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De la guerre des poubelles aux corps intermédiaires, Paul de Beaulias

Il existe au Japon une institution coutumière encore vivace dans les campagnes qui correspondrait une association de quartier ayant pour but de gérer les affaires de voisinage et d’organisation des affaires quotidiennes. C’est une sorte de corps intermédiaire au niveau le plus proche de la famille.

En théorie, aujourd’hui, ce genre d’associations ne nécessite d’y entrer, et n’a pas non plus de reconnaissance publique. En pratique, ce survivant du droit coutumier exige encore dans de nombreux endroit, hors des villes, l’adhésion du nouveau venu, et pèse dans la politique communale.

C’est comme si en France, dans tout village ou toute ville, vous deviez entrer la section regroupant les habitants de votre rue (une voix étant un feu), sections elles-mêmes regroupés en une association plus vaste, par exemple un hameau, ou l’association centre, regroupant peut-être quelques milliers de personnes. Et l’ensemble de ces associations discutent avec la commune, faisant remonter les problèmes.

Tout cela fleure la vieille société féodale.

Ce système coutumier est aujourd’hui en crise. En 10 ans de Japon, ayant vécu dans les grandes métropoles, je n’ai jamais entendu parlé, même de loin, de l’existence de ces associations dans les différents endroits où je vivais.

En ville, ces groupes ont beaucoup moins de puissance, et peu de nouveaux venus y participent, anonymat de la ville oblige.

L’image habituelle de ces associations n’est pas d’ailleurs très positive : les vieux du quartier monopolisent toutes les places de ces associations, dont la moyenne d’âge est plutôt de 70 ans – en fait c’est une coutume d’avant-guerre, qui ne survivra que tant cette génération vit, malheureusement – et ils profitent de ce contrôle pour enquiquiner le voisinage, en faisant par exemple des milices de poubelle, qui vaquent et vont fliquer si vous faites le tri, si vous ramasser les crottes de chien, etc. En campagne, on entend des histoires de « démocratisme » villageois, où ces associations plénipotentiaires, dans une démocratie pure, trouvent parfois leur bouc-émissaire, et l’exile du village en utilisant tous les moyens de pression psychologique et de terreur morale (ne pouvant plus le faire par la force). Ce genre d’histoire poussant tel ou tel habitant à déménager et à partir se trouve dans les manuels de droit par exemple, où quelques cas énormes, ou ayant entraîné un mort, a poussé un japonais « moderniste » à porter plainte – ce qui ne se fait pas, il faut régler cela en famille !

Il a fallu dix ans, et l’achat d’une maison, dans une « campagne » (un « village » de 50 mille habitants quand même, mais à côté des vingt millions de la métropole de Tokyo, cela fait minuscule), pour découvrir ce monde.

J’ai appris que ces associations, en fait, sont avant tout des corps intermédiaires par feu, mais aussi de propriétaires : en ville, seules les propriétaires en font partie. En campagne tout le monde, mais l’idée que les propriétaires, ou les chefs de famille (puisque c’est par feu) sont les piliers de ces associations est ancrée.

J’ai découvert aussi que l’on est pas libre de ne pas y entrer.

Nous arrivons, et la guerre des poubelles démarrent : je m’explique. Ici, au Japon, l’usage totalitaire de la poubelle a des lustres d’avance sur la France, qui est en train de suivre l’exemple japonnais. Ici, on paie des sacs, et donc on paie en fonction du volume que l’on jette ; ces sacs sont évidemment assez transparents, pour que tout le monde voit ce que vous jetez. A cela s’ajoute une politique de tri sévère, jamais obligatoire en théorie, mais gare si vous ne respectez pas ! Les éboueurs collent une fiche sur votre poubelle et vous êtes condamnés à la garder une semaine pour la re-trier…

Bon, en ville, et grâce à l’anonymat de ces endroits, les éboueurs, au bout d’un moment abandonne.

Donc nous emménageons, et évidemment nous sommes pris par les cartons, les choses administratives et autre. Nous ne prévoyons d’aller saluer le voisinage que sept jours après notre arrivée, avec petits biscuits en cadeau – c’est encore une coutume ancrée, qui disparaît en ville, mais reste très présent hors des métropoles.

Sauf qu’en une semaine, qui plus est de déménagement et avec une famille nombreuse, on accumule des poubelles : alors je jette à l’endroit qui me semble être le point de ramassage de notre pâté de maison.

