Chretienté/christianophobieCivilisationHistoireLes chroniques du père Jean-François Thomas

Sur les traces de saint Ignace de Loyola (2), par le Père Jean-François Thomas s.j.

II 1523 À Jérusalem

Lorsque Inigo arrive à Barcelone en février 1523, son désir est de s’embarquer le plus rapidement possible pour rejoindre Jérusalem. Nul projet de fonder un ordre religieux à cette époque, mais le zèle pour convertir les infidèles à la vraie foi. Il s‘imagine passant le reste de sa vie en Terre Sainte, malgré la persécution par les musulmans qui occupent le territoire.  Auparavant, il lui faut obtenir licence papale pour atteindre les lieux saints. Aussi, après un voyage en bateau jusqu’à Gaëte, il poursuit son chemin à pied jusqu’à Rome, toujours en mendiant et en poursuivant sa vie d’ascèse et de prière.

Le 31 mars, il est reçu par Adrien VI qui lui accorde les autorisations nécessaires. L’Italie est alors en proie à une terrible épidémie de peste. Année tragique aussi car Soliman le Magnifique arrache Rhodes aux Chevaliers de Saint Jean, tandis que l’anabaptisme apparaît en Allemagne. Inigo ne se laisse impressionner par aucun obstacle, persuadé qu’il est appelé en Terre Sainte pour le service du Christ. Il marche jusqu’à Venise où il arrive en mai, aussitôt repéré par un riche Espagnol qui reconnaît en lui la graine de sainteté et lui obtient une audience avec le Doge qui lui accorde de voyager sur le bateau transportant les ambassadeurs de la république jusqu’à Chypre. La divine Providence semble donc guider tous ses pas et écarter devant lui tous les obstacles.

Le 31 août, il débarque à Jaffa, sur un vaisseau de pèlerins parti de Chypre. Quelques jours plus tard, il découvre Jérusalem. L’accord entre la puissance mahométane et l’Église permet aux pèlerins de se recueillir dans ce qui reste des sanctuaires autrefois magnifiques, ceci sous la protection des Franciscains de la Custodie. Du 5 au 22 septembre, le pèlerin prie dans les différents lieux saints de la ville avec les autres fidèles, toujours sous bonne garde des Franciscains.

Ce temps béni est crucial pour la suite de la vie du futur saint. Dans son Autobiographie, saint Ignace rapportera ainsi son arrivée et dévoilera clairement son projet : « En découvrant la ville, le Pèlerin eut une grande consolation, laquelle, d’après ce que disaient les autres, fut générale, jointe à une allégresse qui paraissait différente d’une allégresse naturelle. Il éprouva toujours la même dévotion dans ses visites aux Lieux Saints. Son plan bien arrêté était de demeurer à Jérusalem en visitant sans cesse les Lieux Saints. Il se proposait également, en plus de cette dévotion, d’aider les âmes. À cet effet il avait apporté des lettres de recommandation pour le père Gardien. Il les lui donna et lui dit son projet de rester sur place par dévotion ‹ mais non la seconde partie de ce projet, à savoir qu’il voulait être utile aux âmes, parce que cela il ne le disait à personne, tandis que la première partie il l’avait à plusieurs reprises divulguée. » Ces mots révèlent à quel point Inigo, le Pèlerin, est attaché à son idée, à tel point qu’il ne livre au Père Gardien qu’une partie de la vérité.

Cette prudence demeurera une caractéristique pour la suite. Il n’affirmera jamais rien qu’il ne fût totalement certain des tenants et des aboutissants. Toujours dans l’élan de sa conversion à Loyola et de son expérience spirituelle de Manrèse, il recherche avant tout le martyre, ce qui lui aurait été quasiment assuré s’il avait pu mener à bien son plan. Hélas, le Provincial des Franciscains, de passage, ne lui permit pas de rester à Jérusalem. Il est intéressant de se pencher sur la réaction du Pèlerin, d’abord têtu, puis obéissant : « Le Provincial lui dit, avec des paroles affables, comment il avait appris sa bonne intention de rester aux Lieux Saints et qu’il avait beaucoup réfléchi à cette chose mais que, fort de l’expérience qu’il avait faite avec d’autres, il jugeait que cela ne convenait pas. Beaucoup en effet avaient eu ce désir et tel d’entre eux avait été pris, tel autre était mort. Et puis l’Ordre était obligé de racheter ceux qui se faisaient prendre. C’est pourquoi il le priait de se préparer à partir le lendemain avec les pèlerins. Il répondit à cela qu’il avait son plan bien arrêté et qu’il estimait ne pouvoir pour aucun motif renoncer à le mettre en œuvre. Il donna courtoisement à entendre que, même si le Provincial n’était pas de cet avis et sauf s’il y était obligé sous peine de péché, aucune crainte ne lui ferait abandonner son projet. À cela le Provincial répondit qu’ils détenaient du Siège apostolique l’autorité de faire quitter les lieux ou de maintenir sur place qui bon leur semblerait et d’excommunier quiconque ne voudrait pas leur obéir et qu’ils jugeaient, en l’occurrence, que le Pèlerin ne devait pas rester, etc. Comme il voulait lui montrer les Bulles par lesquelles ils avaient le pouvoir de l’excommunier, il lui dit qu’il n’avait pas besoin de les voir et qu’il en croyait leurs Révérences. Puisqu’elles jugeaient ainsi, avec l’autorité quelles détenaient, il leur obéirait. » (Autobiographie)

