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La patrie de la France, par le P. Joseph d’Avallon

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Mes biens chers frères, en ce premier centenaire de la proclamation de sainte Jeanne d’Arc comme la patronne secondaire de la France, je voudrais, à l’heure de la disparition des patries, vous parler justement de cette notion de patrie et de la nécessité de celle-ci, car les hommes ne survivront pas si les patries disparaissent. Le nouvel ordre mondial est destructeur des patries et de l’humanité : c’est ce que nous montrerons, et nous demandons à sainte Jeanne d’Arc de nous indiquer comment mener la bataille pour conserver nos patries.

Au siècle de Jeanne, déjà, on trouvait dans les instances dirigeantes de la France une coterie qui, par calcul, était seulement préoccupé de savoir qui l’emporterait. Bien choisir, à ses yeux c’était être du coté des vainqueurs afin de protéger ses intérêts privés. Jusque dans l’entourage du Dauphin, et jusque dans l’entourage de Jeanne, agissait dans l’ombre une clique de Ganelons, de Cauchons, une mafia dont les intrigues cherchaient à faire avorter la mission johannique ! Mais qu’en est-il au XXIe siècle ?

Si le mot patrie subsiste dans La Marseillaise, il fait désormais partie de ces termes désuets qu’on n’entend plus guère, ainsi que l’avait déjà remarqué Pie XII en 1958 : « Aujourd’hui on rencontre parfois des concitoyens qui semblent pris de la crainte de se montrer particulièrement dévoués à la patrie. Comme si l’amour de sa terre pouvait signifier nécessairement un mépris envers les terres des autres ; comme si le désir naturel de voir sa propre patrie belle, prospère à l’intérieur, aimée et respectée à l’étranger, devait être inévitablement une cause d’aversion à l’égard d’autres peuples. Il existe même des personnes qui évitent de prononcer le mot de « patrie » et qui tentent de lui substituer d’autres noms plus appropriés, pensent-ils, à nos temps. Chers fils, il faut convenir que parmi les signes d’une désorientation des âmes, cet amour diminué pour la patrie, cette plus grande famille qui vous a été donnée par Dieu, n’est pas un des derniers ».

Aujourd’hui, l’amour de la France, l’amour de la patrie, n’est plus éveillé dans le cœur des enfants. Si l’on utilise encore le mot, c’est pour désigner la patrie des droits de l’homme, la patrie de la Révolution, et l’unique titre de grandeur de notre pays serait celui de la révolution de 1789, exportée dans le monde entier. Pour bien comprendre cela, j’utiliserai le langage que nous sommes habitués à employer pour parler de la crise de l’Église : de même qu’il y a l’Église catholique et l’Église conciliaire qui est sa contrefaçon et qui la détruit, de même il y a deux patries : la patrie réelle, la patrie de la France, et la patrie révolutionnaire, comme l’a excellemment montré Jean de Viguerie. Une patrie révolutionnaire qui cherche à supplanter la vraie patrie et qui s’en nourrit. C’est cette patrie abstraite des droits de l’homme qui amène à l’abolition de la vraie patrie, qui conduit au cosmopolitisme et au planisme mondialisé. C’est un mécanisme parfaitement logique et efficace pour détruire les patries.

La Déclaration des Droits de l’Homme est le cri insurrectionnel du monde moderne contre Dieu et contre l’ordre divin, tant surnaturel que naturel, or Dieu a voulu trois sociétés principales, une dans l’ordre surnaturelle qui est l’Église, et deux dans l’ordre temporel et naturel qui sont la famille et la patrie. Nous ne devons donc pas nous étonner de voir l’acharnement des ennemis de Dieu et de l’ordre divin pour détruire, et l’Église, et la famille, et la patrie, mais ici, nous ne parlerons plus maintenant que de la patrie.

Sans doute, les oligarques qui nous dirigent ne peuvent faire autrement que de nous parler encore de la France, ils ne peuvent dire ouvertement que leur volonté est la suppression de la France, mais nous devons nous rappeler que nous vivons en plein nominalisme, en parfait langage orwellien. Orwell disait : « la guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force » et nous ajoutons pour nos dirigeants d’aujourd’hui : « aimer la France, c’est la faire disparaitre, c’est la dissoudre dans l’idéologie d’un heimatlos, considérée désormais comme la norme universel à promouvoir ». Oui, nous abusons très réellement des chantres de la patrie des droits de l’homme, des plastronneurs de la République.