Ça passe une fois.

La seconde fois, une voisine me voit, me salue, je discute avec bonheur. Elle me dit que ce n’est pas là qu’il faut jeter, et me demande si j’ai salué les voisins. Je dis pas encore, que ce sera après-demain. Elle me dit d’accord, et qu’elle autorise à jeter à un autre point de ramassage, 30 mètres plus loin. Heureux, je vais poser mes trois sacs de poubelle, puis je pars à mes occupations en ville.

Le soir je reviens, et patatras, les trois sacs sont revenus derrière le portail d’entrée. Mon épouse m’explique que les agents de la déchetterie sont revenus dans l’après-midi exprès après le ramassage pour ramener les poubelles. La raison officielle, il y avait une ou deux canettes dans un des sacs, donc soit disant ils ne peuvent pas ramasser (c’est du flanc évidemment, la fois d’avant, il y en avait aussi et ont ramassé, et la semaine suivante, après diplomatie et intégration, ils ont encore ramassé malgré les canettes). La raison réelle : un voisin s’est plaint que nous ayons jeter nos poubelles pas dans notre point de ramassage… Malgré l’autre voisine qui a autorisé…bref.

Ils nous donnent le calendrier, et tout. Ça les inquiète cette histoire de poubelle.

Le lendemain nous allons saluer notre voisinage, et le chef de quartier embraye sur les poubelles (le délateur ne faisait pas partie de notre voisinage immédiat, mais d’une autre section, selon toute vraisemblance), il me donne surtout la clef du local poubelle que la section s’est offerte il y a quelques années – en théorie on peut jeter sans mettre dans ce local, mais en pratique cela signifie que vous ne jouez pas le jeu de l’association de quartier, donc pas sûr qu’on vous ramasse bien.

Nous sommes enfin intégrer, mais je n’ai pas encore rempli la fiche d’inscription. Nous avons évité le pire de l’escalade dans la guerre des poubelles : c’est toute une géopolitique !

La dimanchade passe et le jour des poubelles arrive. Ce jour, nous avons une quantité impressionnante de poubelles, beaucoup d’emballages et de plastiques du fait de l’installation de meubles et autres.

Alors forcément, cela dépasse du local.

Et forcément, cela n’a pas manqué, le voisin immédiat et le chef de section vienne sonner à la porte, en plain chapelet en plus ! Ils m’ont fait raté les trois dernières dizaines pour une histoire de poubelle !

Enfin, ils viennent, visiblement stressé. Ils me donnent les explications sur les poubelles, et surtout me font comprendre qu’on ne peut pas jeter autant de poubelles, qu’il y a une déchetterie à 10 minutes en voiture, que ce qui dépasse ça ne va pas car les corbeaux vont venir.

Je leur fais remarquer gentiment que je n’ai pas de voiture, que nous venons de déménager et donc que la quantité aujourd’hui est grande, mais ce ne sera qu’une fois, et que les corbeaux ne mangent pas le plastique jusqu’à preuve du contraire. On me sort ensuite des faux arguments en parlant du tri ou je ne sais quoi, je réponds que ce tri n’est pas obligatoire, et qu’on paie au volume, alors c’est bien notre problème.

En fait ils comprennent, et nous laissent tranquille. Eux aussi, le tri ça les soûle. Et ils voient bien qu’avec une famille nombreuse on a d’autres chats à fouetter.

Les poubelles sont enlevées. Je glisse mon bulletin d’inscription dans la boîte aux lettres du chef de section : nous jouons le jeu, mais sans être des robots.

Le jour suivant, quand je n’étais pas là, le chef de section repasse : mon épouse un peu inquiète leur ouvre. Mais, ouf, ils sont tout affables et viennent nous donner les documents sur la vie de quartier et tout : il n’est plus question de poubelles !

La guerre des poubelles s’est bien terminé, et nous avons découvert que l’association de quartier, assez vivace, faisait pas mal de chose, et surtout pouvait permettre de faire remonter des choses à la commune, même si nous somme étrangers, même si nous sommes nouveaux.

D’où l’intérêt de ces structures traditionnelles, par feu, et qui ne demandent pas de droit de vote.

Cela devait correspondre dans notre ancienne France aux paroisses, ou plutôt aux chapitres qui se formaient pendant les processions, qui devait se regrouper par quartier ou hameau et gérer dans une saine subsidiarité les sujets purement locaux.

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul de Beaulias

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