HistoireLes chroniques du père Jean-François Thomas

Vincennes royal

  

                                          Les plus anciens parmi nous se souviennent sans doute de ces grandes affiches présentes dans les salles de classes des écoles laïques et républicaines, qui reproduisaient, semaine après semaine, les grandes heures de l’histoire de France. Les élèves attendaient avec impatience que le maître découvrît une nouvelle scène. L’une d’entre elles est reproduite ici. Il s’agit de saint Louis rendant la justice sous un chêne de la forêt de Vincennes, le château-forteresse royal se profilant en arrière-fond. Il peut être surprenant de découvrir, dans l’école héritée des idées de la révolution, une telle représentation. En fait, elle n’est pas aussi innocente que cela, puisque, dans la franc-maçonnerie, trois arbres forment une trilogie symbolique et mythique : l’olivier qui est la paix et la sérénité, considéré comme le premier arbre du monde, l’acacia, symbole de renaissance et d’immortalité, arbre de la connaissance, et enfin, le chêne qui est la puissance. Pour cette doctrine occulte, l’arbre relie les trois mondes, le ciel, la terre et ce qui est souterrain, il est la réalité absolue, en constante évolution, et il est revêtu d’un caractère sacré. L’anecdote, quasi légendaire, de saint Louis rendant justice sous un chêne, prend alors une dimension idéologique, le roi recevant du chêne, et non plus de Dieu par le sacre, son énergie et sa puissance.

                                          Vincennes ne se limite pas à un chêne. Ce château royal, pendant des siècles, fut une des principales résidences de nos rois, avec le palais de l’île de la Cité, ceci jusqu’à la construction des châteaux de la Loire par François I, des Tuileries et la transformation du Louvre. Saint Louis en est la figure emblématique car nous savons qu’il y résida plus de soixante fois, sur des périodes très longues. Il aimait sans doute ce palais austère à l’écart de la ville, construit au coeur de la forêt giboyeuse, dont le bois de Vincennes est le vestige tant apprécié des Parisiens aujourd’hui. Nul visiteur actuel du château ne peut ne pas éprouver la sensation que ces murs résonnent encore des échos de la cour de saint Louis alors qu’il recevait à sa table saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure. Et puis Vincennes, en sa Sainte Chapelle, fut le premier lieu où furent déposées les reliques de la Passion achetées à l’empereur de Constantinople par Louis IX en 1237, ceci avant leur transfert vers la Sainte Chapelle de la Cité construite tout exprès pour elles. Des fragments demeurèrent d’ailleurs ensuite dans des reliquaires confiés à l’Ordre de Saint-Michel dont le siège fut ce sanctuaire de Vincennes, précieuses reliques disparues, comme tant d’autres merveilles et objets sacrés, à la révolution. Lorsque le roi part pour la croisade en 1248, il prend congé de sa famille à Vincennes. Saint Louis, certes, n’est pas le constructeur de Vincennes, beaucoup plus ancien puisqu’un relais de chasse royal s’y élevait sans doute déjà sous Louis VII, au coeur de cette forêt qui était la propriété du diocèse de Paris sous les Mérovingiens et qui devint royale sous les Capétiens. Aux XIII° et XIV° siècles, les rois prendront l’habitude de séjourner longuement dans le château, quittant alors le palais de la Cité ou quelque autre demeure royale, ceci de Philippe III à Charles IV. Louis X le Hutin y naîtra et y mourra, sans l’avoir beaucoup quitté. Vincennes, pendant la guerre de Cent ans, devient le lieu des décisions politiques, tout en demeurant une demeure familiale où les reines donnent naissance à des ribambelles d’enfants, telle Bonne de Luxembourg, l’épouse de Jean le Bon (dont nous possédons, au Louvre, le premier portrait français), qui donne au royaume quatorze héritiers. Anecdote savoureuse : Vincennes fut le lieu où nous fîmes bouillir un roi d’Angleterre. En effet, Henri V, que Shakespeare immortalisa, fut reconnu par le traité de Troyes en 1420, comme régent et héritier du trône de France. Il épousa la fille de Charles VI et devait devenir roi de France à la mort de ce dernier. Mais, épuisé par les batailles, il mourut de dysenterie à Vincennes. Comme il n’était pas encore roi de France, il fut décidé de renvoyer le corps en Angleterre. Dans un état de putréfaction avancée, le cadavre, fut, selon une coutume de l’époque, le mos teutonicus, « bouilli en une poesle », afin de séparer les os de la chair et  le tout, mélangé d’épices et de plantes aromatiques, fut envoyé dans son pays natal.