Après ce premier pas que fut le régicide, parricide du 21 janvier 1793, ils ont franchi un second pas : celui du patricide — on me permettra ce néologisme. Ils sont là pour détricoter l’héritage français et défranciser la France. Nous les reconnaissons comme les chefs de la France révolutionnaire et de l’Anti-France, non point comme les chefs de la France réelle. Est-il besoin de mentionner quelques-uns des exploits de ces apatrides de la République et de ces Capétiens de l’Anti-France ? Au nom de leur utopie mondialiste, ils ont bel et bien sacrifié les Français et la France par l’abandon successif de toutes les prérogatives régaliennes, sans lesquelles une nation n’en est plus une : signature de traités dans la ligne de celui de Troyes, qui scelle la déchéance de la France et en font un pion du système européiste et mondialiste ; boursouflage des régions au sein du pays pour favoriser son éclatement et faire entrer plus facilement les provinces impuissantes et inoffensives dans le malaxage et le métissage mondialistes ; provocation d’un tsunami migratoire, très majoritairement musulman de surcroît ; chaque année, assassinat légal de 300 000 petits Français dans le sein de leur mère ; création du complexe français par le dénigrement systématique et la flétrissure de tout son passé d’avant 1789 ; volonté publique de décérébration, d’aveulissement et d’avilissement d’un peuple pour rendre impossible toute réaction ; volonté de la subversion de la langue française elle-même, encore plus rapide que celle de son sol, par tous les sabirs de la décadence ; négation et reniement inouïs des racines chrétiennes d’un pays qui ne s’explique que par le christianisme… Où en est aujourd’hui ce processus de sacrifice du pays réel sur l’autel de la Déclaration des Droits de l’Homme et du culte de l’homme ? Il est si avancé que, selon les critères politiques aristotéliciens et thomistes, la France réelle n’existe plus. Certes, elle existe encore dans nos esprits et dans nos cœurs, mais comment parler encore d’un pays lorsque celui-ci n’est plus qu’un morceau ou un pion du puzzle mondial, un territoire non plus indépendant mais dépendant ? Qu’est-ce qu’un pays qui a perdu sa souveraineté ?

Alors, une question se pose pour nous. Faut-il que nous nous battions encore pour notre patrie, pour que le sentiment français survive et qu’un jour la France revive, pour que la France ne soit pas un terrain vague parmi les autres, occupée par des apatrides qui auront perdu toute idée de ce qu’elle est ? N’y a-t-il pas pour nous, finalement, des combats plus urgents que celui de la survie ou de la résurrection de la France ?

Nous revenons à Jeanne pour répondre à cette question. On a souvent donné comme motif à la mission que Jeanne a reçu de Dieu le risque pour la France au siècle suivant d’être emportée par le schisme anglican. Certes, et on peut aussi ajouter à cette raison que Dieu n’a pas voulu laisser s’accomplir une injustice qui aurait entraîné les plus graves perturbations de l’équilibre européen. C’est vrai aussi, mais il ne faut pas oublier que Dieu sait mieux que nous la nécessité de notre enracinement et la folie de croire qu’un peuple qui avait déjà presque mille ans eût pu être brutalement transplanté d’un humus sur un autre. Pas plus qu’on ne peut changer de père, de mère ou de famille, on ne peut changer de patrie !

La patrie est tellement moi-même que l’opération qui consisterait à m’en séparer s’apparenterait à un meurtre — au moins spirituel. Même si je suis membre de la plus démunie des familles française, je suis détenteur d’un héritage d’une valeur inestimable. À moi, la variété et la beauté des paysages, des villages et des rivages français ; à moi les plus humbles chapelles et les plus belles cathédrales, à moi le jardin de mon père, les clochers de mon pays et les tours de Notre-Dame. Je m’enorgueillis de la Chanson de Roland, des pièces de Corneille et des sermons de Bossuet. Je suis chez moi au mont Saint-Michel comme au Louvre ; je manie une langue merveilleuse de clarté et de nuance ; je palpite aux héros et aux saints de cette terre de chevaliers des croisades ; je suis français, fils de la fille ainée de l’Église ! Je suis français et la France coule dans mes veines. Si vous assassinez la France, vous assassinez les Français, si vous méprisez le visage de la France et de ses Rois, si vous crachez sur les tombes de nos pères, vous nous déshonorez !  Je ne puis pas plus consentir au suicide de la France qu’à mon propre suicide car c’est une seule et même chose.

