Histoire

Attraction solaire et spectacles de cour : une prise de pouvoir métaphorique – 1

Attraction solaire et spectacles de cour : une prise de pouvoir métaphorique

Par Sabine du Crest

LE ROY PRENANT LE GOUVERNEMENT DE L’ÉTAT.

« Après la mort du Cardinal Mazarin, le Roy résolut de gouverner par luy-mesme. Aussitost le Royaume changea de face, les abus qui s’étaient glissés dans l’administration de la Justice, et des Finances, furent réformés, les Arts et les Sciences refleurirent et l’abondance qui régna par tout fit oublier en peu de temps les maux qu’une longue guerre avait causés. C’est le sujet de cette Médaille, où pour exprimer les prompts effets de l’application du Roy aux affaires, on l’a représenté sous la figure d’Apollon, assis sur un globe orné de trois fleurs de lys. Il tient de sa main droite un gouvernail, pour marquer qu’il conduit luy-mesme, et de l’autre main une lyre, symbole de la parfaite harmonie de toutes les parties du Royaume. La Légende, ORDO ET FELICITAS, et l’exergue, REGE CURA IMPERII CAPESSENTE MDCLXI veulent dire que le Roy prenant en main les resnes de l’Estat, l’ordre et la félicité ont commencé d’y régner. 1661. »1

Conçue pour commémorer 1661, cette médaille fait partie de la série historique et a été gravée à trois reprises, en 1662, 1664 et 1671 par Jean Varin sur des dessins de Le Paultre et Sébastien Leclerc avec des devises élaborées par François Charpentier et Charles Perrault2. Pensée après le spectacle de 1662, cette médaille en est probablement une conséquence. De ce grand spectacle parisien fondé sur l’emploi de devises est issue la plus importante devise solaire du règne, Nec pluribus impar, dont la traduction littérale admise est : « Il n’est pas inégal à des tâches plus nombreuses. » C’est d’une réflexion menée notamment à partir des devises, utilisée pour le Carrousel inaugural du règne en 1662, première grande fête du règne personnel de Louis XIV, que cette devise naquit, comme le Roi le rappela lui-même dans ses Mémoires : « Ce fut là que je commençai à prendre (la devise) que j’ai toujours gardée depuis, et que vous voyez en tant de lieux. Je crus qu’elle devait représenter, en quelque sorte, les devoirs d’un prince, et m’exciter éternellement moi-même à les remplir. »3 Cette devise fut préférée à celle qu’il avait portée à ce carrousel – un soleil dissipant les ténèbres et ut vidi, vici – et donna lieu à de nombreuses exégèses. L’idée de l’exhortation à la vertu, comme dans le modèle du Camerino Farnese peint par Annibal Carrache d’une représentation d’Hercule hésitant entre le Vice et la Vertu, fut soulignée par Louis XIV, documentant ainsi le rapport entretenu par le Roi avec sa devise, autrement dit, son intérêt pour la façon de dire le Soleil et surtout le rôle qu’il lui assigna dans son gouvernement.

Très rapidement, avant même qu’il n’y eut d’événements à commémorer, le 3 février 1663, Colbert fonda la Petite Académie : le projet d’une histoire métallique à laquelle les Académiciens apporteraient leur compétence pour élaborer les devises latines accompagnant les médailles était né. Le processus de faire savoir était ainsi étroitement associé au gouvernement au plus niveau de l’État, « de façon que les événements les plus mémorables ne soient pas condamnés à l’ignorance »4. Le choix des événements datés devait même être approuvé par le Roi. L’usage fait de la métaphore solaire est donc à comprendre dans un processus historiographique qui prit forme en même temps que débuta le règne personnel du roi et l’accompagna tout au long du règne sous différentes formes. Dire et faire furent deux faces de cet art de gouverner. Cependant le temps de l’écriture de l’histoire sous forme métallique était long et le très bel ouvrage contenant l’ensemble des gravures de l’histoire du roi ne fut présenté au Roi Soleil que le 9 janvier 1702, en guise d’étrennes. Ces représentations du roi, véritables portraits en acte, agissant, furent donc composées a posteriori. De même, André Félibien, l’historiographe de Louis XIV rédigea A posteriori l’histoire des fêtes de Versailles, le plafond de la Galerie des Glaces représenta le roi dans ses actions antérieures, où le Roi fut représenté sous ses propres traits, selon une idée née en 1662 pour des pièces tissées à partir de 1665. Entreprise historiographique et règne furent liés et exprimés conjointement par le travail d’écriture des historiens et l’œuvre des artistes. La mémoire – entendue au sens d’écriture de l’histoire – et les spectacles – moments et lieux privilégiés de ce processus – furent alliés. Cette alliance fut réalisée jusque dans le processus mémoriel des spectacles. Ainsi les ouvrages publiés pour les décrire et les rappeler, puisqu’ils permirent l’expression des fêtes, tout comme les grands décors intérieurs et extérieurs, furent conçus pour accomplir ce rôle de manière plus pérenne et peut-être moins active5. Portée à ce degré, cette alliance est propre au règne de Louis XIV.

