Histoire

[CEH] Henri IV, vu par Henri V, par Daniel de Montplaisir

Henri IV, vu par Henri V

Par Daniel de Montplaisir

Rarement les rois de France se prévalaient de leurs prédécesseurs. Conscients, et fiers, de s’inscrire dans une lignée qu’ils aimaient faire remonter à Clovis, voire à Pharamond, ils n’en demeuraient pas moins jaloux de leur autonomie historique et, bien souvent, s’affirmaient par la négation du père. Ce fut particulièrement vrai des Bourbons : Louis XIII ne faisait que très rarement mention d’Henri IV, de même Louis XIV pour Louis XIII, encore qu’il s’opposa toujours à ce que le vieux pavillon de chasse de Versailles fût démoli afin d’améliorer la cohérence architecturale du palais. Louis XV parlait plus volontiers de ses parents et de son arrière-grand-père, mais il se gardait d’en tirer des conclusions politiques. Sans famille dès l’âge de cinq ans, il conserva toute sa vie la nostalgie de ce qui lui avait manqué. La cour, au contraire, cultivait les rapprochements, un peu comme ces bourgeois d’aujourd’hui obsédés par la recherche des ressemblances chez le plus petiot des nourrissons… Ainsi, ce même Louis XV, qui venait de mettre Jeanne Bécu dans son lit, sentant qu’elle avait beaucoup d’expérience malgré son jeune âge, essaya d’en savoir davantage auprès de celui qui la lui avait « procurée », le maréchal de Richelieu :

« – Il semblerait, lui dit-il, que je succède à Saint-Arnaud (ou à un autre gentilhomme de la cour).
– Oui, lui répondit Richelieu, mais comme Votre Majesté succède aussi à Pharamond… »

Louis XVI fut le premier roi Bourbon à assumer vraiment ses ancêtres immédiats. Il n’était pas rancunier : son grand-père Louis XV cachait à peine l’affectueux mépris qu’il lui portait. Surtout, ce fut lors de son exécution que, pour la première fois depuis Henri IV, une phrase solennelle fut prononcée pour rappeler sur cette tête qui allait tomber son héritage dynastique, avec le devenu fameux : « Fils de saint Louis, montez au ciel ! » prononcé par son confesseur, l’abbé Edgworth de Firmont.

Les choses changèrent complètement avec la Restauration. Le nouveau régime avait besoin d’un ancrage qui fît oublier ce qu’il devait aux Alliés. Après 1944, le général de Gaulle aura la même préoccupation : atténuer le plus possible le rôle des Anglo-Américains dans la libération du territoire. C’est tout le sens du « Paris brisé… », comme du culte à la France qui vient du fond des âges, ouvrant les Mémoires de guerre comme les Mémoires d’espoir.

Avec la Terreur, le passage à la trappe de tous les souvenirs royaux n’épargna cependant pas Henri IV. Du passé, on voulait faire table rase, et lorsque la Révolution se résout dans le dictature de Napoléon, celui-ci veut établir son propre culte, sans autre référence à l’histoire que l’évocation de l’Empire romain. Napoléon n’a pas de prédécesseur en France et, lorsqu’il recherche un rapprochement avec les derniers royalistes, c’est en vue de construire l’avenir, de consolider son pouvoir, nullement d’assumer l’héritage capétien.

Avant même que le comte d’Artois puis Louis XVIII fussent rentrés d’Angleterre, cet ancrage avait été trouvé, à Bordeaux, le 12 mars 1814. Spontanément, la foule massée sur le passage du duc d’Angoulême entonnait « Vive Henri IV », qui devint une sorte d’hymne national, populaire et officieux, de la Restauration. Dans son discours de l’hôtel de ville, le neveu de Louis XVIII se voulut apaisant, rassembleur et réconciliateur, faisant directement allusion à Henri IV pansant les plaies de la France et mettant fin à ses divisions religieuses par l’institution d’un État « objectif », c’est-à-dire au service de toute la nation au moyen du droit et de la justice, et non expression de la victoire d’un camp sur un autre.

