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Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (3)



Les actes des communications des sessions du centre d’études historiques paraissent une fois par semaine, chaque samedi. Les liens des communications en bas de page.

Centre d’Etudes Historiques

1661, la prise de pouvoir par Louis XVI.

Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques (7 au 10 juillet 2011)

Collectif, Actes dela XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV, CEH, Neuves-Maisons, 2012, p.119-162.

Par l’abbé Christian-Philippe Chanut

Giulio Mazarini naquit et grandit au sein de cette inconvenante domination espagnole, sans se poser le moins du monde la question de sa légitimité. D’aussi loin qu’elle s’en pouvait souvenir, au moins depuis que son grand-père a quitté Montaldeo, en Ligurie, pour Palerme, en Sicile, sa famille était liée à l’Espagne et c’était par l’Espagne que son père est devenu romain. Son père, Pietro Mazarini, était au service du prince Colonna, connétable du royaume de Naples, et grand d’Espagne, dont la lignée comptait cinq papes et une infinité de cardinaux. Quand son fils Jérôme, futur cardinal, partit étudier en Espagne, le prince Colonna le fit accompagner par le jeune Mazarini qui suivit les cours de l’université d’Alcala de Henares. Le jeune homme aimait l’Espagne dont il aima toujours parler la langue qu’il écrivait parfaitement, mais pendant les trois ans agréables qu’il y passa, il sut faire la part des choses qu’il observait attentivement, jusqu’à comprendre que la faiblesse de l’Espagne viendra de sa force apparente, singulièrement « l’orgueil castillan, le culte de la pureté du sang, le mépris du travail, le caractère archaïque d’une économie fondée sur l’exploitation des mines d’or et d’argent d’Amérique »[1] ; il faut y ajouter un trop grand nombre de territoires dispersés et très différents. Mazarin fut progressivement persuadé que si le Saint-Siège remettait entièrement sa conservation temporelle aux mains de l’Espagne, il s’affaiblirait en même temps qu’elle, et ne pourrait plus influencer les autres princes catholiques qui, tôt ou tard, entreraient en conflit avec elle. À part les vieux restes des dévots bornés qui n’avaient d’espoir qu’en l’Espagne, qui blâmerait Mazarin ? Sûrement pas le pape Urbain VIII Barberini (1623-1644) qui, sous le couvert de la neutralité, joua finement contre l’extension de la domination des Habsbourg en Italie. Il en alla tout autrement de ses deux successeurs, Innocent X Pamfili (1644-1655) et Alexandre VII Chigi (1655-1667), élus contre la France et grâce à l’Espagne, qui restèrent imperméables à tout accommodement raisonnable : parce qu’ils aspiraient à la paix espagnole et non pas à la paix avec l’Espagne, l’un fut marginalisé lors de la paix de Westphalie (1648) et l’autre ne fut même pas consulté lors de la paix des Pyrénées (1659). Il n’entrait pas dans les plans du cardinal Mazarin d’affaiblir le Saint-Siège, mais de le libérer de la tutelle espagnole dont l’affaiblissement était inexorable, pour lui rendre sa qualité d’arbitre des princes catholiques, garantie par la France.

Lorsque mourut le cardinal de Richelieu (4 décembre 1642), l’abbé de Saint-Cyran qui avait été incarcéré (14 mais 1638), sous une fausse accusation mais pour de bonnes raisons de police, était toujours retenu à Vincennes, bien que son procès pour hérésie fût tombé à l’eau. Comme beaucoup de ceux avaient été frappés par les arrêts de l’implacable cardinal, il bénéficia de la clémence royale et fut libéré (février 1643) ; aveugle et malade, il ne tarda pas à mourir d’apoplexie (11 octobre 1643).

À cette époque, l’«Augustinus » (paru en septembre 1640) était déjà accusé de renouveler les erreurs de Baïus et de Calvin : nier le libre-arbitre et affirmer que Jésus-Christ n’a prié et n’est mort que pour les seuls élus. Un décret de l’Inquisition romaine (1er août 1641) l’avait condamné, avec tous les livres qui seraient écrits pour ou contre lui.

Le cardinal de Richelieu avait craint de voir le grand public séduit par des contestations déduites de Jansénius dont il se souvenait qu’il n’avait naguère publié le « Mars Gallicus » (1635), contre sa politique étrangère anti-espagnole. Alors que les partisans de la doctrine de Jansénius qui étaient « ardents » et avaient « de l’esprit » (selon le nonce apostolique), avaient « de la peine à se tenir d’écrire pour le défendre », il semblait à « la meilleure partie » des docteurs de Sorbonne qu’il n’était « pas expédient de rien faire, ni pour ni contre, leur semblant qu’on ne peut approuver ou réprouver cet ouvrage ex toto »[2]. En attendant que Rome agît, « pour expédier cette affaire efficacement », le cardinal de Richelieu avait ordonné au théologal de Notre-Dame, Isaac Habert[3], futur évêque de Vabres, de prêcher contre l’« Augustinus ». Adversaire irréductible des idées et des hommes du jansénisme, M.Habert se régala des rapprochements entre les doctrines de Jansénius et de Calvin, soutenant que le saint Augustin de Jansenius n’était qu’« un saint Augustin mal entendu, mal expliqué, mal allégué ». Les adversaires de l’« Augustinus », si bien soutenus par l’éminentissime cardinal-duc qui les entretenait, en furent les meilleurs propagateurs, et si l’on n’osa guère en faire alors une trop grande défense publique, on se rattrapa après sa mort : « Depuis la mort du cardinal de Richelieu, on commence à parler, dans les écoles et des les chaires, de la doctrine de Jansenius. Quelques-uns s’émancipent déjà à la condamner d’hérétique, entre autres les Pères Jésuites ; et il y a d’autres réguliers et séculiers qui la défendent comme conforme à celle de saint Augustin. C’est pourquoi il serait bon d’y apporter remède ; car les raisons et les persuasions ne peuvent apaiser les contestes. »[4]

