Histoire

[CEH] Henri IV après Henri IV (1610-2010), par Jacques Perot. Partie 3 : Le siècle des Lumières : de la “Henriade” à “La Partie de chasse” de Collé

Henri IV après Henri IV (1610-2010)

Par Jacques Perot

Partie 1 : Le temps de l’émotion et des témoignages

Partie 2 : Le temple de l’histoire

Partie 3. Le siècle des Lumières : de la Henriade à La Partie de chasse de Collé

« Je chante ce héros qui régna sur la France,
Et par droit de conquête, et par droit de naissance,
Qui, par de longs malheurs, apprit à gouverner,
Calma les factions, sut vaincre et pardonner,
Confondit et Mayenne et la Ligue et l’Ibère,
Et fut de ses sujets le vainqueur et le père. »

On l’a reconnu, ces vers sortent de la plume d’un écrivain et poète, d’un homme de vingt-quatre ans qui se voulut surtout philosophe et qui, entre les quatre murs de la chambre où il était logé, contre sa volonté, aux frais du roi, s’empara de la figure d’Henri IV pour en faire l’instrument de ses ambitions.

Voltaire embastillé, avide de gloire littéraire et de reconnaissance mondaine, veut avec son épopée henricienne créer une œuvre qui prenne la plus haute place dans la hiérarchie de la poésie classique. Elle devait, selon lui, être digne de l’Illiade d’Homère, de l’Énéïde de Virgile, du Roland furieux de l’Arioste ou de la Jérusalem délivrée du Tasse, pas moins.

Sa Ligue ou Henri le Grand, dont la plus grande part fut rédigée en 1717-1718, pendant ses loisirs forcés, devint en 1723 La Henriade, dont le projet d’édition en France fut ruiné par le refus de la dédicace au roi. Si les siècles suivants n’ont sans doute pas placé La Henriade au niveau littéraire revendique par l’auteur, il reste que Voltaire a façonné, à sa manière, un Henri IV modèle du souverain éclairé.

S’agit-il d’un livre d’histoire ? Pas vraiment et l’on en doute lorsque l’on voit comment Voltaire s’y venge de l’absence de soutien du duc de Sully qui était son ami et protecteur. On se souvient que le chevalier de Rohan, jaloux du succès de Voltaire auprès de la comédienne Adrienne Lecouvreur, lui aurait dit devant celle-ci, pour faire valoir sa haute noblesse face au roturier : « Arouet ? Voltaire ? Enfin, avez-vous un nom ? » La réplique avait fusé : « Voltaire ! Je commence mon nom et vous finissez le vôtre. » L’insulte était patente et Rohan s’était vengé en faisant rosser d’importance Voltaire par ses gens, un soir de décembre 1725, à la sortie d’un dîner chez le duc de Sully, en son hôtel parisien de la rue Saint-Antoine, l’actuel siège du Centre des monuments nationaux. Et l’écrivain, reprochant à Sully son manque de soutien, de supprimer son nom de son œuvre pour le remplacer par celui du Duplessis-Mornay. Peut-on écrire une histoire d’Henri IV sans y associer la figure de Sully ? Certes pas. Mais ce qui marqué le siècle fut que le Bon roi Henri devint un héros, non plus du trône et de l’autel, mais qui fait passer l’État devant le religion, puisqu’il en tolère plusieurs, le bien public avant les intérêts des particuliers et même de l’Église. Il est homme des Lumières, il est celui qui impose la tolérance et gardera tout au long du XVIIIe siècle l’image qu’en a donnée Voltaire et qui se répandit à travers les multiples éditions de son poème épique, et fut enfin véhiculée par les très nombreuses illustrations gravées voire peintes.

