Editoriaux

Le renoncement

Les Français ont renoncé. Peut-être pas tous, peut-être pas définitivement. Mais la tâche semble trop lourde. Ils ont le sentiment, devant la complexité des choses, de ne pas savoir par où et comment entreprendre l’ouvrage. Alors, en attendant les fins de semaine et les vacances, au moins pour ceux qui ont la chance d’avoir un véritable emploi, ce qu’il reste de patriotes espère voir apparaître un nouveau chef. Nous l’avons bien ressenti à l’occasion de l’arrestation du général Piquemal, certes, ancien grand baron de la Mitterrandie ; ou encore à propos de ces événements pitoyables, lors de la commémoration de la bataille de Verdun.

Le souffle n’est pas mort. La patrie est encore vivante dans le cœur d’une partie des Français. Le feu est là sous la cendre. Mais encore faudrait-il, pour qu’il se ravive, qu’il ait en tout Français un jour existé. Et c’est bien là la difficulté. Si l’on connaît des « illuminés » du christianisme de Paul de Tarse à Paul Claudel, si nous n’en pouvons plus des excités de la république et de la laïcité, avons-nous entendu parler d’engouements soudains et inexplicables pour la patrie ? Eh bien non ! Pour aimer son pays, pour ressentir viscéralement les attaques dont il est victime, il faut un peu de temps, et même bien du temps. On peut bien sûr s’être battu pour le défendre. On peut idéalement en avoir retourné la terre depuis des décennies, voire des siècles. On peut aussi en avoir extrait le charbon, il n’y a pas si longtemps encore. On peut également, et c’est bien la moindre des choses, y avoir travaillé au moins un peu, et remercier la France et les Français de leur générosité. Enfin, on peut être Basque, Corse, Breton ou Flamand, mais en rien un quelconque citoyen du monde, n’ayant d’autre qualité que de disposer d’une carte d’identité française, obtenue dans l’instant, sans que l’on ne connaisse ni le pourquoi ni le comment.

Les Français ont renoncé. On le sait, il est bien difficile et même périlleux de se donner des coups de pied dans le derrière. Ceux qui étaient à Londres en Juin 40 se sont trouvés, paraît-il, bien peu nombreux. À part les marins de l’île de Sein qui, chose très importante, disposaient des bateaux pour s’y rendre, les premiers résistants étaient des gens déjà fortement imprégnés de nationalisme, attachés à la patrie, et qui possédaient les moyens de laisser au loin, leur famille, leurs affaires, leur terre. Y avait-il plus de monde, aux premières heures du régime de Vichy ?

Pourtant dans les deux cas, il y avait là des chefs, des bannières sous lesquelles se ranger. Mais rien n’est jamais simple. De Gaulle n’a-t-il pas dit que les Français avaient tous plus ou moins murmuré oui à Pétain ? Et, n’a-t-il pas décidé, à la Libération, avec l’assentiment du plus grand nombre, que ces mêmes Français avaient été globalement résistants ?

Les Français sont dans un rapport à la patrie semblable à celui de ces catholiques qui, en quelque sorte prenant acte de la situation de l’Église et ne manquant pas de préciser : « Que voulez-vous, il n’y a plus de prêtres ! », se gardent bien de les remplir ces églises, afin de peut-être susciter davantage de vocations.

Notre république n’apprécie pas trop les têtes qui dépassent, d’ailleurs la France, pour engendrer celle-ci, ne s’est-elle pas fait une spécialité de les couper ? À part des circonstances particulières où la nécessité de l’action s’impose, une léthargie maladive, et qui semble satisfaire la majorité de la population, s’installe alors passivement jusqu’à un point de non-retour et surgit enfin l’explosion.

Les Français ont renoncé. Les supermarchés pour riches tout comme les supermarchés pour pauvres regorgent de produits manufacturés, beaux et bien emballés, avec des notices indiquant très précisément leur contenu vérifié et certifié. Pour lutter contre le scepticisme et les poussées anxiogènes de ceux qui par trop s’interrogeraient, on trouve dans les grandes surfaces de qualité des produits biologiques, dont il n’est pas utile de vérifier la composition. On peut acheter sans tergiverser, ce sont de bons produits !

Mais depuis peu, dans ces lieux de jouissance, toujours propres et bien chauffés, de nouvelles boîtes sont arrivées. Ce sont des boîtes à musique. Elles sont toutes assez jolies. Certaines, à l’exemple des iPhones, sont reconditionnées ; des modèles qui ont déjà servi, mais qui retrouvent par un lifting leurs dispositions initiales. D’autres boîtes sont de conception plus récente, tout en n’étant finalement rien d’autre que de pâles copies des boîtes plus anciennes.

L’ensemble de ces machines à faire du bruit, ou plutôt une sorte de ritournelle, ont naturellement fait l’objet de multiples tests et analyses afin d’obtenir les agréments autorisant une diffusion massive.

Nous trouvons dès à présent sur les étals un large choix de ces machines, qui vont, nous le savons, nous casser les pieds des mois durant.

Il y a les boîtes de gauche. Celles-là ne cesseront de nous répéter en guise de refrain une certaine universalité de l’homme, un homme unique, interchangeable, naturellement bon. Un homme qui arrive par lui-même à se bricoler, pour soi-disant s’améliorer, se réparer.