Le culte du Bon roi Henri était cependant apparu bien plus tôt, et largement grâce au couteau de Ravaillac. Il atteignit son apogée au XVIIIe siècle, notamment avec la parution de la Henriade de Voltaire en 1723. Accueillant Louis XVI à Paris, le 6 octobre 1789, Bailly lui fait cette tirade : « Henri IV avait reconquis son peuple, ici le peuple a reconquis son roi. » Car ce sont bien moins les monarques que les représentants du peuple qui font référence à Henri IV. On pourrait presque dire que celui-ci était devenu une icône de l’opposition, la tradition s’étant, par exemple, instaurée, après 1820, de brûler les pantins en chiffons des mauvais ministres devant sa statue du Pont-Neuf.

En 1814, la Restauration avait besoin d’une figure tutélaire précisément pour abattre celle de Napoléon. Henri IV est le meilleur candidat pour cela. Emmanuel de Waresquiel vous a expliqué pourquoi et comment. Je n’y reviens pas. Henri IV va servir moins à effacer le souvenir de Napoléon qu’à éviter que celui-ci ne se transforme en mythe. Dès 1814, le danger est perçu.

On peut donc affirmer que l’attachement de la Restauration à Henri IV résulte de trois facteurs principaux :

  • la nécessité d’un culte de substitution à celui de Napoléon ;
  • le besoin de symboliser la réconciliation nationale et de faire oublier « les fourgons de l’étranger » en prenant pour référence le monarque qui mit fin aux guerres de religion ;
  • mettre le peuple de son côté en se revendiquant du seul roi dont on a pu dire qu’il fut « de gauche ».

Lorsque, le 29 septembre 1820, le duc de Bordeaux vient au monde dans les circonstances que l’on sait, sur la France des Bourbons baigne donc dans un « henriquatrisme » encore exacerbé par l’assassinat du duc de Berry, survenu le 13 février précédent : le poignard de Louvel a fait écho à celui de Ravaillac. La dépouille mortelle du duc fut exposée dans la même salle du Louvre que celle où l’on avait exposé le corps d’Henri IV. On avait même cherché à reproduire le même décor. Plusieurs milliers de Parisiens, en un long ruban d’attente, vinrent s’y recueillir, ainsi qu’aux pieds de la statue d’Henri IV sur le Pont-Neuf, ceinte d’une immense écharpe noire. Pour la première fois, on fit porter le deuil à la statue d’un roi.

De son vivant déjà, le duc de Berry avait participé au culte d’Henri IV en achetant, en 1818, pour son épouse, le château du Rosny. Construit par Sully sur le bord de la Seine en aval de Paris, le roi y fit plusieurs séjours. C’est là qu’il vient se coucher, le 13 mars 1590, au soir de la décisive bataille d’Ivry, là qu’il vient régulièrement chasser en compagnie de son ami et ministre, là qu’il signe, le 4 juillet 1591, le premier édit royal de tolérance, dit édit de Mantes et qui préfigure celui de Nantes.

Depuis 1814, il est convenu que le futur héritier du trône que l’on espère portera le titre de duc de Bordeaux et sera prénommé Henri. Louis XVIII a pris cette décision avec l’assentiment enthousiaste de toute sa famille. La duchesse de Berry, persuadée qu’elle aura un garçon, l’a déjà personnalisé. Lorsque les premières contractions la saisissent, elle appelle ainsi les dames de service « Venez vite ! C’est Henri ! » À peine le bébé a-t-il poussé ses premiers cris que Louis XVIII entouré de toute sa famille, avec ce goût des mises en scène et des symboles qui le caractérisait, se présente pour verser dans la bouche de son petit-neveu une petite cuillère de jurançon, puis lui frotter les lèvres d’une gousse d’ail, toutes deux apportées de Pau par le chevalier de Gré. La Saint-Henri devint une quasi-fête nationale, alors célébrée le 15 juillet. En 1828, à Sainte-Cloud, la résidence d’été de la famille royale, la troupe du théâtre Seveste joua devant elle un vaudeville intitulé Henri-Quatre en famille, lourd de parallèles — on appelait alors cela des applications — entre le petit duc de Bordeaux et le Béarnais tel qu’on l’imaginait enfant.