La première édition de La Henriade en dix chants, parut en un volume in-4º à Londres en 1728. Elle comportait, outre le frontispice, dix grandes figures et onze vignettes gravées d’après les œuvres d’artistes sélectionnés par l’auteur où l’on compte, pour les grandes figures, Jean-François de Troy, François Lemoyne et Nicolas Vleughels. Le choix, dès l’origine, n’était pas médiocre et prit sa part dans la diffusion de l’œuvre de Voltaire, inspirant, tout au long du siècle des reprises d’une qualité plus ou moins grande, voire des contrefaçons. Dû au talent de Jean-François de Troy, le frontispice gravé en 1723 par Louis Surugue, représente le roi Henri IV dans une nuée, la main sur l’épaule du jeune Louis XV en manteau royal. N’était-ce pas là une manière d’assigner à l’ouvrage, sans le dire expressément, le même rôle didactique vis-à-vis du jeune Louis XV que celui rempli par l’œuvre de Péréfixe quatre-vingts années auparavant envers le futur Louis XIV ? Henri IV, en tout cas, était durablement installé dans le paysage nouveau proposé par les écrivains des Lumières. Diderot lui-même ne pouvait manquer de donner son avis sur les histoires proposées par quelques historiens. « Il ne faut pas lire la vie de ce monarque, dit-il dans le tome XII de la première édition de l’Encyclopédie, dans le P. Daniel, qui ne dit rien de tout le bien qu’il fit à la patrie ; mais pour l’exemple des rois, et pour la consolation des peuples, il importe de lire ce qui concerne les temps de ce bon prince, dans la grande histoire de Mézerai, dans Péréfixe, et dans les mémoires de Sully. Le précis que M. de Voltaire en a fait dans son histoire générale, est aussi trop intéressant pour n’en pas transcrire quelques particularités. » Pendant la Restauration, Chateaubriand pourra dire « Un poëte qui a tant fait de renommées avec la sienne, Voltaire, a ressuscité le vainqueur d’Ivry : le génie a le beau privilège de distribuer la gloire. »

Mais il n’est pas inintéressant d’aller voir du côté d’autres tenants des Lumières. Regardons l’Almanach anti-supersitieux de Condorcet, ce philosophe de la dernière génération des Lumières, texte longtemps inédit que nous examinerons dans son édition de 1992 par A.-M. Chouillet. Comme l’a dit Christian Desplat : « On ne pouvait se réclamer de l’auteur de La Henriade et laisser dans l’ombre son héros. En revanche, faire de la figure du roi l’argument central, l’exemple répété du modèle à suivre pour combattre l’Infâme, le projet est plus original, car il dépasse, et de beaucoup, les intentions du poète de La Henriade (…) En choisissant Henri IV comme modèle du bon roi, Condorcet était dans la tonalité du siècle ; en lui taillant des habits d’un roi-philosophe il recentre le personnage autour de l’une des idées fortes du siècle : la nécessité d’un État fort, délivré de toute sujétion spirituelle. L’Almanach était une charge violente contre l’Église et un plaidoyer pour une monarchie puissante. » Condorcet avait écrit : « Il n’y a que le fanatisme qui puisse armer le peuple contre ses rois. » et derrière le mot fanatisme, il faut lire chez lui les prêtres, les jésuites, l’Église.

Les physiocrates, de leur côté portèrent intérêt au restaurateur de l’agriculture et de l’économie.

Il va sans dire que ce XVIIIe siècle qui, de Voltaire à Diderot ou Bayle, avait érigé à la gloire d’Henri IV un monument durable, influant une franc-maçonnerie en plein développement et l’on connut, chez les militaires par exemple, une loge Henri IV qui jusqu’en 1778 comptait des membres officiers suisses du régiment de Sonnenberg, jusqu’à ce qu’ils la quittes pour créer la loge Guillaume Telle. A Brest, ce sont les officiers de l’armée de terre qui, avec l’arrivée du régiment d’artillerie de Toul, ont réé les Amis de Sully, en fait deux loges d’environ 130 membres chacune, Henry IV pour les officiers, Sully pour les sous-officiers qui, moins élitistes, accueillaient des gens que n’auraient pas fréquentés leurs supérieurs, commis de marine, jeunes chirurgiens ou peintres. On connaîtra à Pau une loge du berceau d’Henri IV.

On le voit : l’histoire et la légende d’Henri IV cheminent de conserve, voire de concert. Mais le siècle des Lumières qui, on l’a vu, s’était emparé d’Henri IV pour en faire un modèle politique, utilisa d’autres modes de diffusion ) sa portée. Un autre genre littéraire va bientôt véhiculer le mythe henricien à la fin de règne de Louis XV et surtout après l’événement de Louis XVI, jusqu’au XIXe siècle. C’est le théâtre qui prend la relève et constitue un instrument efficace de la vogue henricienne. Certaines des productions qu’il engendre méritent qu’on s’y arrête.

