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Commentaire de l’« Abrégé de l’Histoire de France » de Bossuet. Partie 15 : Louis VII, ou le Roi repentant

TEXTE DE BOSSUET

Louis VII, dit le Jeune (an 1138)

Entre plusieurs choses qui ont rendu célèbre le règne de Louis le Jeune, on peut compter la multiplication de communes ou sociétés bourgeoises, dans un très-grand nombre de villes des différentes provinces du royaume. On avait déjà vu quelques exemples de ces établissements sous les deux règnes précédents. Louis comprit combien il en pouvait tirer de secours pour abattre la trop grande puissance des seigneurs qui maltraitaient leurs sujets. Ceux-ci, pour se mettre à l’abri de la vexation , songèrent à former des corps de communauté , qui avaient leurs lois particulières, selon lesquelles ils se gouvernaient : ils se retirèrent par là, en quelque façon, de la domination de leurs seigneurs naturels ; aussi prétendaient-ils ne devoir être soumis qu’au roi directement, à qui ils accordaient des troupes pour le servir dans ses guerres.

C’est pour cela que Louis et ses successeurs accordèrent si facilement leur consentement à l’établissement des communes, que leurs vassaux faisaient eux-mêmes dans les terres de leur dépendance.

Louis, par son mariage avec Aliénor, était devenu maître de la Guyenne et du Poitou, et était par là en état de faire respecter davantage son autorité : c’est ce qu’il fit en plusieurs occasions. Le siège archiépiscopal de Bourges étant vacant, le pape Innocent II, sans avoir égard à celui que le clergé avait élu, donna cette prélature à Pierre de la Châtre. Louis voulut l’empêcher de faire ses fonctions, et fut excommunié par le Pape ; mais comme il crut que Thibault , comte de Champagne , l’avait excité contre lui, il entra dans le pays de ce comte, où il ravagea tout sans épargner les églises, et il en brûla une entre autres, dans laquelle treize cents hommes s’étaient réfugiés. Il fut extrêmement troublé de cette inhumanité ; et quoi que pût faire le célèbre saint Bernard, il ne put jamais le rassurer dans la crainte qu’il eut que Dieu ne lui fit jamais de miséricorde.

Pour expier son péché, il résolut de se croiser et d’aller au secours du royaume de Jérusalem, qui était entre les mains d’un jeune enfant, nommé Baudouin, sous la conduite de sa mère. L’empereur Conrad prit en même temps une pareille résolution, et sortit de ses terres avec soixante mille hommes. Le voyage du roi fut retardé, parce qu’Eugène III, chassé par les Romains, fut contraint de se retirer en France. Le roi le reçut, selon la coutume de ses ancêtres, avec toute sorte de respect. Ensuite étant près de partir, il alla recevoir en cérémonie , à Saint-Denis , l’étendard royal, qu’on appelait l’Oriflamme, dont les rois avaient accoutumé de se servir dans leurs guerres. Il laissa son royaume entre les mains de Raoul, comte de Vermandois, et de Suger, abbé de Saint-Denis. Il trouva à Nicée l’empereur Conrad, à qui Emmanuel, empereur d’Orient, avait fait périr cinquante nille hommes.

Pendant que Louis se pressait d’arriver à Jérusalem, Raimond, prince d’Antioche, oncle de sa femme, le pria de s’arrêter en ce pays, pour l’aider à agrandir ses Etats : ce que le roi ayant refusé, parce qu’il ne voulait pas retarder son principal dessein, Raimond persuada à Aliénor, qui avait accompagné son mari en Asie, de l’abandonner sous prétexte qu’il était son parent. Louis, cependant, contraignit sa femme de le suivre dans la Palestine ; il alla à Jérusalem, ensuite assiégea Damas, que la trahison des Chrétiens du pays l’empêcha de prendre. Déchu de cette espérance, il ne songea plus qu’au retour. Comme il revenait par mer, il rencontra l’armée navale des Grecs qui faisaient la guerre à Roger, roi de Sicile ; il fut fait prisonnier ; mais Roger étant survenu, battit l’armée grecque et délivra Louis.

A son retour en France, il quitta sa femme, soit par scrupule, soit par jalousie, soit par quelque autre raison : il assembla, à ce sujet, un concile à Beaugency. Elle épousa Henri, duc de Normandie, comte d’Anjou , héritier du royaume d’Angleterre : elle lui apporta en dot le duché d’Aquitaine et le comté de Poitiers. Ce fut un grand sujet de douleur pour Louis de voir si fort agrandir en France la puissance et le domaine des rois d’Angleterre : c’est de là aussi que vinrent les guerres sanglantes qui ont duré près de deux cents ans, et par lesquelles la monarchie a pensé être renversée de fond en comble. Cependant Louis maria sa fille au fils aine du roi d’Angleterre, et comme si ces rois n’eussent pas été assez redoutables en France, il donna pour dot à la princesse la ville de Gisors, qui était très-considérable en ce temps-là.