La gouvernante des Enfants de France, Mme de Gontaut, découvre très tôt à Henri les pages glorieuses du règne de son aïeul, dont huit générations le séparent et dont il est l’arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-petit-fil. Docile, l’enfant ne se lasse pas de répéter ce que la cour s’enchante à lui entendre dire, dès qu’il sait parler : « Je veux être un Henri IV second. » Pour autant, l’enseignement de l’histoire qui lui est dispensé après son « passage aux hommes » en 1826 n’insiste pas spécialement sur le règne d’Henri IV. L’histoire lui est enseignée par Mgr Tharin, ancien directeur du séminaire de Saint-Sulpice et évêque de Strasbourg, qui n’hésite pas à travestir quelque peu les réalités. De façon parfois si grossière qu’elle suscite les moqueries. On raconte à la cour, mais l’anecdote n’est pas certaine, qu’Henri, interrogé en 1829 par son grand-père Charles X, lui aurait dit que Bonaparte, général de Louis XVIII, vainqueur à Marengo, ayant ensuite trahi, avait été condamné à finir ses jours sur une île déserte. Le baron de Damas, gouverneur du jeune prince et bien que très conservateur, n’appréciait guère ce genre de fadaise et remplaça Mgr Tharin par Joachim Barrande, un jeune ingénieur de vingt-sept ans. Pendant ce temps, sa sœur Louise bénéfice de l’enseignement de Jules Michelet…

Pourtant, la liberté de culte, apport essentiel d’Henri IV, comme d’ailleurs de tous les souverains éclairés d’Europe dès la fin du XVIe siècle (voir notre conférence de l’année dernière sur Isabelle d’Espagne lorsqu’elle fut devenue gouvernante des Pays-Bas) ne fit jamais vraiment partie de la vulgate d’Henri V, on ne peut plus méfiant à l’égard des protestants.

Tel est d’ailleurs le paradoxe de cet Henri IV « second » sur lequel je vais donc centrer mon propos : admirateur d’Henri IV dont il reprend les symboles attachés à son histoire car elle est celle des Bourbons régnant, il s’en éloigne complètement dans son comportement politique, devenant même souvent une sorte de contre-modèle.

Enfant docile, le duc de Bordeaux, jeune homme soucieux de bien faire, le comte de Chambord, Henri reprit à son compte le culte d’Henri IV sans jamais chercher à marquer une distance. Il collectionnait les objets rappelant le Béarnais, depuis un service à café de Sèvres évoquant les épisodes de sa vie jusqu’au panache blanc presque religieusement exposé dans une vitrine d’un salon de Frohsdorf, et qui étonnait les visiteurs car il était…noir. Des tableaux et des sculptures bien sûr, mais surtout des références à tout bout de champ, jusqu’à certains clins d’œil difficiles à repérer comme le pseudonyme de « M. de Mercoeur » sous lequel le comte de Chambord accomplit son énigmatique et anonyme voyage en France en juillet 1871. En son temps, le duc de Mercoeur avait été l’un des plus importants dirigeants de la Ligue catholique et l’un des plus farouches ennemis d’Henri de Navarre : curieux rapprochement sur lequel Henri V ne fournit aucune explication…

Sur le versant du « tous unis les Bourbons », les signes abondent.

La barbe, qu’Henri V est le premier des rois de France à porter depuis Henri IV : Charles X, Louis XVIII, Louis XVI, Louis XV et Louis XIV avaient un visage glabre. Celui de Louis XIII comportait petite moustache et barbichette, comparable à celui d’Henri III mais non à celui de son père. Dès que la duchesse d’Angoulême renonce, enfin, à s’occuper de la mise de son neveu, celui-ci s’épanouit dans un certain laisser-aller. La barbe envahit le visage, dédaignant la taille autre qu’épisodique, la moustache retombe sur les lèvres et les cache, à tel point que les repas plantureux y déposent leurs traces et que le comte de Sainte-Suzanne, dans des souvenirs inédits de sa vie à Frohsdorf (que j’ai eu l’honneur d’ouvrir aux archives de Châlons en Champagne avec notre ami Hervé Pinoteau) s’en dit incommodé.