Il y a, cela va de soi, les boîtes de droite. Celles-ci auront une rengaine un peu différente, et qu’elles ne reprendront pas de manière régulière. En effet, ces boîtes pensent, et notamment au second tour des élections présidentielles. Leur ritournelle sera donc cette notion assez vague, et qu’on a du mal à appréhender, d’identité nationale.  

Tous ces appareils à brasser du vent auront en commun d’élever les yeux au ciel en évoquant la république, garante de tous les droits, de la qualité de ses serviteurs et de leur moralité bien connue, non pas dans le domaine des mœurs, mais dans celui de l’abus de biens publics.

Les Français, faute d’alternative possible, accorderont par défaut leur « confiance », à l’une de ces boîtes à musique, et ce dans le désintérêt général. Certes, ils écouteront volontiers quelques boîtes braillardes, qui feront du vacarme à l’extérieur des enceintes autorisées. Mais, il est bien connu qu’une fois mis les pieds dans une grande surface, le Français ordinaire y remplit volontiers son chariot, et oublie ses projets généreux de la veille d’aller se fournir aussi chez le producteur de fromages du coin ou chez le maraîcher, de produits peut-être plus authentiques, mais également chargés de l’on ne sait quelles bactéries ou résidus de terre qui pourraient lui empoisonner la vie.

Les Français ont renoncé. À leur insu, ils ont été dépossédés d’eux-mêmes. Tout cela s’est passé sans trop de bruit au fil des trente dernières années, et là, ils découvrent soudainement la trahison et l’ampleur des dégâts. François Mitterrand lui-même, dont on ne peut douter qu’il connaissait les conséquences de ses actes, n’en reviendrait pas d’un tel effondrement. Et il ne s’agit pas uniquement des aspects économiques et matériels, mais bien de la destruction de ces piliers historiques et culturels qui, depuis des siècles, ont fait la France que nous avons encore eu la chance de connaître.

On peut s’interroger sur cette duplicité singulière qui caractérise les hommes politiques ayant accédé aux plus hautes responsabilités. Au-delà de l’impossibilité dans laquelle ils sont d’agir dans le long terme, pris par le temps, ne vont-ils pas jusqu’à détruire sciemment pour quand même laisser une trace, fût-elle une stèle funéraire. De Gaulle, non plus, n’a pas échappé à cette règle. Avant d’engager la France dans la voie de l’Europe, ne l’avait-il pas décriée pendant des années ?

Quant au grand bond en avant que constituèrent les Trente Glorieuses, et notamment dans le domaine de l’agriculture, l’homme, au regard de la citation qui suit, savait manifestement comment « évoluerait » le pays : « À l’antique sérénité d’un peuple de paysans certains de tirer de la terre une existence médiocre, mais assurée, a succédé chez les enfants du siècle la sourde angoisse des déracinés. »

Alors, il n’est pas impossible que l’on découvre un jour un écrit du « dernier des grands présidents », disant en substance : « La France va devenir quelque chose comme les États-Unis, mais en beaucoup moins bien. Non pas un pays constitué d’arbres sans racines, mais une terre où l’on aura laissé périr des arbres plusieurs fois centenaires, en leur sectionnant d’année en année, à chaque fois, une racine supplémentaire. Un pays d’arbres moribonds et desséchés, dont la forêt ne se régénère plus, et qui se trouvera rapidement envahi par des espèces exotiques envahissantes. »

Les Français ont renoncé, pour le moment, mais ils restent aux aguets, les yeux rivés à l’horizon. Au fond d’eux-mêmes, ils espèrent encore voir surgir de la brume matinale, un homme nouveau, une nouvelle voix qui portera loin. Car les peuples ne meurent pas ! La technocratie galopante, la féminisation de la société, l’éloignement chaque jour plus grand de la terre et du réel, sont des facteurs d’émasculation qui ont produit notre époque perdue, où on a parfois le sentiment qu’il n’y a plus que des hommes à regarder d’en bas. De la sorte, on aperçoit d’abord l’entrejambe et puis après l’estomac, la tête l’esprit n’apparaissant qu’en dernier lieu, évidemment.

La France générera cependant son sauveur, comme elle a déjà été capable de le faire, quand le moment en sera venu. Les plus patriotes d’entre nous se plaisent à penser qu’il s’agira d’un roi. Mais cela ne se fera pas sans qu’entre temps le pays connaisse les pires tourments.

Jean de Baulhoo

Et pour compléter l’éditorial de Jean de Baulhoo, ci-après le poème Déluge tiré de son recueil Pensées d’un Homme (2008)

Déluge

Dans la tourmente des eaux

Mille fétus emportés

Naviguent de bas en haut,

 

Dérisoires brins de paille

Enrôlés au passage

Vers les champs de bataille,

 

Spirales de tourbillons

Tête en avant ils plongent,

Aspirés par les fonds,

 

Gigantesque multitude

Terrorisée devant

L’effrayante solitude,

 

Du dernier épi droit,

Qui dans le matin calme

Par un vent pur et froid,

 

Sur l’infini des plaines

Balayé d’un regard,

D’une main humble et sereine,

 

Lancera les derniers

Et les tout premiers grains,

Aux limons riches et frais,

 

Pour élever au ciel

En une offrande superbe,

Une divine passerelle.

Jean de Baulhoo

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