Histoire

[CEH] Henri IV après Henri IV (1610-2010), par Jacques Perot. Partie 2 : Le temple de l’Histoire

Henri IV après Henri IV (1610-2010)

Par Jacques Perot

Partie 1 : Le temps de l’émotion et des témoignages

Partie 2 – Le temple de l’histoire

Mais le temps de l’Histoire, avec un certain recul, était arrivé. Et nous en citerons quelques-unes des plus marquantes.

Marquante et fondatrice, à bien des égards a été l’Histoire du roi Henri le Grand de Hardouin de Beaumont de Péréfixe. Cet évêque de Rodez, puis archevêque de Paris, qui fut précepteur du futur Louis XIV, auprès avoir composé pour le jeune dauphin un recueil de maximes latines en 1647, rédigea à son intention cette Histoire du roi Henri le Grand qui ne fut publiée qu’en 1661. L’ouvrage connut de très nombreuses éditions et fut traduit en plusieurs langues. Voltaire en a écrit des commentaires élogieux : « Péréfixe émeut tout cœur né sensible, et fait adorer la mémoire de ce prince, dont les faiblesses n’étaient que celles d’un homme aimable, et dont les vertus étaient celles d’un grand homme. » Diderot, dans ses Correspondances littéraires, après avoir descendu en flammes L’Histoire de la Vie de Henri IV de M. de Bury « écrivain bien détestable », surtout parce qu’il ne pensait pas comme lui, ouvrage « qui n’a pas fait la plus légère sensation à Paris » écrit sur la biographie de Péréfixe, le 1er mars 1766 : « Il faut nous en tenir sur ce point à l’histoire que Péréfixe a écrite de la vie de Henri IV. Elle fait bien connaître l’homme, et elle est fort bonne, du moins jusqu’à ce qu’un philosophe s’empare d’un sujet dont le héros sera à jamais cher à tout bon Français. »

Au XIXe siècle, Sainte-Beuve sera moins indulgent. Pour lui, Péréfixe était « un écrivain assez agréable dans sa Vie de Henri le Grand, assez instruit, assez bonhomme, mais sans caractère, sans élévation d’âme ni aucune dignité extérieure ; il ne fut jamais au niveau de sa haute position, en encourut en plus d’un cas le ridicule. »

Mais, quelles que soient les opinions des uns ou des autres, il faut bien reconnaître que l’Histoire de Péréfixe a fixé pour longtemps les grandes lignes des fastes historiques ou légendaires de la vie d’Henri IV. Complété, dès la deuxième édition, par Un recueil de quelques belles actions et paroles mémorables de ce prince, il devin la vulgate de la mémoire henricienne et la source principale de nombreuses publications, ceci à une époque où, s’il faut en croire Chateaubriand « Tout le siècle de Louis XIV se tut sur l’aïeul des Bourbons. Le grand roi ne permettait d’autre bruit que le sien. », assertion péremptoire qui n’est pas inexacte, mais qui demande pourtant à être atténuée.

S’appuyant sur la vogue henricienne, un ouvrage de 1770 dédié par son auteur et éditeur, Louis-Laurent Prault, au chancelier Maupeou eut un succès important. L’esprit d’Henri IV ou anecdotes les plus intéressantes, traits sublimes, reparties ingénieuses, et quelques lettres de ce Prince, fut réédité dès 1771 puis 1773, 1775, 1785 et le fut encore, bien entendu, en 1814. Sa dernière édition recensée parut sous le Second empire en 1853. Le titre même de l’ouvrage indique bien ce qu’il propose mais, au-delà, il a l’avantage, à la fin de chacun de ses entrées (près de 2 000 sur 276 pages) de citer ses sources. Et celles-ci ne sont pas des moindres : Matthieu, Péréfixe, Sully, Mercure de France, voire plus récents comme le Dictionnaire des hommes illustres.

Il faudra attendre la seconde moitié du XIXe siècle et surtout le XXe pour voir remettre en cause ou confirmer les assertions de Péréfixe et de ses suiveurs. Viendra, en effet, le temps des historiens dont la liste est fort longue et s’accroît tous les jours en cette année de commémoration.

Jules Michelet, dans sa monumentale Histoire de France, après avoir évoqué l’assassinat du roi porte ce jugement : « C’est un dur, mais un haut jugement de moralité, une instruction profonde, que cet homme aimable, aimé, invoqué de toute la terre, mais faible et changeant, qui n’eut jamais l’idée du devoir, tomba à son dernier moment, s’affaissa et défaillit. Il avait eu besoin de croire qu’il était aimé du peuple. Il l’aimait ; il le dit souvent dans ses lettres les plus intimes. Malgré des dépenses trop fortes de gemmes et de jeux, l’administration était sage, et au total économe. L’agriculture avait pris un développement immense. Le roi croyait le peuple heureux. En réalité, tout cela ne profitait guère encore qu’aux propriétaires du sol, aux seigneurs laïques, ecclésiastiques. Ils vendaient leur blé à merveille, mais le pain restait très cher, et le salaire augmentait peu.é On remarquera que les mots tolérance ou paix civile ne lui viennent pas à l’esprit.

Mais ce sont parfois des auteurs moins connus du grand public qui, au XXe siècle, ont apporté le plus à la connaissance du Béarnais. Citons l’Henri IV du chartiste et conservateur aux Archives nationales, où il succéda à Abel Lefranc, Pierre de Vaissière, paru chez Fayard en 1928. Comme l’a écrit Michel François, après sa mort en 1942 : « Il a su, sans encombrer son lecteur d’un lourd appareil d’érudition, y donner le récit le plus sûr où les jugements éprouvés alternent avec les narrations hautes en couleur. » Moins connues, l’Henri IV ou la grande victoire du préfet Yves Cazaux, parut chez Albin-Michel en 1977. Cazaux explore, notamment, très largement la période cruciale de 1584-1594.

Auteur d’une biographie d’Henri IV le duc de Lévis-Mirepoix, de l’Académie française, écrivait dans Grandeur et misère de l’individualisme français, t. I, 1957 :

« Il fut un guide humain, ferme, ménager, compréhensif, de cette grande et difficile France, passionnée et raisonnable, sensible au moindre vent, toujours prête à se diviser contre elle-même et à donner au monde, au milieu du plus grand désarroi, de foudroyantes répliques.
Encore qu’il ne contredise en rien et qu’il illustre même le bienfait historique de son règne, Henri IV, à le serrer de près, n’est ni un principe, ni un système. C’est avant tout une personnalité. Voilà pourquoi il plaît tant aux Français. »

Ces dernières années, nous avons vu paraître des œuvres de qualité dues à des auteurs comme François Bayrou, Jeanine Garisson ou Paul Mironneau, et, dans les publications très récentes qui prennent part à cette floraison d’ouvrages suscités par cette année Henri IV, citons quelques auteurs qui éclairent tel ou tel aspect du règne et de la vie d’Henri IV, Jean-Marie Constant, Joël Cornette, pour Saint-Denis, Michel Cassan, François Pernot et Jean-Christian Petitfils sur l’assassinat du roi, Nicole Garnier-Pelle et moi-même sur l’iconographie du roi…

Mais ce qu’il est convenu d’appeler le « Babelon » reste toujours la référence.

Mentionnons, enfin, deux outils fort utiles, tous deux de Jean-Claude Cuignet : L’itinéraire d’Henri IV, les 20 597 jours de sa vie (1997) et le Dictionnaire Henri IV (2007).

À suivre…

Jacques Perot
Président de la Société Henri IV

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