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Bossuet contre l’animalisme, par Paul-Raymond du Lac

L’éducation faite au Dauphin de France par Bossuet est décidément riche d’enseignements et d’actualité. Il s’y trouve un développement assez long sur la différence entre l’homme et l’animal, tout à fait à propos dans notre époque qui fait de l’animal un homme, et de l’homme un animal – car au fond cela revient au même, dire que l’animal est un homme, c’est faire de l’homme une bête, par un réductionnisme très classique de notre temps (comme le transhumanisme qui dit qu’un robot est un homme fait en fait de l’homme un robot, une machine, en supprimant son intelligence et sa volonté).

Il est intéressant de voir que cette tentation « animaliste » est de tout temps, et qu’elle existait déjà au temps de Bossuet – d’ailleurs elle gagnera au siècle suivant avec les Lumières, qui réduisent, à la suite de Descartes, l’homme à son corps et à une mécanique sensible, en réduisant sa part spirituelle à une simple mécanique des sensations.

Cette tentation est si universelle qu’elle se retrouve dans les mondes païens, où il est si commun de voir des divinités mi-bêtes, mi-hommes, ou des animaux divinisés, voir des hommes devenant des animaux.

A chaque fois, évidemment, ces erreurs entraînent des conséquences et des désordres graves dans les mœurs, et illustrent une décadence évidente de la société. Il est intéressant de connaître les ressorts de ces erreurs, car comme toute erreur, il existe une part de vérité, au moins psychologique, et il est bon de bien comprendre le fond du problème pour pouvoir mieux contredire les erreurs contemporaines, et amener à la conversion de ceux qui croient à ces erreurs, souvent par ignorance, ou par facilité, par tromperie parfois et en tout cas toujours du fait d’un mal-être, si commun à notre époque – combien de chiens ou chats ou d’autres animaux comme les équidés font l’office de substituts pour des personnes isolées, vieilles, ou des parents sans enfants, ou pour oublier un quotidien insensé et sans but… ?

Alors, laissons la parole à Bossuet, qui nous présente les arguments de ces erreurs – que les animalistes aujourd’hui ne sont plus capables de donner, mais qui sont quand même le sous-bassement de leurs thèses.

Apprécions d’ailleurs la méthode de Bossuet, qu’il faut imiter : il entre dans le raisonnement faux, pour en comprendre les soubassements, il l’analyse, et désigne les erreurs à la lumière de la saine philosophie et de la sainte théologie. C’est bien plus efficace que de nier en bloc : c’est d’ailleurs charitable, car on fait l’effort de comprendre l’autre, pour lui montrer raisonnablement le faux du raisonnement. On ne froisse ainsi aucun amour propre, ou on ne fait pas naître de mauvaises passions : seule la bonne volonté de l’interlocuteur est interpellée, et s’il le veut bien, il changera d’avis. Effectivement, le travail est fatiguant, et souvent sans fruits apparents : mais semons, et que d’autres, si Dieu veut, récoltent.

« CHAPITRE V.

DE LA DIFFÉRENCE ENTRE L’HOMME ET LA BÊTE.

I. — Pourquoi les hommes veulent donner du raisonnement aux animaux. Deux arguments en faveur de cette opinion.

Nous avons vu l’âme raisonnable dégradée par le péché, et par là presque tout à fait assujettie aux dispositions du corps. Nous l’avons vue attachée à la vie sensuelle par où elle commence, et par là captive du corps et des objets corporels d’où lui viennent les voluptés et les douleurs. Elle croit n’avoir à chercher ni à éviter que les corps; elle ne pense, pour ainsi dire, que corps ; et se mêlant tout à fait avec ce corps qu’elle aime, à la fin elle a peine à s’en distinguer ; enfin, elle s’oublie et se méconnaît elle-même.

Son ignorance est si grande, qu’elle a peine à connaître combien elle est au-dessus des animaux. Elle leur voit un corps semblable au sien, de mêmes organes et de mêmes mouvements ; elle les voit vivre et mourir, être malades et se porter bien, à peu près comme font les hommes; manger, boire, aller et venir à propos, et selon que les besoins du corps le demandent ; éviter les périls, chercher les commodités, attaquer et se défendre aussi industrieusement qu’on le puisse imaginer; ruser même et ce qui est plus fin encore, prévenir les finesses, comme il se voit tous les jours à la chasse, où les animaux semblent montrer une subtilité exquise.

D’ailleurs, on les dresse, on les instruit; ils s’instruisent les uns les autres. Les oiseaux apprennent

à voler, en voyant voler leurs mères.

Nous apprenons aux perroquets à parler, et à la plupart des animaux mille choses que la nature ne leur apprend pas.

Ils semblent même se parler les uns aux autres. Les poules, animal d’ailleurs simple et niais, semblent appeler leurs petits égarés, et avertir leurs compagnes, par un certain cri, du grain qu’elles ont trouvé. Un chien nous pousse quand nous ne lui donnons rien, et on dirait qu’il nous reproche notre oubli. On entend ces animaux gratter à une porte qui leur est fermée : ils gémissent ou crient d’une manière à nous faire connaître leurs besoins ; et il semble qu’on ne puisse leur refuser quelque

espèce de langage. Celle ressemblance des actions des bêtes aux actions humaines, trompe les hommes ; ils veulent, à quelque prix que ce soit, que les animaux raisonnent ; et tout ce qu’ils peuvent accorder à la nature humaine, c’est d’avoir peut-être un peu plus de raisonnement.