D’aucuns pourraient croire que les jeux sont faits et qu’Inigo s’incline alors de bonne grâce. C’est oublier qu’il est basque et qu’il ne s’avoue jamais vaincu. Là se situe un épisode extraordinaire de ce pèlerinage : « Cette affaire achevée, comme il retournait à l’endroit où il se trouvait auparavant, il lui vint le grand désir de visiter à nouveau le mont des Oliviers avant de s’en aller, puisque ce n’était pas la volonté de Notre Seigneur qu’il restât dans ces Lieux Saints. Sur le mont des Oliviers il y a une pierre d’où Notre Seigneur s’éleva vers les cieux et l’on voit aujourd’hui encore les marques de ses pieds. C’est cela qu’il voulait retourner voir.

Et alors, sans rien dire à personne ni prendre de guide, (ceux qui vont là-bas sans avoir un Turc comme guide courent un grand péril), il se faufila hors du groupe des pèlerins et s’en fut tout seul au mont des Oliviers. Les gardes ne voulurent pas le laisser entrer. Il leur donna le petit canif de l’écritoire qu’il portait sur lui. Après avoir fait son oraison avec une vive consolation, il fut pris du désir d’aller à Bethphagé. Il s’y rendit. Là, il se souvint qu’il n’avait pas bien regardé sur le mont des Oliviers de quel côté était le pied droit et de quel côté le pied gauche. Il retourna là haut et je crois qu’il donna ses ciseaux aux gardes pour qu’on le laissât entrer. » (Autobiographie)

L’entêtement d’Inigo n’est pas encore celui d’un saint, mais il s’attache à chaque pas du Christ, désirant mettre les siens à sa suite. Sa curiosité à bien mémoriser la place des pieds de Notre Seigneur lors de son Ascension est sans doute à mettre en relation avec la mission universelle : lorsque le Sauveur s’éleva vers le ciel, regardait-Il vers l’Est ou vers l’Ouest ? Pour atteindre son but, Inigo n’hésita pas à utiliser la corruption, – certes modeste, sans se soucier par ailleurs de l’inquiétude que causa sa disparition : « Quand on apprit au monastère qu’il était parti de la sorte sans guide, les moines firent diligence pour l’envoyer chercher. En effet, comme il descendait du mont des Oliviers, il tomba sur un chrétien de la ceinture qui servait dans le monastère, lequel, brandissant un grand bâton et manifestant une vive colère, faisait mine de vouloir le rosser et, l’ayant rejoint, le saisit avec rudesse par le bras. Lui, se laissa facilement emmener. Mais le brave homme ne desserra plus son étreinte. En allant sur ce chemin, empoigné de la sorte par le chrétien de la ceinture, le Pèlerin reçut de Notre Seigneur une grande consolation : il lui sembla voir le Christ sans cesse au-dessus de lui. Et cela, jusqu’au moment où il arriva au monastère, dura toujours, en grande plénitude. »

Tout est bien qui finit bien certes, mais Inigo a désobéi et a même mis en danger la présence des Franciscains à Jérusalem car ces religieux se trouvaient constamment sur le fil du rasoir avec l’autorité musulmane. Non seulement il n’éprouva aucun remords, mais il se sentit en conformité avec le Christ bafoué dans sa Passion, bénéficiant d’une grâce insigne, celle d’une apparition du Sauveur le protégeant. Ce signe du ciel, à la veille de son départ précipité de Terre Sainte, lui fut envoyé alors que tous ses plans d’évangélisation et de martyre s’écroulaient. Il ne fut pas affecté par cet échec car il savait qu’une autre voie s’ouvrirait à lui à son retour en Europe. La traversée fut haute en couleurs, parsemée d’aventures, de tempêtes et de naufrages puisque le navire mit trois mois et demi pour rejoindre Venise.

Toujours mendiant et ascétique, l’homme qui retrouve la terre chrétienne n’est plus entortillé dans ses projets personnels, aussi vertueux fussent-ils. Il pourra alors commencer à se mettre vraiment au service de la plus grande gloire de Dieu.

Jean-François Thomas s.j.

Corneille et Cyprien

Euphémie, Lucie et Géminien

                                                        16 septembre 2022

                                                       

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