Dans cet ensemble de sources, 1661 occupe une place permettant de saisir l’importance accordée par le roi à cette date ; de même qu’au centre de la Galerie de Glaces, cet épisode de la prise de pouvoir personnel marque le point de départ, le lieu et le moment à partir duquel la lecture s’ordonne. Dans l’Histoire métallique, le soleil qui n’est pas utilisé systématiquement a été choisi soit sous sa forme mythologique d’Apollon soir sous celle du soleil radié. Ce n’est pas la première fois dans l’ordre chronologique dans lequel sont présentées les médailles dans l’Histoire métallique, qui reconstitue l’histoire linéairement de la naissance du roi jusqu’en 1700, que se trouve une médaille solaire. La médaille de la prise de pouvoir n’est pas en fait la première médaille solaire chronologiquement. Antérieurement, un Apollon entouré des signes du zodiaque représente, en effet, le jeune dauphin pour la médaille de sa naissance. Cependant, cette médaille solaire de la naissance fut conçue et gravée ultérieurement dans la série de la grande histoire par Jean Mauger entre 1691 et 1697, Racine, Boileau et Rainssant ayant rejoint la Petite Académie à partir de 1684. ORTUS SOLI GALLICI « Comme les Romains ont eu soin de frapper des médailles pour perpétuer dans tous les siècles le souvenir de la constellation sous laquelle l’empereur Auguste était né, on a voulu de même sans rien donner aux chimères de l’astrologie, transmettre à la postérité la mémoire de la position où se trouvait le Ciel dans le moment que Dieu donna à la France le Prince qui la rend la plus florissante monarchie du Monde. C’est le sujet de cette médaille. On a placé tout autour les 12 signes et les 7 planètes dans la même position où ils étaient au moment de cette heureuse naissance et, suivant l’idée de la Devise du Roy dont le soleil est le corps, on a représenté au milieu la naissance de ce Prince par la figure du soleil qui se lève. Le Roi enfant est assis sur un char élevé au-dessus des nuées et tiré par quatre chevaux. Le char est mené par la Victoire qui d’une main lui montre une couronne de laurier, symbole des avantages qu’il doit remporter sur les ennemis de la France, et qui de l’autre main tient les guides de ses chevaux comme pour l’assurer qu’elle le conduira dans toutes ses entreprises. Les mots de la Légende ORTUS SOLIS GALLICI signifie le lever du soleil de la France. Ceux de l’exergue SEPTEMBRIS QUINTO MINUTIS TRIGINITA OCTO ANTE MERIDIEM MDXXXVIII veulent dire que le roi est né le 5 de septembre 38 minutes avant midi 1638 »6. Ensuite Apollon est à nouveau présent en 1663 sous la forme du soleil radié pour la devise, liée au carrousel de l’année 1662. Auparavant, un spectacle montra le jeune roi sur scène en soleil naissant dans le Ballet de la Nuit composé par Isaac de Benserade en 1653, véritable programme de gouvernement anticipant le règne personnel de Louis XIV.