Quand vous me dites que ma patrie s’élargira au monde, je vous dis de vous souvenir des mésaventures d’Icare. Il voulut voler trop haut, alors le soleil fit fondre la cire qui faisait tenir ses ailes et il tomba dans la mer ! Il en va de même de vos bras, qui prétendent embrasser le monde, vous qui avez démontré que vous ne saviez pas embrasser la France. Ne me demandez donc pas d’embrasser le monde, et si vous me demandez d’embrasser la patrie des droits de l’homme, je vous répondrais par la voix de l’un des vôtres, Benjamin Constant, qui a stigmatisé cette utopie. Il disait : « tandis que le patriotisme n’existe que par un vif attachement aux intérêts, aux mœurs et aux coutumes des localités, nos soi-disant patriotes ont déclaré la guerre à toutes ces choses, ils ont tari cette source naturelle du patriotisme et l’ont voulu remplacer par une passion factice envers un être abstrait, une idée générale dépouillée de tout ce qui frappe l’imagination et de tout ce qui parle à la mémoire ».

Peut-être vous étonnez-vous que je n’aie pas encore cité comme argument en faveur de notre patrie, et les fonds baptismaux de Reims, et la sainte Ampoule, et les marques de prédilection de Dieu et de la Sainte Vierge sur la France ? C’est vrai, je ne l’ai pas fait, car je veux insister sur l’argument naturel principal? qui permet à tout homme de reconnaître l’obligation des patries. De la même manière que la grâce s’infuse dans une nature, la patrie française pour demeurer chrétienne doit continuer d’exister comme patrie. De même qu’il n’y a pas d’hommes baptisés s’il n’y a pas d’hommes à baptiser, il n’y a pas de France catholique à espérer s’il n’y a plus de France. Pas de Chrétienté possible sans patrie.

Ce que je veux dire encore, c’est que la disparition des patries, le village planétaire, n’est pas seulement une utopie antichrétienne, c’est une utopie anti-humaine. La fin des patries et l’heure du cosmopolitisme marquent la plus grave des répressions de la vie proprement humaine. Orwell avait posé la question qu’il faut poser : et si le but poursuivi devait être non pas de rester vivants, mais de rester humains ? En vérité, nous devons pousser encore plus loin la réflexion ! Les hommes asservis et les hommes déshumanisés, des hommes qui ne vivent plus selon leur nature humaine ne sont pas faits pour survivre. Nos tyrans ne sont pas seulement les déconstructeurs de la France et de la Chrétienté. Comme leur père le diable, ils sont homicides, malthusiens, stérilisateurs, avorteurs, partisans de l’euthanasie, créateurs de mariages stériles et négateurs et mutilateurs des sexes. Partout, c’est la mort qui avance avec eux. Leur apologie délirante du transhumanisme et du posthumanisme doit être décryptée pour ce qu’elle est, c’est-à-dire le rejet mortifère et la détestation de la nature et de la condition humaines. En effet, le transhumanisme indique ce mouvement qui consistera à laisser l’humanité derrière soi, pour autre chose, et le posthumanisme le stade où l’humanité aura disparu pour autre chose…

Transhumanisme et posthumanisme ont en commun la fin de la nature humaine, la fin de l’homme, la disparition de l’espèce humaine. En définitive, la disparition des patries, et c’est cela que nous devons comprendre, c’est l’extinction de la race humaine. Voilà pourquoi cela fait partie des choses  que l’on doit dire dans un sermon, parce que Dieu ne veut pas la péréclitation de la race humaine, mais sa continuation. En faisant disparaître les patries, c’est l’homme qu’on fait disparaître. En m’inspirant de la Boétie, je dirais qu’en embrassant la servitude mondialiste et en renonçant à nos patries, nous mourrons d’une mort honteuse, celle de ceux qui auront renoncé à leur patrie. En refusant cette servitude volontaire, nous n’éviterons peut-être pas la mort, mais cette mort ne sera pas honteuse.