En 1762 c’est, de Michel-Jean Sedaine (1769-1797), Le Roi et le fermier, comédie mêlée d’ariettes, pièce issue d’une comédie à succès anglaise de Robert Dodsley dont, selon Collé, « le succès brillant qu’il a eu, et qu’il continue d’avoir, justifie le choix qu’il a fait de ce sujet ». 1767 voit le Charlot ou la comtesse de Givry de Voltaire, non joué à Paris et Gabrielle d’Estrées et Henri IV de Poinsinet, publiée seulement à l’étranger. En 1768, Henri IV ou la réduction de la Ligue de Valigny n’est pas autorisée. Arrêtons-nous sur Le Laboureur devenu gentilhomme, opéra en un acte de 1771, dû à l’acteur Maximilien-Jean Bouteiller, où le roi anoblit Robert, un laboureur qui l’a régalé d’une dine rôtie, en lui donnant pour armoiries de superbes armes parlantes, une « dinde en pal ». Remodelée en 1789 – la date n’est pas innocente – par son auteur d’origine et par Desprez de Walmont, intitulée alors Le Soupet d’Henri IV ou le laboureur devenu gentilhomme, la pièce fut jouée le 12 octobre 1789 au théâtre de Monsieur. Le futur Louis XVIII avait peut-être commandé cette reprise. Son goût pour Henri IV s’était déjà manifesté en 1780, lorsque, le 22 novembre, il avait fait jouer devant le roi, dans son théâtre de Brunoy, La Réduction de Paris, écrite par l’un de ses secrétaires ordinaires, Desfontaines, pièce qui célébrait la clémence d’Henri IV à son entrée dans la capitale, en 1594. Mais il faut remarquer que Le Souper du roi de 1789 reste plus prudent que Le Laboureur devenu gentilhomme de 1771. C’est ainsi que disparaît cette profession de foi du fils du laboureur : « Tenez voisine, les hommes sont tous égaux, c’est le plus ou le moins de sentimens qui doit les différencier. » Les auteurs craignirent-ils de heurter le public du théâtre du comte de Provence, voulurent-ils s’inscrire dans une ligne contre-révolutionnaire ? Peut-être. Subsistèrent, néanmoins, des paroles du laboureur sur la noblesse : « Souviens-toi que le premier devoir d’un Nobe est de bailler sans cesse l’exemple des vertus. » ou bien « Apprenez qu’un laboureur honnête homme peut être admis à la table d’un Roi. » En 1815 une nouvelle version de cette pièce fut donnée par M.-N.-B. Rougemont, sous le titre Le Souper d’Henri IV ou la dinde en pal.

Henri IV, bientôt intitulé La Partie de chasse et la bataille d’Ivry, drame lyrique dont le texte était dû au Toulousain Barnabé Farmian de Rozov et la musique à Jean-Paul Schwartzendorf dit Martini, le célèbre auteur de la romance Plaisir d’amour, parut en 1774 et la première représentation en fut donnée le 14 novembre 1774, au théâtre des Comédiens italiens ordinaires du roi, bientôt suivie à Versalles, le vendredi 16 décembre, d’une nouvelle représentation jouée devant les nouveaux souverains, Louis XVI et Marie-Antoinette. Les Vers au Roi, placés en tête, indiquent bien les circonstances de cette parution, avènement de Louis XVI puis nomination de Turgot au ministère de la Marine et, un mois plus tard, au contrôle général des finances. Ils révèlent combien l’utilisation d’Henri IV tenait à la politique :

« … De la France reconnoissante
Entens les vœux, reçois l’encens,
Ta gloire est d’avoir à vingt ans
Les vertus qu’il eut à cinquante.
Joins les jours de Nestor aux Vertus de Henri :
Tu veux que notre amour ajoute à ta puissance
Le ciel à ce bienfait devoit sa récompense ;
Mais il s’acquitte… il te donne un Sulli. »

À l’instar du Laboureur devenu gentilhomme, la pièce de Farmian de Rozoy connut en 1791 une nouvelle version, sans musique, intitulée Clémence de Henri IV, drame héroïque.

