoir absolu, sans qu’on fit aucun roi. Il fut tellement redouté par ses voisins, qu’étant malade et épuisé de vieillesse et de travaux, il réprima par sa seule autorité sans y employer la force de ses armes, Liutprand roi des Lombards, qui tourmentait l’Église romaine et le Pape Grégoire III. Étant près de mourir il assembla les seigneurs et partagea le royaume de France entre ses trois enfants. Carloman eut l’Austrasie ; Pépin, la Neustrie, la Bourgogne et la Provence ; Grifon, né d’une autre mère, n’eut qu’un petit nombre de places et fut facilement dépouillé par ses deux frères peu après la mort de Charles Martel.

COMMENTAIRE DE LA RÉDACTION

« Le Fidèle : Seigneur, mon Dieu, je vois combien la patience m’est nécessaire ; car cette vie est pleine de contradictions. Elle ne peut jamais être exempte de douleur et de guerre, quoi que je fasse pour avoir la paix. »

« À combien d’hommes a été funeste une vertu connue et louée trop tôt ! Que de fruits, au contraire, d’autres ont tirés d’une grâce conservée en silence durant cette vie fragile, qui n’est qu’une tentation et une guerre continuelle !  » (Imitation de Jésus-Christ)

Les règnes des rois étudiés par Bossuet nous intéressent tout particulièrement car l’apparition de Charles Martel — devenu le symbole que vous savez — résonne dans notre actualité migratoire. Nous noterons cependant qu’avant de parler de Charles Martel comme le sauveur de la France face à l’invasion islamique, Bossuet nous rappelle qu’il fut l’ardent défenseur de la légitimité royale, contre les divisions intérieures et les injustices et ambitions personnelles. Charles Martel est ici décrit comme privilégiant le bien commun et la justice au point de sacrifier des vengeances ou des ambitions personnelles, pourtant encore à l’époque tout à fait justifiées dans une société imparfaitement christianisée dans ses mœurs politiques.

Notons encore un enseignement précieux pour notre temps : il s’agit de se battre pour la cause juste, pour défendre la justice et la légitimité, mais pour cela il faut être fort et redouté. Charles Martel n’était pas un rigolo, et il savait se faire respecter, non pas pour sa gloriole personnelle, mais pour la gloire de Dieu et du Roi, qu’il devait représenter ; son honneur était donc lié irrémédiablement à l’honneur de ses mandateurs. Sachons nous aussi être forts et fermes, virils et musclés, violents quand cela nécessaire, toujours pour une bonne cause et l’honneur de Dieu et du Roi !

« La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique.
La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste.
La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice, et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste.
Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » (Blaise Pascal)

Comme le dit Pascal, suivant le simple bon sens immémorial, il faut que la justice ait la force ; la justice sans la force ne survit pas longtemps…

Charles Martel se faisait redouter, comme Dieu sait se faire craindre, et cette crainte force le respect, qui peut ensuite se transformer en amour charitable. Tant que le pouvoir est moqué ou traité avec légèreté, le travail de restauration ne peut commencer !

Notons encore la clairvoyance de Bossuet sur sa description synthétique de la fausse religion mahométane : il souligne directement la fusion du politique et du religieux à travers le « roi-pape » nommé calife, vicaire de Dieu sur terre, avec une religion au caractère farouche et guerrière, remplie de fables et de superstitions. Bossuet souligne par ailleurs la réalité historique qui a amené à l’invasion : la trahison intérieure et les divisions, qui conduisirent à une alliance contre-nature avec l’infidèle, pour régler et assouvir des penchants ou des profits personnels. Notons encore que, après l’écroulement des rois catholiques en Espagne, sorte de justice immanente pour les punir de leur désunion, c’est au nom de la domination wisigothique que les premiers musulmans s’introduisirent dans le sud de la France… L’homme a toujours besoin d’invoquer un titre de légitimité pour pouvoir agir, sinon la conquête ne dure pas.

Toute cette histoire résonne grandement aujourd’hui, alors que des traîtres français, au nom d’intérêts électoraux ou idéologiques, ont soutenu ou continuent de soutenir l’immigration de masse !

Chaque époque a eu ainsi ses guerres et ses grandes difficultés, qui ne furent surmontés que grâce à des sacrifices tournés vers Dieu et à la fidélité aux légitimités. Imaginez Charles Martel lui-même se démenant pour des rois qui ne gouvernaient pourtant pas et qui mouraient tous presque immédiatement une fois sur le trône ! Fais ce que dois, advienne que pourra !

Alors, imitons nos ancêtres dans leur vertu et défions-nous d’eux dans leur vice, ayant sous les yeux les conséquences de leurs mauvaises actions. Et battons-nous pour la restauration !

Paul de Lacvivier


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