Encore y en a-t-il qui trouvent que ce que nous en avons de plus, ne sert qu’à nous inquiéter, et qu’à nous rendre plus malicieux. Ils s’estimeraient plus tranquilles et plus heureux, s’ils étaient comme les bêtes.

C’est qu’en effet les hommes mettent ordinairement leur félicité dans les choses qui flattent leurs sens ; et cela même les lie au corps, d’où dépendent les sensations, lis voudraient se persuader qu’ils ne sont que corps; et ils envient la condition des bêtes qui n’ont que leur corps à soigner. Enfin, ils semblent vouloir élever les animaux jusqu’à eux-mêmes, afin d’avoir droit de s’abaisser jusqu’aux animaux, et de pouvoir vivre comme eux.

Ils trouvent des philosophes qui les flattent dans ces pensées. Plutarque, qui parait si grave en certains endroits, a fait des traités entiers du raisonnement des animaux, qu’il élève, ou peu s’en faut, au-dessus des hommes. C’est un plaisir de voir Montaigne faire raisonner son oie, qui, se promenant dans sa basse-cour, se dit à elle-même que tout est fait pour elle, que c’est pour elle que le soleil se lève et se couche ; que la terre ne produit ses fruits que pour la nourrir; que la maison n’est faite que pour la loger; que l’homme même est fait pour prendre soin d’elle; et que si enfin il égorge quelquefois des oies, aussi fait-il bien de son semblable.

Par ces beaux discours, il se rit des hommes qui pensent que tout est fait pour leur service. Celse, qui a tant écrit contre le christianisme, est plein de semblables raisonnements. Les grenouilles,

dit-il, et les rats, discourent dans leurs marais et dans leurs trous, disant que Dieu a tout fait pour eux, et qu’il est venu en personne pour les secourir. Il veut dire que les hommes, devant Dieu, ne sont que rats et vermisseaux, que la différence entre eux et les animaux est petite.

Ces raisonnements plaisent par leur nouveauté. On aime à raffiner sur cette matière; et c’est un jeu à l’homme de plaider contre lui-même la cause des bêtes.

Ce jeu serait supportable s’il n’y entrait pas trop de sérieux; mais, comme nous avons dit, l’homme cherche dans ces jeux des excuses à ses désirs sensuels, et ressemble à quelqu’un de grande naissance, qui, ayant le courage bas, ne voudrait point se souvenir de sa dignité, de peur d’être obligé à vivre dans les exercices qu’elle demande.

C’est ce qui fait dire à David : « L’homme « étant en honneur, ne l’a pas connu; il s’est « comparé lui-même aux animaux insensés, et « s’est fait semblable à eux».

Tous les raisonnements qu’on fait ici en faveur des animaux, se réduisent à deux, dont le premier est : Les animaux font toutes choses convenablement aussi bien que l’homme ; donc

ils raisonnent comme l’homme. Le second est : Les animaux sont semblables aux hommes à

l’extérieur, tant dans leurs organes que dans la plupart de leurs actions ; donc ils agissent par

le même principe intérieur, et ils ont du raisonnement. » (Bossuet, Œuvres Complètes, 1879, Tome IX, p.88-89, les parties en gras sont de nous)

Appréciation l’élévation de la vue que donne l’exercice régulier et répétée de la vertu sublimée par la grâce. Nous avons mis en gras les passages les plus saillants : nous trouvons à la fois le fond des raisonnements dont il s’agira de démontrer la fausseté, mais aussi les ressorts psychologiques de l’animalisme. Il y au fond une volonté de légitimer nos péchés en supprimant le libre arbitre, puisque dire que nous sommes comme les animaux revient au fond à faire croire que nous ne décidons pas, et donc qu’il n’y a plus de mal ou de bien.

Il y aussi, dans ce refus du libre arbitre, une sorte de refus du mal moral, qui devient si insupportable à certains, qu’on préfère croire que l’animal serait même mieux que l’homme, et que donc nous animaliser reviendrait à supprimer le mal – en fait on l’accentue, car on a beau nier notre libre-arbitre, il est toujours là, et cela ne changera jamais.

Il est intéressant de voir le rôle des penseurs qui se font un jeu de démontrer l’indémontrable, qui amuse la galerie, et font beaucoup de mal par leur légèreté, quand ils ne sont pas simplement malintentionnés. Et combien l’erreur, sous couvert de nouveauté, attire l’intérêt, là où la vérité, en lien avec le réel, peut sembler trop « évidente », sûre, intangible, et donc trop ennuyeuse.

Cela est faux évidemment, mais cet attrait de la nouveauté est de tout temps et fait toujours beaucoup de mal.

Heureusement aujourd’hui la vérité est tellement rare dans le sens commun contemporain, que la vérité semble nouvelle, et attire ainsi l’intérêt de certains : sachons user de cette circonstance, sans en abuser, car l’important est la vérité, et non la nouveauté de ces vérités universelles et vieilles, très vieilles – mieux éternelles !

(à suivre)

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul-Raymond du Lac

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