La moisson se fait abondante, en effet, avec le début du règne de Louis XVI qui mit fin à l’ostracisme jeté contre la figure du Bon roi Henri. Le Courrier d’Henri IV, proverbe en un acte par J.-B.-P. Caron de Chanset, de même que la Réduction de Paris, drame de lyrique par Farmian de Rosoy et le Couronnement d’un Roi, essai allégorique de L.-J. Cordier, Le Roi et le ministre, Henri IV et Sully, drame d’A.-J.-L. Duchoudray, sont tous publiés en 1775, deuxième année du règne de Louis XVI. Mais le succès de ces pièces ne leur assura, loin de là, la longévité de celle de Collé.

La Partie de chasse de Henri IV fut rédigée avant 1760, donc la première des pièces citées ici. Ce fut également la plus célèbre et son succès dépassa celui des autres œuvres théâtrales mettant en scène Henri IV. « C’est une œuvre admirablement construite », m’écrit le sociétaire de la Comédie-Française, Jacques Sereys, à qui j’avais soumis ce texte emblématique du culte henricien au XVIIIe siècle. « Les scènes sont bien menées, l’intérêt ne faiblit jamais, les personnages sont bien dessinés, la langue est élégante, légère même lorsqu’elle fait parler les gens du peuple. Autant d’éléments positifs qui ne peuvent qu’encourager à remonter les trois actes pour le plaisir des participants et le bonheur du public. » Ceci explique, sans doute, le succès de la pièce.

Ses débuts furent pourtant peu aisés. Le 15 août 1760, l’auteur en faisait la lecture au duc d’Orléans, petit-fils du régent, mais celui-ci, bien que sensible au texte, jugea la période peu propice à sa présentation au public, en pleine guerre de Sept ans. Ce n’était pas le moment de sembler vouloir donner des leçons au roi. Aucune pièce mettant en scène Henri IV ne sera d’ailleurs autorisée pendant les dernières années du règne de Louis XV. Mais les perspectives de paix qui aboutirent au désastreux traité de Paris (10 février 1763) qui consacra la perte de la Nouvelle-France, étaient suffisamment connues un peu avant le traité pour que la pièce fût montée. Ce qui fut fait, mais en privée, en fait la seconde de La Patrie de chasse :

« Jamais cette pièce n’a été si bien jouée, à l’exception pourtant de M. le Vicomte de La Tour du Pin, qui n’a point du tout rendu le personnage de Henri IV : il en étoit à cent lieues, sans gaieté, sans noblesse, sans bonhomie ; il a été le contraire de tout ce qu’il falloit être. M. de Barbentane s’est tiré très mal du rôle de Concini ; M. le marquis de Villeroy de celui de Bellegrade. Mais, hormis ces trois acteurs, les autres ont joué supérieurement ; surtout M. le duc d’Orléans, M. Danezan qui faisoit Sully, et Mademoiselle Marquise ; Laujon lui-même s’est surpassé ; M. le Victe de Polignac, Madame Drouin, étoient bien dans leurs rôles et n’ont dérangé personne. Enfin je peux dire cette fois-ci, que la réussite a été complette. M. le Prince de Condé a été ainsi que tous les autres spectateurs attendri jusqu’aux larmes ; ils en ont tous versé à chaque instant ; les acteurs étoient obligés de s’interrompre, à cause des applaudissements redoublés qui se succédoient continuellement. »

Après une représentation le 14 mai 1766 aux Menus plaisirs et une autre publique en décembre, la pièce est, semble-t-il, interdite et le restera jusqu’à la mort de Louis XV, témoignage éloquent de l’aspect sensible de toute publication mettant en scène et présentant comme modèle l’ancêtre le plus populaire du souverain. La mort de Louis XV, le 10 mai 1774, vient modifier le paysage politique et, le 16 novembre 1774 La Partie de chasse fut enfin représentée par les comédiens français, près de quatorze années après sa rédaction. Elle le sera devant les souverains le 20 décembre de la même anéne, quatre jours après l’Henri IV de Farmian de Rozov.