La chasse, bien sûr, encore que quel Bourbon n’est pas chasseur ? C’est même, pour tout dire, leur seul point commun qui ne souffre que d’une exception — celle de Louis XVIII. Mais Henri V, comme Henri IV préfère la chasse à pied et à l’affût que la chasse à courre.

Une certaine gouaille et un goût pour les plaisanteries faciles : dans le fumoir de Frohsdorf on se raconte des histoires juives et marseillaises, on se tape sur les cuisses ; comme Henri IV, Henri V aime faire des blagues à ses amis et user d’un vocabulaire un peu leste.

La table : les Bourbons sont plus gourmets que gourmands mais Henri IV, Louis XIV et Henri V constituent presque des caricatures. Tous trois ont tendance à se goinfrer, avec pour le premier et le troisième un goût déraisonnable pour les sucreries.

Davantage que les autres, Henri IV et Henri V sont sensibles aux misères du peuple, le premier avec une certaine ostentation (la poule au pot), le second avec une façon plus discrète et, surtout, plus réfléchie, de riposter à la misère. Mais il est vrai que, dans le domaine de la pensée sociale, une année-lumière au moins sépare le XVIe du XIXe.

Et… c’est à peu près tout. Les deux personnages sont par ailleurs terriblement différents.

Leurs relations avec les femmes tout d’abord. A celle du Vert galant s’oppose l’image d’un homme peu tourné vers le beau sexe, non qu’il s’en désintéresse mais parce que son éducation d’adolescent en exil sous l’étroite tutelle de l’austère duchesse d’Angoulême écarta de lui bien des tentations. Il semble que son « premier commerce » avec une femme ait eu lieu à Rome en 1838, et encore n’en est-on pas absolument certain… Sur le plan conjugal, rien de très affriolant non plus. D’abord attiré par une nièce de Nicolas Ier, la princesse Élisabeth, rencontrée sur la route de Berlin, très belle mais – hélas – le sachant, Henri ne put l’épouser malgré l’approbation du tsar : la duchesse d’Angoulême ne voulait pas d’une orthodoxe, même si elle acceptait de se convertir au catholicisme romain. Il tomba amoureux de la fille cadette du duc de Modène, Marie-Béatrix, mais celle-ci s’était promise à Don Juan d’Espagne. Comme on le sait, il se rabattit sur sa sœur, Marie-Thérèse, bien moins dotée par la nature.

Il semble bien que sa vie conjugale fut très paisible : Henri aimait profondément son épouse, on ne lui connut aucune maîtresse et, bien qu’il ne put avoir d’enfant de Marie-Thérèse, refusa de faire annuler son mariage par le pape, qui aurait pourtant facilement accepté. On imagine aisément le comportement d’Henri IV confronté au même problème…

Mais, bien sûr, la grande dissemblance réside dans le comportement politique. Tout pragmatisme du côté d’Henri IV, tout principe du côté d’Henri V. Encore qu’il faille nuancer le caractère abrupt de cette opposition : il existait des principes, notamment, ceux de l’autorité et de l’intégrité royale, sur lesquels Henri IV n’aurait pas transigé. Et Henri V, en vue de rétablir la Légitimité, ne s’est pas toujours montré hostile à des formules de compromis, du moment qu’elles ne touchaient pas à l’essentiel.

Au fond de lui-même, qu’est-ce qu’Henri V pensait d’Henri IV ?

Essayant de répondre à cette question, on est d’abord frappé du paradoxe continuellement entretenu par Henri V : son adhésion sans faille à l’image d’Henri IV couvre même des actes du Béarnais qui, par eux-mêmes, s’inscrivent dans une démarche typiquement antichambordiste. L’illustration la plus flagrante réside dans les références à Arques et à Ivry, si fortement mises en avant dans le manifeste du 8 juillet 1817 dit du Drapeau blanc. Car il s’agit de victoires non pas du roi de France mais d’Henri de Navarre, chef des huguenots. Or, Henri V ne les porte guère dans son cœur, n’ayant jamais pu concevoir une église catholique en dehors du giron de la papauté. Évidemment, comme nous l’a expliqué Chanut, le futur Henri IV n’était pas véritablement un protestant et sa conversion ultérieure autorise une requalification rétroactive de ses actes…D’où, probablement, le recyclage du blanc : couleur des huguenots, le prince se l’approprie néanmoins comme couleur du commandement et du règne réparateur qu’il espère instaurer. Toutes les représentations d’Henri de Navarre puis d’Henri IV regorgent de blanc, y compris le fameux tableau du siège de Paris.