Il y eut pendant ce règne beaucoup de guerres entre la France et l’Angleterre, sans qu’il y eût de part et d’autre aucun avantage considérable. Louis protégea contre Henri II, roi d’Angleterre, Thomas, archevêque de Cantorbéry, son chancelier, homme très-saint et très-courageux, que ce roi avait chassé de ses États, parce qu’il refusait de consentir à des lois contraires aux libertés ecclésiastiques. Louis le reçut honorablement en France, et fit sa paix avec le roi d’Angleterre , mais les premiers démêlés ayant bientôt recommencé, des scélérats croyant faire plaisir à Henri qui avait témoigné qu’il souhaitait d’être défait de ce prélat, le tuèrent dans son église, au milieu de son clergé, dans le temps qu’il assistait à l’office.

Ce n’est pas ici le lieu de rapporter comment Henri fut excommunié pour ce meurtre sacrilège ni la satisfaction publique qu’il fit devant le tombeau du saint archevêque ; mais il ne faut pas omettre qu’après cet acte de piété et de pénitence, les enfants du roi qui s’étaient révoltés contre leur père, de l’aveu de la reine Aliénor leur mère, et sous la protection de Louis, furent bientôt rangés à leur devoir, moitié de gré, moitié de force. Thomas fut mis au nombre des martyrs, et fut extraordinairement honoré par les Anglais ; le roi Louis passa en Angleterre pour honorer ses reliques.

Ce prince fut fort pieux, et la protection qu’il donna aux Papes en est une grande preuve. Il reçut avec toutes sortes de témoignages de respect et d’amitié Eugène III, dont nous avons déjà parlé, et ensuite Alexandre III, chassé de Rome par la faction de l’empereur Frédéric II et de l’anti-pape Victor. Louis mourut à Paris le 18 septembre 1180. Il fut enterré dans l’église de l’abbaye de Barbeau, qu’il avait fondée.

COMMENTAIRE DE LA RÉDACTION

Le règne de Louis VII, souvent oublié, est pourtant fondateur, et déjà l’un des sommets de notre chrétienté. Pourquoi fondateur ? Parce qu’il contient le germe de la guerre contre les Anglais dans la personne d’Aliénor, qui a, hélas, plus tenu d’Ève que de Marie… La femme machiavélique fait toujours des dégâts bien plus profonds et durables, car plus discrets et moins aigus, que l’homme violent, qui détruit tout sur le coup. Dans le second cas, il suffit ensuite de reconstruire… Les rois anglais commencent déjà, sporadiquement, à se révolter contre l’Église et à persécuter des hommes d’Église, que défend le roi de France, comme plus tard il défendra les jacobites et les Stuart catholiques.

Louis VII nous montre aussi ce qu’est véritablement un prince chrétien : non pas un homme parfait, sans faute, qui serait un pur hors d’atteinte, un héros de l’âge d’or comme disent les anciens païens, ou encore un descendant des dieux, comme veulent le croire beaucoup d’autres païens, mais bien un homme, placé à une place lourde de responsabilités, mais un homme pêcheur, qui faute… et surtout se repend !

Louis VII, emporté par sa colère — tentation qui, il ne faut pas l’oublier, doit être d’une force démesurée quand on a un pouvoir important entre les mains — ravagea le pays du comte de champagne, et ses hommes tuèrent des pauvres civils dans une église (les inhumanités dans les guerres ne sont pas le propre du Moyen Âge, Oradour a eu existé…) Comme roi chrétien, premièrement, il prend comme s’il avait fait lui-même les actes de ses subordonnés, qui se battent en son nom : il ne fait pas comme ces chefs contemporains et anciens qui s’attribuent toujours les mérites de leurs subordonnés, tout en repoussant toutes les fautes sur ces derniers…

Non, en tant que chrétien, le Roi se trouble, se repent, et il faudra un saint Bernard pour le consoler et le rassurer sur son sort. Il alla jusqu’à se croiser : rappelons-le encore, ce genre de fait est exceptionnel, et n’est possible qu’en chrétienté. Un roi qui quitte son royaume est en général vite remplacé par une quelconque cabale, souvent de sa propre famille, et il ne pourrait imaginer retrouver son royaume intègre sans un régime de terreur, ou des assurances en otages.

En monde chrétien, rien de tout cela : malgré les passions humaines et le péché toujours présent, le roi peut aller se croiser sans que sa royauté ne soit mise en danger ; tout le monde ne peut respecter que le saint dessein de la croisade, et personne ne peut porter la main sur l’oint du seigneur, ni sur son trône, quoique vacant quelques temps.

Louis VII démontre encore une autre constante des rois de France : après la piété, le pardon, et la vie très chrétienne dans la justice, il protège l’Église, et tout particulièrement le Pape contre les menées de l’empereur.

Tout en étant toujours réaliste et empirique : le roi de France fait œuvre de justice dans la réalité ; il connaît sa légitimité, ses forces mais aussi la réalité de son pouvoir. Il peut ainsi favoriser les communes pour mieux contenir les abus de certains grands seigneurs qui, ne pouvant devenir l’oint du seigneur comme le Roi, aimeraient du moins étendre leur puissance… tentation éternelle de l’homme de pouvoir dont nous voyons aujourd’hui l’expression la plus vulgaire du fait de la disparition de la perfection chrétienne…

Paul de Lacvivier

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