Dans son Avertissement, Collé indique bien son propos : « Je n’ai point eu la prétention de montrer (…) le grand Roi, le premier Capitaine de son siècle, le Politique équitable, le Conquérant légitime, etc. » mais « c’est (si l’on peut me passer cette expression) le Héros en déshabillé, que j’ai essayé de peindre. »

Il reste que le premier acte est plus grave, mettant en scène une longue explication entre Henri IV et Sully que les courtisans essayaient régulièrement de brouiller et qui s’achève par une clarification où éclatent les sentiments mutuels du roi et de son ministre, ainsi que Sully lui-même l’a rapporté dans ses Œconomies royales auxquelles Collé fait expressément référence. Les deux autres actes sont, en revanche, plus enlevés. Le roi, égaré au cours d’une chasse, trouve refuge chez le meunier Michau où il partage, incognito, le couvert et le quotidien de ces braves gens, témoin d’un amour pour le roi aussi fort qu’il est peu intéressé. C’est le moment où l’on chante ce véritable hymne à Henri IV et à sa dynastie, la Vive Henri IV désormais célèbre dont la musique était déjà attestée, sous la forme d’un air de danse de la seconde moitié du XVIe siècle. Et saint-on que, comme vient de le révéler le musicologue Thomas Leconte, cet air si populaire aux XVIIIe et XIXe siècles se retrouve dans une pièce pour piano de Listz, et sert de thème musical à l’apothéose du ballet La Belle au bois dormant de Tchaikowsky, dansé pour la première fois en 1891 ?

Tardif, sans doute, le succès fut, en tout cas, éclatant. On dénombra 167 représentation à Paris entre 1774 et 1792 dont vingt en 1774, dix-neuf en 1788, neuf en 1789, quatorze en 1790, onze en 1791 et deux en 1792, pour donner quelques chiffres révélateurs.

La signification politique de ces pièces n’échappait à personne, à Paris comme en province. Aussi bien, lorsqu’en 1775 fut rétabli le parlement de Metz, les festivités prirent une couleur toute henricienne, témoignant de l’installation durable de la figure d’Henri IV parmi les modèles proposés par les siècle des Lumières. Au milieu de la place Saint-Jacques était dressé un dôme d’où était appendu un médaillon portant le portrait de Louis XVI sur la face de celui d’Henri IV sur le revers. Réalisant « le vœu du Bon roi Henri IV », l’on offrit à cent pauvres vieillards « une poule au riz, du pain et du viné, et l’on donna « gratuitement au peuple une représentation de La Partie de chasse de Henri IV ».

Donné ensuite au théâtre Feydeau, la pièce revint au français en 1814 avec dix-sept représentations, quatorze en 1815, dont, par exemple, « lundi 30 janvier par ordre : L’Homme du jour et La Partie de chasse. Le Roi, les princes de la famille royale et la duchesse d’Angoulême y assistent. » Dès 1818 on ne relève qu’une représentation par an pour remonter à quatre en 1828.

Trop liée aux Bourbons de la branche aînée, la pièce ne fut redonnée à Paris, à l’Odéon, que sous le Second empire, puis épisodiquement jusqu’à la dernière guerre. Le province également suivit ce rythme et l’on peut dénombrer de nombreuse Partie de chasse ou leurs copies ou plagiats donnés ici et là, tout particulièrement pendant la Restauration. Dès 1818, le Repertoire général du théâtre français proposait une addition à l’acte III témoignant de la vitalité de l’œuvre. Succès sur les planches, La Partie de chasse, contrairement aux autres pièces, le fut aussi, et c’est là son originalité, dans le domaine des arts. Si les gravures de Patas d’après Gazard et Larrieur qui accompagnaient la seconde édition de Henri IV de M. de Rozov (1774) ne semblent pas avoir eu de postérité significative, il n’en est pas de même des quatre gravures qui illustraient l’édition de 1766 de La Partie de chasse de Collé. Sur des dessins d’Hubert François Bourguignon d’Anville dit Gravelot (1699-1773) l’habile Antoine Jean Duclos (1742-1795) réalisa quatre tailles-douces dont deux d’entre elles, plus célèbres, connurent une vogue artistique remarquable.

Le succès de la pièce fit, en effet, celui de l’estampe placée en tête représentait le roi relevant Sully (acte I, scène VI). Nous avons donné ailleurs les principales étapes de la diffusion de cette scène. Citons la belle sculpture en terre de Lorraine que Paul-Louis Cyfflé (1724-1803), ancien sculpteur de Stanislas, donna en 1769 à Lunéville, à l’occasion de la visite de Christian VII de Danemark, car ce groupe fut tiré et vendu à de nombreux exemplaires, sculpté par d’autres tels les Rosset, de Sainte-Claude, et se répandit largement. Nous ne dénombrerons pas ici les pendules dont de nombreux modèles se trouvent dans les collections du château de Pau, qui reprennent les deux personnages dans la position donnée par Collé, Gravelot et Cyflé.