Après la mort de Louis XIII (14 mai 1643) et pendant les premiers temps de la régence d’Anne d’Autriche, les partisans de l’« Augustinus » n’avaient pas, en tant que tels, assez d’importance politique pour soucier le cardinal Mazarin qui avait fini par succéder au cardinal de Richelieu. Tout occupé à se maintenir à la tête du Conseil où la Régente l’avait mis, le cardinal Mazarin n’avait aucunement l’intention de s’embarrasser de controverses sacramentelles et morales qui, tout bien pesé, lui semblait avoir au moins l’avantage de diviser les dévots entre eux pour porter leur ardeur ailleurs que sur le terrain politique. Une bonne part d’entre les dévots lui avaient déjà manifesté une vive hostilité, puisque le nouveau cardinal-ministre continuait contre l’Espagne la politique de Richelieu.

Si, en son temps, l’abbé de Saint-Cyran s’était imposé comme un des principaux et des plus dangereux inspirateurs des dévots, ses héritiers qui lui étaient bons disciples, donnaient plutôt l’exemple du refus des ambitions et des plaisirs du monde. Néanmoins, parmi les gens qui soutenaient peu ou prou les thèses de Jansenius, il s’en trouvait qui affichaient très peu d’entrain en faveur du cardinal Mazarin. Combien de gens qui n’entendaient pas grand-chose aux subtilités de la grâce, qui ne comprenaient rien à son efficace et à sa suffisance, voire qui s’inscrivaient parmi les pécheurs publics, se crurent amis de l’« Augustinus » parce qu’ils étaient les ennemis de Richelieu qui l’avait combattu, puis de Mazarin qui le continuerait sans doute.


[1] Simone Bertière : « Mazarin, le maître du jeu ».

[2] Lettre du cardinal Grimaldi, nonce apostolique en France, au cardinal Barberini, datée du 9 mars 1641.

[3] Issac Habert, fils d’un valet de chambre du roi Henri III, est né aux environs de 1600. Dès 1623, il fit paraître, sous le titre de « Pietus regia », un volume de vers latins qu’il dédia au cardinal de Richelieu. En 1626, il était reçu docteur de la faculté de théologie. Il fut mêlé à la condamnation de la « Somme de théologie » du P. Garasse. Il fit partie, avec Hardivillier (futur archevêque de Bourges) du groupe des vingt-neuf docteurs séculiers, qui réclamaient du parlement confirmation et application des anciens arrêts, et en vertu desquels chaque maison de mendiants ne pouvait envoyer que deux docteurs aux assemblées de la faculté (juillet 1626). De même, il fut, en 1632, l’un des approbateurs de l’ouvrage du P. Gibieuf, de l’Oratoire, « De libertate Dei et creaturae », qui était dirigé contre Molina et qui devait susciter une vive polémique. En 1637, il donnait un nouveau recueil de poésies latines, « Volum regium Davidici carminis paraphrasi conceptum », qui renferme, à côté des versifications des psaumes, des pièces de circonstances d’époques très différentes et assez curieuses du point de vue historique. Ce volume fut dédié au chancelier Séguier, avec lequel Habert entretint toute sa vie d’étroites relations. Le bruit se répandit, vers 1639, que Richelieu voulait établir un patriarcat gallican, afin de rendre la France plus indépendante de Rome. Ce bruit prit consistance dans un pamphlet théologique, qui eut alors un grand retentissement : « Optati Galli de cavendo schismate liber paraeneticus » (Paris, 1640). L’auteur était l’oratorien Claude Hersent que Richelieu fit d’abord condamner par le parlement, puis provoqua une série de réponses dont une des principales est le volume de Habert : « De consensu hierarchiae et nomarchiae, adversus paranaeticam Optati Galli schismatum fictoris », (Paris, 1640). Le sixième livre de l’ouvrage porte le titre spécial qui a pour sujet l’accord de la législation civile française sur le mariage avec la législation canonique où Habert s’efforce de démontrer que les édits du roi, en particulier, ne sont pas en opposition avec les décrets du concile de Trente. Peu après, Habert était un chanoine théologal de Paris, abbé de Sainte-Marie des Alluz, et prédicateur ordinaire du Roi. Devenu évêque de Vabres, il mourut d’apoplexie le 15 septembre 1668.

[4] Lettre du cardinal Grimaldi, nonce apostolique en France, au cardinal Barberini, datée du 24 avril 1643.

Communications précédentes :

Préface : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/ histoire /2653-ceh-xviiie-session-preface-de-monseigneur-le-duc-d-anjou

Avant-Propos : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2654-ceh-xviiie-session-avant-propos

 La rupture de 1661 (1/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2663-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (2/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2664-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2684-ceh-la-rupture-de-1661-3-4

De Colbert au patriotisme économique (1/3)

De Colbert au patriotisme économique (2/3)

De Colbert au patriotisme économique (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2693-ceh-de-colbert-au-patriotisme-economique-3-3

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (1/3) 

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (2/3)

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (3/3): https://www.vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/ceh-1661-transfert-de-la-cour-des-aides-de-cahors-a-montauban-3-3/

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (1/3)

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (2/3)

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (3/3)

Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (1/2)

Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (2/2)

Louis XIV au Château de Vincennes (1/3)

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Louis XIV au Château de Vincennes (3/3) 

1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage ? (1/2)

1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage ? (2/2)

La collection de tableaux de Louis XIV

Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (1)

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