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La guerre menée par la Russie en Ukraine est-elle juste ? (1/3), par Paul-Raymond du Lac

 

En trois parties

 

I Propos liminaires

Posons la question, froidement, et analysons sans passion, tel un chirurgien devant son patient dont on préfère qu’il vous considère comme un tas de viande et vous sauve la vie plutôt qu’il tremble de tout son corps et vous tue par maladresse.

Nous remarquerons tout de suite que la notion de guerre juste a toujours existé, simplement ses critères ont été complétement renouvelés et sanctifiés par la foi chrétienne, et le droit de la guerre dit « moderne », en train de s’écrouler, est issu de la chrétienté.

Chez les païens, en effet, disons-le de façon abrupte, pour qu’une guerre soit juste il faut qu’elle soit formellement légale, obéissant à un formalisme rituel dans sa déclaration, avec l’approbation rituelle en vigueur dans tel ou tel civilisation (un augure positif, un rapport fait aux dieux, un vote parlementaire, etc). Quitte à ce que ce formalisme que l’on pourrait appeler positiviste ne dise rien sur la justesse de la cause de guerre. L’autre critère nécessaire est la victoire : le gagnant, du fait même qu’il a gagné, était forcément celui qui était juste, puisqu’il a les dieux de son côté… Cela peut sembler simpliste mais ce fut le lot commun de l’humanité avant Jésus-Christ et hors Jésus-Christ, et le redevient aujourd’hui – regardez les guerres contemporaines et le puritanisme ambiant anglo-saxon qui absolutise l’ennemi, fait de la guerre une guerre « sainte » et morale, mais jamais juste, et considère que tant que la victoire est là, tout est permis[1]. Avec toutes ces sales guerres.

Notons au passage que malgré des modulations sur les détails, païens comme chrétiens sont d’accord pour ne jamais reconnaître à la rébellion ou à la révolte aucune légitimité : cela est assimilé à un crime de lèse-majesté défaisant fondamentalement le tissu d’une communauté, c’est la guerre civile. Seule la guerre entre souverains, entre sociétés parfaites est concernée par la notion de guerre juste.

Nous remarquerons que la criminalisation de la guerre que nous pouvons observer aujourd’hui indique cette émergence d’un ordre mondial qui veut transformer le monde composé de nombreux souverains par un seul état mondial : ainsi toute « guerre » devient une rébellion et un trouble à l’ordre public mondial, et devient de ce fait même illégitime. Simple opération de police, on envoie écraser les rebelles. Un peu comme font les États-Unis avec leur armée sous mandat ou pas de l’ONU. Ce glissement que nous observons aujourd’hui manifeste bien que nous sommes à une charnière importante entre deux mondes et deux conceptions qui s’affrontent : les relations de souverain à souverain ou un gouvernement mondial.

En droit, les deux co-existent, puisque le droit international voudrait bien faire croire qu’il est supérieur aux droits nationaux, et l’ONU ou l’OTAN voudraient bien faire croire qu’elle ne fait que l’œuvre d’une police…

Selon la doctrine traditionnelle néanmoins, la guerre est avant tout une affaire de justice : il s’agit de réparer une injustice, ou de faire justice, c’est-à-dire de rendre à chacun ce qui lui est dû (que ce soit dans le sens de la récompense ou de la punition). La vertu de prudence devient ainsi essentielle, puisque la guerre, hautement politique et dans l’action, est régie par cette vertu de prudence, qui permet d’agir conformément à la loi divine dans des circonstances pratiques particulières et donc uniques.

La guerre n’étant plus moralisatrice ou absolu mais s’occupant de justice, la paix n’est plus une domination terrible et une annexion pure et simple, voire une extermination physique de l’ennemi (massacre des hommes et mise en esclavage des femmes et des enfants, comme savent si bien le faire beaucoup de peuples dans l’histoire) mais une tentative de réconciliation durable qui ne vexe pas l’ennemi. Sans laxisme, pas non plus de dureté outre mesure, car l’enjeu est de réparer l’injustice et ramener une paix durable, dans un esprit de pardon que seule la foi chrétienne permet de rendre viable et durable. Je vous invite à visionner sur le sujet l’excellent et synthétique présentation de John Laughland sur le droit de la guerre[2].

 

Selon la doctrine traditionnelle, ainsi, quels sont les critères pour qu’une guerre soit juste ?[3]

 

1 Qu’une autorité légitime déclare la guerre.

Ainsi toute guerre qui aurait une cause juste et une intention droite ne serait pas juste si une autorité non légitime la décide. C’est ainsi le roi, le chef ou tout autre autorité légitime qui décide d’une guerre, condition première pour qu’elle soit juste.

 

2 Que la cause soit juste.

C’est-à-dire que le but proposé soit juste, et vise ainsi à réparer une injustice objective, ou défendre la justice (par exemple faire tenir une parole, matérialisée par des traités entre pays ; ou encore faire respecter des droits de succession, ou encore rendre un bien ou un territoire indûment pris à son propriétaire d’origine). En bref réparer une faute commise et que le souverain en question ne veut pas réparer. Il faut évidemment que cette cause soit un bien objectif, une justice lésée à réparer bien concrète et ne peut justifier aucune guerre d’expansion. C’est tout à fait pratique, et vise au bien commun : les hommes étant pêcheurs, parfois seul la force permet de réduire l’injuste qui ne veut pas entendre raison ou le malfaiteur qui sévit.

 

3 Que l’intention soit droite.

L’autorité peut-être légitime et la cause juste, mais si l’intention, c’est-à-dire le but et les moyens réels sont injustes, alors la guerre est injuste : se proposer de voler au secours de l’opprimé en déclarant une guerre sans avoir cherché d’autres moyens de résolution ou l’amendement de l’oppresseur par des moyens pacifiques est ainsi une guerre injuste. Massacrer tout le monde pour sauver un opprimé, ou se protéger est aussi injuste (cf Hiroshima et Nagasaki).

 

Ce critère est bien sûr le plus délicat et se sous-divise lui-même habituellement en plusieurs sous-critères qui permettent d’évaluer si l’intention est droite ou non :

a.La guerre comme ultima ratio, soit le dernier moyen après épuisement de tous les autres moyens raisonnables et possibles

b.Que le bien obtenu soit plus grand que le mal occasionné par la guerre, tel qu’on peut raisonnablement le prévoir

c.Que les moyens utilisés soient justes et proportionnés : on ne rend pas une injustice pour une injustice. Une guerre nucléaire serait ainsi toujours injuste (blessant le critère b comme c)

d.Que les chances de succès soient raisonnablement grandes : une guerre pourrait avoir tous les critères précédents, s’il était certain qu’une guerre entraîne par exemple une guerre mondiale et totale, elle serait injuste. Cela suppose aussi qu’il faut ainsi être suffisamment fort pour mener une guerre juste, car la faiblesse est dangereuse en cette matière.

 

Le décor sur la guerre juste étant posé, passons maintenant à l’application au cas de l’Ukraine.

 

(à suivre)

 

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul-Raymond du Lac

 

[1] Nous renvoyons par exemple sur l’intéressant livre de Jean-François Chamain, « Bellum Justum » pour ces notions de guerre juste dans l’antiquité romaine païenne.

[2] https://www.youtube.com/watch?v=ZTWzNrHO1IQ

[3] Nous renvoyons ici à l’excellente synthèse de François-Régis Legrier, « Si tu veux la paix, prépare la guerre », Via Romana, dont nous reprenons la nomenclature des critères.

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