Histoire

[CEH] L’assassinat d’Henri IV, par Jean-Christian Petitfils. Partie 5 : La piste flamande

L’assassinat d’Henri IV

Par Jean-Christian Petitfils

Partie 1 : L’énigme de la mort du Roi

Partie 2. La journée du 14 mai

Partie 3. Le procès de Ravaillac et ses étrangetés

Partie 4. Le duc d’Épernon et la marquise de Verneuil compromis

Partie 5. La piste flamande

Alors, faut-il considérer que Ravaillac a agi seul et qu’il n’y a pas eu de complot ? Il est une autre piste plus sérieuse, qui n’a pas été explorée jusqu’à présent. Si l’on en croit le chroniqueur Pierre de L’Estoile, sur un « maraud de maçon », arrêté le 29 mai près du Temple et incarcéré à la Conciergerie, on avait trouvé des lettres compromettantes ainsi qu’un long couteau. « Il était pensionné de l’archiduc, dit-il, duquel il avait encore reçu depuis peu deux cents pistoles ». L’archiduc en question était Albert de Habsbourg, cosouverain avec sa femme, l’infante Isabelle Claire Eugénie, des Pays-Bas espagnols (en gros, la Belgique et le Luxembourg actuels). Or, on l’a vu, Henri IV s’apprêtait à traverser le Luxembourg afin d’assiéger Juliers, en faisant un crochet par Bruxelles, où la princesse de Condé était retenue. Comme par hasard, les interrogatoires du suspect ont disparu et le « maraud de maçon » ne fut jamais jugé. Personne n’en entendra plus parler.

L’existence de cette piste flamande semble confirmée par plusieurs autres documents !

1- Une lettre du 23 mai 1610 de l’ambassadeur de Genève en France, Jacob Anjorrant, généralement bien informé, citant les noms du comte de Sallenove et de son adjoint La Motte et précisant qu’un « certain » autre avait juré à l’archiduc qu’il ne faillirait pas quand il devrait attaquer le roi au Louvre.

2- Un rapport du 1er juin de l’ambassadeur de Venise à Paris, Foscarini, selon lequel Marie de Médicis, fouillant les papiers de son mari après sa mort, aurait trouvé une dernière lettre de la princesse de Condé, écrite du palais de Coudenberg à Bruxelles, conjurant son « cher astre » de se garder de ses ennemis qui « aspiraient à lui ôter la vie, ne voyant d’autre moyen de se préserver de ses armes ».

3- L’enquête menée en 1611 par un magistrat français, Jean de Villiers-Hotman, de laquelle il ressort que, huit, dix, douze jours avant le drame, on savait dans les Pays-Bas espagnols et la zone rhénane de Cologne que le roi de France allait être poignardé. Des commerçants, des banquiers, des hommes d’affaires en parlaient dans leur correspondance comme d’un fait accompli, révélant que le tueur était parti de Bruxelles, où il avait vécu, et que des prières publiques et privées avaient été dites pour la réussite de « l’entreprise ».

4- Enfin, parmi les dépenses enregistrées par la Chambre des comptes de Lille, qui regroupait toutes celles de la cour de Bruxelles, figure pour l’année 1610 la mention d’une somme de 15 000 livres versée à des personnes chargées de mission en France, « dont on ne veut plus ample déclaration être faite ». Or, pour les années précédentes, les dépenses relatives aux affaires secrètes de « leurs Altesses les archiducs » ne dépassaient pas quelques centaines de livres.

Menacé par une attaque imminente, scandalisé par le comportement tyrannique du roi de France qui projetait d’enlever de force dans ses états une jeune princesse légitimement mariée, bref se considérant en cas de légitime défense, l’archiduc Albert aurait-il commandité une équipe de tueurs ? Ceux-ci, à en croire Jacob Anjorrant, seraient arrivés à Paris vers le 23 avril. Leur mission, semble-t-il, était d’assassiner le roi entre le couronnement de sa femme et son départ pour l’armée. Le report à plusieurs reprises du sacre de Marie de Médicis, d’abord prévu le 1er mai, décalé au 6, puis au 10 et enfin réalisé le 13, le veille du drame, expliquerait pourquoi on a cru que dès le début du mois de mai le roi était mort.

Ravaillac, bien entendu, n’a pas été l’agent stipendié de cette conspiration. Mais la question est de savoir si les tueurs flamands n’ont pas rencontré, au hasard des auberges, l’halluciné d’Angoulême, lui-même arrivé dans la capitale le 18 avril, et, voyant sa farouche détermination, ne l’ont pas habilement encouragé à agir à leur place. Rien de plus facile ensuite que de le surveiller et de se débarrasser de lui, une fois son forfait accompli.

Le jour du drame, aussitôt après l’arrestation de Ravaillac par les gentilshommes escortant la voiture royale, un curieux incident s’était produit ru de la Ferronnerie. Le baron de Courtomer, chargé d’avertir Sully à L’Arsenal, s’était heurté à un groupe de huit à dix hommes à pied et de deux à cheval, tous armés, qui, au lieu de porter secours au souverain agonisant, hurlaient à l’encontre de l’assassin : « Tue, tue, il faut qu’il meure ! » Quand il leur cria que le roi n’était que blessé, ils s’évanouirent dans la foule. Jamais on ne les retrouva.

Tous ces faits, connus en haut lieu, notamment par les magistrats du parlement de Paris, expliquent le silence et la prudence des autorités. « Il semble qu’on craigne de trouver ce qu’on cherche », remarquait dans son journal Pierre de L’Estoile. La France, affaiblie par la mort de son roi pouvait-elle, sans créer une crise diplomatique d’envergure, mettre en cause un prince souverain de la maison d’Autriche ?

Quand on demanda au premier président Achille de Harlay s’il n’avait pas la preuve que Ravaillac avait eu des complices, il s’exclama : « Des preuves ! Il n’y en que trop, il n’y en a que trop… ! Plût à Dieu que nous n’en vissions pas tant ! » Mais il se garda de donner d’autres précisions ! Non, tout n’a pas été dit sur l’assassinat d’Henri IV et ses mystères.

Jean-Christian Petitfils
Historien et biographe

Docteur d’État en sciences politiques


Jean-Christian Petitfils, « L’assassinat d’Henri IV », dans Collectif, Henri IV : Le Premier Roi Bourbon : Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, Neuves-Maisons, CEH, 2011, p. 255-268.

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