« La troupe des astres s’enfuit, Dès que ce grand Roi s’avance ; Les nobles clartés de la Nuit, Qui triomphaient en son absence, N’osent soutenir sa présence : Tous ces volages feux s’en vont évanouis, Le Soleil qui de l’Aurore suit, c’est le jeune LOUIS. »7

La médaille de la prise de pouvoir forme une sorte de duo avec une autre médaille de la même année, qui lui est étroitement liée et lui sert en quelque sorte d’explication, mais qui ne semble pas avoir été frappée : GALLIA FELIX « L’assiduité du roy à ses conseils ». Se retrouvent les idées d’ordre et de félicité : la France est heureuse parce que le roi exerce son pouvoir. « C’est le sujet de cette médaille. On y voit le soleil conduisant son char et répandant sa lumière sur le globe de la terre. Les signes du zodiaque marquent la route dont il ne s’écarte jamais. La légende GALLIA FELIX et l’exergue assidua regis in consiliis praesentia MDCLXI signifient la France heureuse par la présence du roi dans ses conseils. »8

Le miroir ardent pourrait constituer un second point de départ pour saisir la complexité du sens de la figure apollinienne. Exposé récemment au château de Versailles, le miroir ardent a été présenté à Louis XIV par son constructeur, l’ingénieur lyonnais François Villette, en 1669, à Saint Germain9. Plus tard, en 1685, le Roi fit lui-même à partir de cet instrument l’expérience du phosphore à Versailles. Ce bel objet aujourd’hui conservé à l’Observatoire de Paris est constitué de cercles concentriques, autrement dit par une symétrie axiale10. Ainsi, le miroir « ardent » reçoit ou capte la lumière du soleil par rayons parallèles, focalisant toute son intensité calorique par réflexion sur sa surface parabolique. Toute la chaleur est condensée en un seul point, le foyer. Le miroir ardent résultait d’une prouesse technique par son polissage et son façonnage et fut réalisé dans les laboratoires de chimie11.

Par sa présentation à la Cour, la qualité de son piètement, ce fut aussi un objet de divertissement produisant une forme particulière de spectacle dont la Cour raffolait, à la limite entre expérience scientifique et pur décor, de même que des feux d’artifices pendant les grandes fêtes de nuit ou des jets d’eau tels que Félibien, l’historiographe officiel des fêtes les décrivit. Aux yeux des scientifiques, des philosophes comme des courtisans et surtout des curieux – on ne peut négliger la part essentielle que joua le principe de la curiosité dans les commencements de la science moderne-, le miroir ardent rendait concret le rayonnement lumineux et permettait aussi l’étude des effets d’optique auxquels tous étaient attentifs. Les effets du soleil se matérialisèrent grâce à cet instrument qui mettait à la portée humaine la réflexion sur la nature de la lumière.

Imaginer cette expérience à Versailles, peut-être dans la galerie des glaces elle-même comme un miroir ardent géant, serait un peu facile. Cependant, comme le château côté parc, véritable palais du Soleil, a été conçu dans le lieu par excellence multiplicateur des effets du rayonnement solaire par les miroirs, les fenêtres, les marbres et les dorures – toute matière réfléchissante-, cette expérience, cet usage particulier de l’objet peut être doté d’un aspect singulier d’usage exponentiel du soleil : l’idée clef du miroir ardent est bien celle de la concentration lumineuse12.

Sabine du Crest
Maître de conférences en Histoire de l’art moderne
Université Michel-de-Montaigne Bordeaux 3


1 Cf. Académie des inscriptions et belles-lettres, Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand avec des explications historiques par l’Académie royale des médailles et Inscriptions, Paris, Imprimerie royaume, aux dépens d’Anisson, directeur, 1702 (cité Anisson) (286 médailles) ; 2e édition, 1705, 3e édition, Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, 1723 (318 médailles). Les planches ont été gravées par Mauger. À cette occasion fut créé un nouveau caractère d’imprimerie, le Romain du Roi. Ce grand in quarto comporte 292 pages. Il est consultable sur Google books. La médaille de la prise de pouvoir personnel se trouve à la page 59.

CF. ILL (coll. Part.) Je remercie mon collègue et ami, Yvan Loskoutoff, professeur de littérature française à l’université du Havre qui a eu la gentillesse de me communiquer ce document. Je renvoie à sa communication intitulée « De l’héraldique sur de l’antique : le texte et l’image des Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand d’après le manuscrit de l’Institut » qu’il prononcera au prochain colloque international Héraldique numismatique, 13 et 14 septembre 2012, université du Havre.

2 Cf. Sylvie de Turckheim-Pey, Médailles du Grand Siècle : Histoire métallique de Louis XIV, Bnf, 2004.

3 CF. Jean-Pierre Néraudau, L’Olympe du Roi-Soleil. Mythologie et idéologie royale au Grand Siècle, Les Belles Lettres, 1986.