                                          Du XII° au XIV° siècles, les constructions s’ajoutent les unes aux autres de façon disparate. Charles V sera le grand organisateur de ce complexe. Sa présence est encore manifeste puisque le donjon restauré permet de découvrir ses appartements, très éloignés du faste de Versailles. Les rois et les moines vivent pratiquement de la même façon à l’époque. Il fait ériger le mur d’enceinte et les tours, dont beaucoup seront détruites par Napoléon I°. Les travaux durent deux générations. Louis XI fera de Vincennes sa résidence officielle sans habiter le donjon, mais dans un logis plus moderne et pratique, disparu aujourd’hui. François I°, plus tard, restaurera ce logis afin d’y habiter durant ces séjours parisiens et dans l’intention d’y accueillir Charles-Quint, qui n’y mettra pas les pieds. C’est lui et Henri II qui terminèrent la Sainte Chapelle, consacrée en 1552. A elle seule, elle vaut le déplacement (le pèlerinage) à Vincennes. Charles IX va mourir dans le donjon alors que la cour s’est réfugiée à Vincennes. La forteresse commence à devenir le lieu de séjour d’hôtes illustres retenus prisonniers. Après l’assassinat d’Henri IV, Marie de Médicis s’inquiète pour son fils Louis XIII et l’installe à Vincennes où il va grandir. Mazarin y mourra et son corps sera exposé dans la chapelle. Par la suite, dernières heures de gloire de la demeure, Louis XIV en fera un de ses premiers chantiers avant de l’abandonner pour Versailles. Du début de son règne datent les pavillons dits du Roi et de la Reine. Louis Le Vau en est l’architecte et des jardins sont dessinés. Louis XV sera le dernier monarque à y séjourner juste après la mort de Louis XIV et selon la volonté du défunt roi, avant de gagner les Tuileries. Il transformera l’ensemble en Ecole militaire, en 1751, avant que cette dernière ne déménageât pour les magnifiques locaux qu’elle occupe toujours sur la rive gauche à Paris. La première manufacture de porcelaine de Sèvres y fut installée, puis une fabrique d’armes. Le donjon est transformé en prison pour des personnes de haute lignée, comme le cardinal de Retz et Nicolas Fouquet, ceci dès le règne de Louis XIV, puis Voltaire, le marquis de Sade et Mirabeau. Le duc d’Enghien qui sera fusillé de façon scélérate dans les fossés de la forteresse y passera également ses derniers jours.

                                          En 1784, le château est rayé des listes royales, comme d’autres résidences, ainsi Blois et le château de Madrid. Ces propriétés sont mises en vente, avec droit, pour l’acquéreur, de les détruire. Seul ce dernier sera acheté et connaîtra ce triste sort. En 1788, la démolition est programmée, ceci après la suppression du collège des chanoines en charge de la Sainte Chapelle. De façon ironique, la révolution va sauver ce précieux témoignage de nos rois, ceci grâce à La Fayette qui arrêtera la foule des furies voulant abattre cette seconde Bastille… En 1796, Vincennes devient l’Arsenal de Paris, la chapelle étant transformée en magasin. Les guerres napoléoniennes participent au développement de cet arsenal. Napoléon III sauvera l’ensemble en confiant la restauration du donjon et de la Sainte Chapelle à Viollet-le-Duc. C’est lui aussi qui remettra le bois de Vincennes à la Ville de Paris.

                                          Au XX° siècle, Vincennes connaît bien des déboires. Mata Hari, l’espionne, est fusillée dans ses fossés. Des divisions SS s’installent dans la forteresse après leur retraite de Normandie en 1944 et fusilleront trente otages avant de quitter les lieux en faisant exploser les dépôts de munitions, ce qui détruit par un terrible incendie, faisant rage pendant huit jours, les deux pavillons du Roi et de la Reine. Depuis, la restauration est lente, même si le général De Gaulle eut la ferme intention, abandonnée ensuite, de transférer le siège de la présidence de la République de l’Elysée à la forteresse royale. Il existe d’ailleurs un plan de repli des services présidentiels à Vincennes, le plan Escale, en cas de problème à Paris, officiellement une crue de la Seine, mais sans doute plus probablement un soulèvement populaire…

                                          Les Français attachés à la monarchie devraient tous se rendre à Vincennes, plus qu’à Versailles ou dans les châteaux de la Loire, car cette résidence royale a connu, depuis les Capétiens, des heures brillantes et tragiques de notre histoire, et aussi parce qu’elle est un écho du palais de la Cité avec sa Sainte Chapelle. Ce lieu a accueilli les reliques de la Passion, il est béni, il est sacré. Les touristes ne s’y pressent guère aujourd’hui, préférant le zoo tout proche. Cet écrin royal invite au silence, à la contemplation, au recueillement. Il est une des racines de notre pays et il ne doit pas mourir. Voilà l’endroit où le prochain roi régnant devrait s’installer, de façon monacale et à la suite de saint Louis.

                                                        P.Jean-François Thomas s.j.

                                                        S.Romuald

Une réflexion sur “Vincennes royal

  • Merci au P. Thomas de m’apprendre un motif d’atténuer la détestation de La Fayette, ce petit-maître vaniteux et irresponsable.

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