Il nous reste à puiser quelque peu dans l’héritage johannique pour dire notre combat et notre espérance. Dieu n’a pas voulu la dislocation de la France au XVe siècle, il ne la veut pas plus aujourd’hui. Et  Dieu, qui a suscité sainte Jeanne d’Arc, peut refaire un miracle, cela ne lui coûte pas, pour sauver la France au XXIe siècle, mais Dieu n’est pas tenu de faire ce miracle pour un pays pour lequel il a déjà tant fait, et sur lequel il a fait descendre tant de bénédictions ! Dieu, sans doute, sonde aujourd’hui nos cœurs, le cœur des Français, pour savoir : sont-ils encore prêts à soutenir le combat pour le règne du Christ sur leur patrie ? Les Français aiment-ils encore la France ? Qui aujourd’hui est capable de supplier Dieu de nous faire Miséricorde, certes, mais aussi de se trouver assez déterminé pour mener le combat catholique et français, jusqu’à la mort s’il le faut ? La question de fond est de savoir si nous sommes encore des hommes libres.

Si nous nous sommes résignés à ployer le genoux devant les tyrans, à mendier leurs faveurs, à embrasser la servitude, Dieu ne fera rien pour ceux qui ne veulent pas se battre, mais si nous sommes Jeanne face à Cauchon, libre et fière, française et catholique, préférant la mort plutôt que le reniement de sa mission, alors, oui, nous pouvons tout attendre de Dieu, et nous mériterons peut-être le miracle que nous devons demander. Comme le dit le cardinal Pie, « notre sort est entre nos mains ! »

Sainte Jeanne disait et répétait : « plutôt demain qu’après, et plutôt aujourd’hui que demain », car pourquoi attendre, et qu’attendons-nous, quand le temps travaille contre nous, quand la maison de France est défaite et la patrie détricotée ? L’élan de Jeanne doit nous inspirer et déterminer le nôtre, la hardiesse de Jeanne enflammer nos courages, la prière de Jeanne soutenir nos cœurs. Elle est patronne secondaire de la France, et comme cette autre patronne, sa petite sœur normande sainte Thérèse de Lisieux, elle est là, dans le ciel, pour nous inspirer dans nos combat et combattre avec nous. Pouvons-nous rêver d’une meilleure inspiratrice et d’une meilleure conseillère ? Nulle comme elle n’a aimé la France. Alors, hardiment, contre les illusionnistes et les illusionnés de la paix, souvenons-nous avec elle que la paix, nous ne l’aurons qu’au bout de la lance !

Loin de nous le désespoir, qui est notre principal ennemi aujourd’hui. Ôtez l’espérance de la victoire, l’armée est en fuite ; ôtez l’espérance du laboureur, les champs sont incultes ! L’espérance, c’est la messagère du ciel, elle porte nos deux mondes à Dieu, elle est la fille de la Miséricorde de Dieu, elle vient relever les courages abattus et faire courir dans la voix des commandements de Dieu. C’est cette divine consolatrice qui a soutenu les martyrs et Jeanne dans leurs prisons. C’est elle qui leur a inspiré leur courage incomparable. Retenons les leçons johanniques, ayant conscience que le moindre fléchissement dans cette vertu entraîne d’immenses pertes pour la France et nos âmes !

En cette heure, alors que nous fêtons aujourd’hui la médiation universelle de la Très Sainte Vierge Marie, des chapelets sont récités dans toute la France. Sainte Thérèse, sainte Jeanne et Notre-Dame de l’Assomption, patronne principale de la France, nous vous demandons pour les fils et filles de France un regain d’espérance dans nos cœur et votre secours surnaturel auquel nous voulons croire aussi fort que la mère de sainte Jeanne d’Arc, pour que nous soyons les héritiers que nous devons être, des héritiers dignes de la foi qu’ils ont reçue, des héritiers dignes de ce nom. Et nous le serons dans cette unique mesure où, conscients de la grandeur de l’héritage français et catholique que nous avons reçu, nous le recevons comme nous le devons, avec vénération, et où nous désirons le transmettre aussi grand et beau qu’il est !

Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

P. Joseph d’Avallon, ofm. cap.

8 mai 2022 — Deuxième dimanche de mai
Fête de Notre-Dame Médiatrice de Toutes Grâces
Solennité de Sainte Jeanne d’Arc

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