4 Cf. Sabine du Crest, « La cristallisation d’Apollon à Versailles », in Apollon. Enquête sur un mythe. S. du Crest éd., Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 – Cahiers du Centre Pariset – Centre de recherche du Château de Versailles, 2006, pp.63-79 (du Crest-1).

5 CF. du même« « Félibien et l’historiographie des fêtes de Louis XIV à Versailles : la parfaite ressemblance » in Gaspare et Carlo Vigarani : de la Cour d’Este à celle de Louis XIV, éd J de KA Gorce-W Barrichi, Versailles, 2009, pp.298-307. (du Crest-2). Cf. en particulier : André Félibien, Recueil de descriptions et de peintures et d’autres ouvrages faits pour le Roi, Paris, Florentin et Delaulne, 1689.

6 Cf. Anisson, op. cit.

7 Cf. Néraudau, op. cit.

8 Cf. Anisson, op. cit.

9 Cf. Christine Lehman, « Les miroirs ardents : recherches académiques et divertissements à la cour » in Sciences et curiosités à la cour de Versailles. Catalogue de l’exposition, Château de Versailles, 26/10/2010 – 27/2/2011, éd. Béatrix Saule et Catherine Arminjon, pp. 234-236. Impressionné comme sa Cour, par la vitrification des briques, la réduction en cendres du bois, la fusion de l’acier, le Roi en fit l’acquisition pour une somme très importante 7000 livres. Si son principe en était connu depuis l’Antiquité, le miroir ardent qui suscite l’intérêt du Roi, voire sa fascination, est le premier instrument concave de grande taille, de bronze doré cerclé d’acier d’un diamètre d’environ 92 centimètres et d’une distance focale d’environ 1 mètre.

10 Je remercie Alexandre Afriat, philosophe des sciences, maître de conférences à l’université de Bretagne occidentale de Brest, collègue et ami, pour ses explications très claires dans un domaine souvent obscur pour une historienne de l’art.

11 CF. Id. Pour l’expérience de la calcination solaire de l’antinomie. Il s’agit donc d’un instrument scientifique intéressant la communauté scientifique européenne. En juillet 1669, l’expérience menée à la cour de Louis XIV fut relatée dans le Philosophical Transactions. Les chimistes et les physiciens de l’Académie royale des sciences s’en servirent.

12 Cf. du Crest 1, op. cit. Madeleine de Scudéry très sensible à cette perception des effets du rayonnement solaire dans la Galerie des Glaces qualifiait très justement cet espace singulier « d’allée lumineuse ».


Publication originale : Bertrand Fonck, « 1661 ou l’avènement du roi de guerre. La prise en main des affaires militaires par Louis XIV », dans Collectif, Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV, CEH, Neuves-Maisons, 2012, p. 269-307.

Consulter les autres articles de l’ouvrage :

Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou

Avant-Propos, par Daniel de Montplaisir et Jean-Christian Pinot

► « La rupture de 1661 », par le Pr. Lucien Bély :

► « De Colbert au patriotisme économique », par le Pr. Bernard Barbiche :

► « 1661 : le transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban », par Florence de Baudus :

► « 1653-1661 : Permanence des révoltes antifiscales », par le Pr. Yves-Marie Bercé :

► « Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV », par Vincent Beurtheret :

► « Louis XIV au Château de Vincennes », par Odile Bordaz (p. 89-102) :

► « 1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage », par Jean-Claude Boyer (p. 103-113) :

« La collection de tableaux de Louis XIV », par Arnauld Brejon de Lavergnée (p. 115-117)

► « Du cardinal Mazarin et du Jansénisme », par l’abbé Christian-Philippe Chanut (p. 119-162) :

► « Voyager avec Jean de La Fontaine à travers la France de l’« avènement », par Laurent Chéron (p. 163-187) :

► « Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche : La révélation d’un couple », par Joëlle Chevé (p. 189-214) :

► « Attraction solaire et spectacles de cour : une prise de pouvoir métaphorique », par Sabine du Crest :

► « Pauvreté et Église à l’aube du siècle de Louis XIV », par le père Jean-Yves Ducourneau :

« 1661 ou l’avènement du roi de guerre. La prise en main des affaires militaires par Louis XIV », par Bertrand Fonck (p. 269-307) :

Les actes des communications des sessions du Centre d’Études Historiques paraissent chaque samedi sur Vexilla Galliae.  

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