Apparaissant sous Louis XVI, les pendules à la Henri IV se perpétuent jusque sous Louis-Philippe.

« Pour orner mon humble réduit
Une pendule est nécessaire
Prendrai-je le temps qui s’enfuit,
Un coup de vent ou Bélisaire ?
En vain je voudrais hésiter,
Contre la mode me débattre ;
Tout bon français doit s’arrêter.
À la pendule d’Henri Quatre » dit une chanson de la Restauration.

La peinture et la tapisserie se saisissent également de cette scène. De François-André Vincent (1746-1816), Henri IV qui relève Sully prosterné à ses pieds, de 1784, sert de carton à une pièce de la tenture de l’Histoire de Henri IV commandée par le comte d’Angivillier et destinée pour présent au comte du Nord, futur tsar Paul I. Celle que peint, en 1785 Jacques-François Le Barbier (1738-1826) est le carton d’une pièce de la suite de l’Histoire de France. A Naples c’est Fedele Fischetti qui donne les cartons d’une tenture de six pièces de L’Histoire de Henri de Bourbon tissée dans l’atelier de Pietro Duranti en 1791-1792. Gustave III de Suède, dont la correspondance témoigne de l’admiration pour Henri IV, commande à Alexander Roslin une autre version de la scène destinée à une alcôve peinte de son pavillon de Haga. C’est encore elle que Tardieu-Cochin peindra en 1805 et l’on pourrait également citer d’autres exemples de dessins ou d’estampes.

Moment de La Partie de chasse le plus applaudi : celui où, incognito chez le meunier Michau, Henri IV entend « avec toute sa sensibilité si grande qu’elle paroisse aller jusqu’aux larmes les convives chanter « Vive Henri Quatre » », la scène XI de l’Acte III connut une vogue similaire. Comme l’a voulu Collé, le roi paraît avec une « bonhomie adorable ». Les artistes après Gravelot surent s’en inspirer. Là encore, Vincent donna avec son Henri IV soupant chez le meunier Michau (1785) le modèle pour la deuxième pièce de la tenture de l’Histoire de Henri IV tirée de La Partie de chasse. Fischetti fit de même avec son Henri IV dans la maison du garde chasse.

Ainsi, à une légende mêlée d’histoire d’une richesse immense, celle d’Henri IV, un seul parmi les auteurs dramatiques du XVIIIe siècle, Charles Collé, réussissait l’exploit d’apporter une contribution durable et originale. Le succès de sa Partie de chasse de Henri IV, habilement utilisée par le politique entraînait la floraison d’une multitude de figurations dont bientôt l’origine littéraire devait tomber dans l’oubli. A sa façon, Collé se trouvait mué en historien du Béarnais et propagateur de sa légende. Le dramaturge, par ailleurs auteur de chansons libertines, n’avait sans doute pas imaginé une telle postérité à son œuvre. Il n’est que juste de la lui restituer et de rendre au théâtre le rôle qu’il a joué dans la diffusion de la légende d’Henri IV et de son iconographie.

Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, les peintures se multiplient, évocations de scènes de gloire ou familières. De nombreux sujets, historiques ou anecdotiques, vont fournir des thèmes favoris à la peinture troubadour. Il n’est qu’à consulter les Livrets des salons et cette recrudescence des sujets henriciens, dès le règne de Louis XVI, culminera avec la Restauration (vingt-trois œuvres en 1814), comptant des peintures comme l’Entrée d’Henri IV dans Paris du baron Gérar et, dix ans plus tard, au salon de 1827, l’immense Naissance d’Henri IV d’Eugène Devéria. Mais il faudrait évoquer des artistes allant de Taillasson, Lépicié ou Lacour à Ingres en passant par Taunay ou Revoil pour ne citer que quelques-uns. Place également avec les XIX et XXes siècles à l’imagerie populaire aux livres pour enfants, et l’on pense au Bon Roy Henry d’Abel Hermant et Job, aux livres de classe de la IIIe République souvent illustrés, voire à la publicité, qui perpétuèrent, eux aussi, le souvenir du Béarnais.

À suivre…

Jacques Perot
Président de la Société Henri IV

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