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Un combat spirituel et une mort catholique : Charles Maurras, par le R. P. Jean-François Thomas

Le propos de cette courte présentation n’est pas de traiter le Maurras politique mais simplement de rappeler quelques aspects de son parcours spirituel afin d’illustrer la vérité de la possibilité d’une conversion pour tout homme de bonne volonté, soucieux de la vérité, tel que le fut cet écrivain prolixe. Si le jeune garçon fut pieux, très rapidement, à l’adolescence, il devint, non pas athée, mais agnostique. L’explication essentielle se trouve dans la terrible surdité qui l’atteint à l’âge de 13 ans et qui le conduira à se cloîtrer ensuite avec sa plume en politique et en poésie comme d’autres s’enferment à la Chartreuse. À cette époque, il nouera une amitié d’élève à maître avec l’abbé Jean-Baptiste Penon, professeur de lettres classiques à Aix-en-Provence, brillant latiniste et helléniste, qui permettra au jeune handicapé de pouvoir continuer ses études, notamment en lui donnant des leçons particulières. Il ne fut jamais le directeur spirituel de Maurras, se gardant bien de braquer cet élève en révolte à cause de son infirmité, doublée par la perte partielle de sa voix. Cependant, son influence demeurera jusqu’à la mort du prêtre, devenu évêque de Moulins, en 1929. Le prélat, devenu royaliste, mais légitimiste, sous l’influence du Maurras politique, essaiera même de diriger Maurras, alors à Paris, vers le célèbre, brillant et humble abbé Henri Huvelin, normalien et simple confesseur à Saint-Augustin, qui, notamment ramena Charles de Foucauld dans le giron de l’Église. Hélas, cela ne fut pas suivi d’effet. Il commit une maladresse qui coûta beaucoup dans l’évolution religieuse de son protégé. Pensant éclairer l’adolescent sur les épreuves physiques dont il était victime, il lui conseilla de lire Pascal et le rejet de Maurras fut instantané : il ne put accepter un tel dolorisme. L’épaisse correspondance entre les deux hommes, publiée en 2007, révèle à quel point Maurras s’attacha à ce maître auquel il devait tout intellectuellement, sans jamais pouvoir accueillir ses conseils spirituels, pourtant très discrets. L’abbé Penon comprit parfaitement, dans la suite du parcours politique de son disciple, que le catholicisme de Maurras n’était pas seulement sociologique mais que des racines en sommeil demeuraient en profondeur.

Toute conversion est un mystère dans le sens où son contenu n’est jamais épuisé pour celui qui essaie d’en décrypter les étapes et les rouages. Lorsque Maurras envoie une lettre à Pie XI — alors sur le point de frapper l’Action française —, le 12 octobre 1926, lettre demeurée sans réponse, il écrit notamment :

« […] Ni les directions ni les sentiments de la foi catholique ne me sont ennemis, comme on l’a prétendu, ni même complètement étrangers. Je les ai trouvés autour de moi en naissant : je les ai en quelque sorte respirés, et sur beaucoup de points secrets de l’esprit et de l’âme, il m’a toujours été difficile d’y méconnaître quelque chose de fraternel. »

Ce langage n’est pas de circonstance mais exprime bien l’état d’âme constant de Maurras vis-à-vis du catholicisme romain. L’écrivain et homme de combat ne pourra pas, par honnêteté, faire croire à l’inverse, y compris pour sauver son mouvement d’une condamnation sans appel. Moins connue, — mais découverte désormais par la publication en 2022 des lettres de Maurras avec les religieuses — fut l’étonnante mission confiée par Pie XI en 1929 au carmel de Lisieux. C’est la création de ce que Maurras appellera joliment « le Conseil d’État tenu par des anges » : Mère Agnès, sœur aînée de sainte Thérèse et sa mère de substitution, sœur Céline, autre sœur de sang de la sainte, et sœur Madeleine, qui entra au Carmel en offrande afin de prier pour la conversion de Maurras. Cette correspondance est bouleversante, entre protagonistes qui ne se rencontrèrent que par la plume. La première phase, jusqu’à la levée de l’Index envers l’Action française et Maurras, est très connue. La seconde en revanche était demeurée plus secrète, à cause de la guerre, de l’occupation puis des troubles accompagnant la libération, dont le jugement, la condamnation et l’emprisonnement de l’écrivain. Le 18 février 1937, modérant l’enthousiasme de Mère Agnès qui rêve d’une soumission immédiate à la fois de l’écrivain et de son mouvement, Maurras écrit ces lignes qui ouvrent une porte : « […] La sincérité élémentaire me défend de présenter comme voie d’achèvement ce qui, dans l’ordre spirituel, commence peut-être. » Maurras est prudent et tout est dit en filigrane. D’ailleurs, dès 1895, ces mots résonnaient comme une annonce de l’évolution future :

« Tout homme est une ébauche qui s’achève à mesure que se tient plus proche de lui cette mère de la Beauté et de la Vérité : LA MORT. Elle seule la finira. La Beauté véritable est au terme des choses. » (Le Chemin de Paradis)

S’il avait été condamné à mort, Maurras aurait sauté le pas de la conversion aussitôt. Son incarcération, durant laquelle il ne cessa de lire et d’écrire, ralentit son pèlerinage, sans pour autant l’arrêter.

