Histoire

L’assassinat d’Henri IV, par Jean-Christian Petitfils. Partie 2 : La journée du 14 mai

L’assassinat d’Henri IV

Par Jean-Christian Petitfils

Partie 1 : L’énigme de la mort du Roi

Partie 2. La journée du 14 mai

Les faits sont connus. Le vendredi 14 mai 1610, peu après quatre heures de l’après-midi, Henri IV quitte le Louvre en carrosse, accompagné de quelques gentilshommes. Il se rend à l’Arsenal, chez Sully, surintendant des Finances et grand maître de l’Artillerie, pour lui parler des dernières mesures à prendre avant son départ pour l’armée prévu le 19. Il doit se rendre à Châlons-en-Champagne, où l’attendent 37 000 hommes de troupe. L’armée doit s’ébranler sitôt son arrivée et franchir la frontière du Luxembourg. La France, en effet, a décidé d’appuyer les revendications de deux princes protestants, Jean Sigismond, électeur de Brandebourg, et Philippe-Louis de Bavière, comte palatin de Neubourg, dans la succession des duchés germaniques de Clèves et Juliers, contre les prétentions de l’empereur Rodolphe II.

Mais une autre raison pousse le Béarnais impatient à entrer en campagne : il compte faire un détour par Bruxelles, où se trouve retenue, contre son gré, son égérie, la magnifique Charlotte de Montmorency, princesse de Condé, âgée de quinze ans, que son mari, assiduités, et avec laquelle il ne cesse d’échanger des lettres enflammées. Il projette son enlèvement. Un roman d’amour donc se mêle à une affaire de haute politique !

La reine, Marie de Médicis, couronnée la veille, 13 mai, va faire son entrée solennelle à Paris le surlendemain 16. Henri veut profiter de ce déplacement pour voir les apprêts de la fête : poteaux fleuris, arcs de triomphe festonnés, rochers en carton et inscriptions allégoriques. Il fait un temps magnifique. La voiture, dont les ridelles de cuir ont été relevées, est escortée seulement de quelques gentilshommes à cheval. Après la rue Saint-Honoré, elle s’engage dans la rue de la Ferronerie, un boyau limité par des échoppes de marchands d’ustensiles de cuivre et de fer-blanc. Elle est vite immobilisée par un encombrement à côté de la maison du notaire Poutrain et d’une auberge à l’enseigne du Cœur couronné percé d’une flèche : une charrette de foin et un tombeau chargé de tonneaux de vin obstruent le passage. Henri a passé nonchalamment le bras droit autour du cou du duc d’Épernon qui lui lit une lettre, car il a oublié ses lunettes. Il découvre assez largement le buste. Quelques valets de pied, qui se tiennent habituellement aux portières, descendent et passent par le cimetière des Saints-Innocents qui longe la rue.

C’est alors qu’un étrange personnage à la carrure athlétique, à la barbe rousse, aux cheveux fauves, habillé d’un pourpoint vert à la flamande, saute sur la roue du carrosse et à trois reprises poignarde le monarque. Le premier coup l’atteint entre la deuxième et la troisième côte. Le second, plus violent, pénètre entre la cinquième et la sixième côte et transperce la veine cave. Le troisième se perd dans la manche du duc de Montbazon. « Ce n’est rien, ce n’est rien. », répète le malheureux. Mais bientôt un flot de sang lui envahit la bouche.

Le drame n’a duré que quelques secondes. L’agresseur reste planté là, comme hébété, son long couteau à double tranchant à la main, sans chercher à se perdre dans la foule des badauds qui s’agglutinent autour du carrosse royal. Un des officiers de l’escorte, Jacques Pluviers de Saint-Michel, s’apprête à le transpercer quand il est arrêté par le cri du duc d’Épernon : « Ne frappez pas, il y va de votre tête ! » Tous les autres seigneurs font chorus. On veut éviter l’erreur commise lors de l’assassinat d’Henri III en 1589 : le tueur, le moine fanatique Jacques Clément, avait été aussitôt massacré, sans que l’on connût les motifs de son crime.

Le moment de panique passé, vite les familiers du roi se répartissent les rôles. La Force regagnera le Louvre avec le blessé agonisant et le duc d’Épernon ira à l’hôtel de ville calmer les esprits, tandis que le baron du Courtomer se rendra à l’Arsenal avertir Sully. Le carrosse fait donc demi-tour et retourne au Louvre, pénétrant à vive allure dans la cour. C’est l’affolement. Henri, transporté avec précaution dans le cabinet de la reine, est assis dans un fauteuil, puis étendu sur un lit. Le pourpoint dégrafé, la chemise maculée, il ouvre les yeux trois fois et expire. Marie de Médicis sort de ses appartements. « Le roi est mort ! Le roi est mort ! » , répète-t-elle, désemparée. C’est alors que, surmontant sa propre émotion, le chancelier Brûlart de Sillery lui rétorque en lui montrant son fils Louis, âgé de huit ans et demi : « Votre Majesté m’excusera, mais le roi ne meurt point en France ! Voilà le roi vivant, Madame ! »

Dans Paris, gonflé de nombreux provinciaux venus pour le couronnement, la désastreuse nouvelle se répand. « Les boutiques se ferment, note le chroniqueur Pierre de l’Estoile, chacun crie, pleure, se lamente, grands et petits, jeunes et vieux. Les femmes et les filles s’en prennent aux cheveux. » L’affliction est universelle. Le lendemain matin, au Parlement, dans le grand chatoiement des robes écarlates et noires, se tient un lit de justice présidé par le petit Louis XIII, au cours duquel la régence est confiée officiellement à sa mère.

Au Louvre, la dépouille d’Henri IV, lavée et autopsiée, est placée dans un cercueil de plomb, doublé d’un autre de bois. Pour répondre à la volonté du défunt, son cœur a été transporté dans une urne d’argent au collège jésuite de La Flèche. A partir du 21 mai, le catafalque est installé dans la salle des Cariatides tendue de noir et ornée des écussons de France et de Navarre. Des prêtres et des moines psalmodient jour et nuit. Au son lancinant du glas, les paroisses et couvents de la capitale disent des messes avec oraisons funèbres, relayés par les églises et chapelles des autres diocèses. Le 29 juin, le cercueil est conduit à Notre-Dame par les troupes et les corps constitués du royaume en grande tenue. Le lendemain, il est descendu avec solennité dans la crypte de Saint-Denis.

À suivre…

Jean-Christian Petitfils
Historien et biographe

Docteur d’État en sciences politiques


Jean-Christian Petitfils, « L’assassinat d’Henri IV », dans Collectif, Henri IV, Le Premier Roi Bourbon : Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, Neuves-Maisons, CEH, 2011, p. 255-268.

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