Il sautera enfin par-dessus la barrière alors que, très malade, il sera d’abord hospitalisé en semi-liberté près de Troyes, puis bénéficiera de la grâce présidentielle de Vincent Auriol le 21 mars 1952, s’établissant alors à la clinique Saint-Georges de Saint-Symphorien-lès-Tours. L’évêque de Tours, Mgr Gaillard, eut la sagesse de lui envoyer un prêtre, le chanoine Aristide Cormier, qui avait accompagné jusqu’à la mort le grand ami de Maurras, René Benjamin. Ce prêtre a raconté, dans deux ouvrages, ce que furent ses échanges lors des visites à l’écrivain durant ces derniers mois : Mes entretiens de prêtre avec Charles Maurras, mars-novembre 1952, et La vie intérieure de Charles Maurras. Maurras avait écrit en 1939 : « Je suis né, je suis fait pour la lumière. / Accorde-moi d’éterniser le jour. » (« L’âme », La musique intérieure) Entre l’Anthinea de sa période « païenne » en 1896, et les poèmes de prisonnier à Lyon en 1944 publiés sous le titre de La Balance intérieure, l’attente dans le silence infini de la surdité puis de sa cellule de proscrit le prépara à signer enfin l’engagement auquel il aspirait depuis longtemps mais qu’il avait retardé par souci de ne pas apparaître comme trahissant son passé. À Clairvaux, il avait confié à son voisin de cellule, Xavier Vallat, fervent catholique, qui lui disait qu’il irait quand même au Ciel parce qu’il avait bien chanté la Vierge Marie : « Je l’espère bien car je ne tiens pas du tout à l’Enfer. J’ai toujours aimé la Sainte Vierge. C’est “mon petit religion à moâ” » Dans Pages françaises, Michel Déon rapporte le mot prêté à Maurras sur son lit de mort : « J’entends quelqu’un venir. » Ce mot célèbre n’est pas cité par ceux qui entourèrent Maurras jusqu’à la fin. En tout cas, ce qui n’est point douteux est son ultime confession, après tant de décennies, et l’Extrême-Onction, administrée par le chanoine Cormier le 13 novembre 1952. Il avait dit au prêtre quelque temps auparavant, toujours dans ce souci d’honnêteté et de clarté qui le guidait :

« J’ai déjà reçu une fois l’Extrême-Onction, il y a une dizaine d’années ; mais j’étais dans le coma. Je n’ai eu conscience de rien, et c’est par des amis que j’ai su que j’avais reçu ce sacrement. C’est en pleine connaissance, cette fois-ci, que je veux être administré, car je veux que tout se passe dans la loyauté et dans l’honneur. On ne termine pas sa vie par une supercherie. C’est pourquoi j’ai besoin de quelques jours encore. »

Lorsqu’il manda le chanoine pour cette préparation spirituelle qui était aussi un retour à la foi de l’enfance, il lui dit sobrement :

« Il est temps que vous m’aidiez à accomplir ce qu’il faut que je fasse… »

Le très lent processus qui conduisit Maurras vers la source d’eau vive pourrait laisser penser qu’il fut un cheval rétif jusqu’à la fin alors que, bien au contraire, il ne souhaitait pas de faux-semblant et préféra donc être vraiment abandonné avant de concrétiser un pas qu’il avait déjà accompli intérieurement. Cette conversion et cette mort sont révélatrices de la complexité de l’âme humaine dans ses élans et ses hésitations. Bien des personnes connaissent un déchirement identique. Hélas, à notre époque, elles n’ont plus forcément la chance de trouver sur leur chemin un chanoine Cormier ou un abbé Penon. Elles meurent alors dans une solitude spirituelle qui peut conduire au désespoir. Maurras ne fut pas un saint. Il fut un génie de l’écriture et de la pensée. Il servit de cette façon un Dieu qu’il ne rejetait pas mais qu’il ne pouvait aimer. L’ouvrier de la dernière heure mérite récompense.

P. Jean-François Thomas, s. j.

2 réflexions sur “Un combat spirituel et une mort catholique : Charles Maurras, par le R. P. Jean-François Thomas

  • A Jean-François Thomas: Allez relire les 10 COMMANDEMENTS (LA BASE), avant de faire la PROPAGANDE du GRAND n’IMPORTE QUOI. En tant que spécialiste de Dieu, comment pouvez-vous RENIER les COMMANDEMENTS de DIEU ?? Vous êtes des IDOLÂTRES.

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    • Oscar Guitton

      Ben voyons !
      J’aimerais bien savoir en quoi il renie les commandements de Dieu

      Répondre

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