Le regard qu’Henri V porte sur Henri IV consiste le plus souvent à tirer ainsi l’action de ce dernier vers l’autorité et vers les principes, comme si la contingence l’ayant contraint à emprunter des chemins de traverse, ceux-ci débouchaient, en dernière analyse, sur la ligne droite de la monarchie traditionnelle. Ainsi, dans la fameuse lettre à Charles Chesnelong, du 23 octobre 1873, Henri V écrit-il : « Il est de mode d’opposer à la fermeté d’Henri V l’habileté d’Henri IV : « la violente amour que je porte à mes sujets me rend tout possible et honorable ». Je ne prétends, sur ce point, ne lui céder en rien. »

Attardons-nous d’ailleurs quelques instants sur Charles Chesnelong. Marchand de drap, député d’Orthez, il a été choisi par l’Union des droites comme ambassadeur auprès du comte de Chambord pour essayer de trouver un arrangement sur la couleur du drapeau. Pourquoi lui, qui n’est ni légitimiste de la vieille garde, ni un gentilhomme, ni même connu personnellement du prince ? Parce qu’il est béarnais et qu’il rappelle Henri IV ! C’est d’ailleurs bien ainsi qu’Henri V le prend et lui réserve le meilleur accueil. A la fin de leur entretien, croyant la Restauration bien engagée, Henri V salue l’émissaire d’un jovial « A bientôt, au château de Pau ! » Et les deux premiers chevaux du cortège de la rentrée dans Paris que prépare Maxence de Damas, futur chef des écuries du roi, sont nommés Arques et Ivry.

Comme Henri IV, et contrairement à une idée très répandue, Henri V n’a négligé aucun moyen pour essayer de monter sur le trône. L’un et l’autre se sont trouvés confrontés à la même nécessité de reconquérir leur royaume, non seulement pour que le fait obéisse au droit mais aussi pour réparer les dégâts commis par les guerres récentes et qui appelaient à une réconciliation que seule la Légitimité pouvait offrir.

Mais, à la différence de son ancêtre, aucune des voies envisagées par Henri V ne s’est montrée adaptée. Henri IV avait su contourner l’opposition des états généraux (grâce au parlement de Paris et à l’arrêt Lemaistre dont nous avons parlé l’année dernière). Henri V n’a pas su, ou n’a pas pu, surmonter la vase de l’Assemblée nationale élue en 1871, ses divisions, ses intrigues, la naïveté des royalistes, le calcul des républicains, le poids de Bismarck, indiscutablement meilleur manœuvrier que le roi d’Espagne Philippe II.

Henri V ne put compter ni sur les hommes (tenus par Thiers puis embarrassés de MacMahon) ni sur les armes : comment envisager un coup de force après la défaite contre la Prusse puis la Commune ?

Henri IV put recourir à la force, au droit et à sa conversion religieuse Henri V ne disposait que de son droit et encore celui-ci passait-il par le crible d’une représentation nationale hésitante.

On ne peut, comme certains ont été tentés de le faire, assimiler l’abjuration d’Henri IV à ce qu’aurait pu n’être, pour Henri V, la renonciation au drapeau blanc. Car si le premier montrait ainsi sa capacité à s’adapter aux attentes de son peuple sans pour autant renier vraiment ses croyances, sa décision avait aussi pour contrepartie la liberté de culte qu’il allait pouvoir instaurer en France. Henri V, en revanche, ne gagnait rien dans l’intérêt de la France tel qu’il le percevait à renoncer à un principe fondamental, qu’au surplus, en dernière analyse le peuple ne lui demandait pas vraiment.

On ne peut à meilleur droit affirmer, comme on le fit trop longtemps :

  • ni qu’Henri V méconnut les leçons d’Henri IV,
  • ni qu’il montra moins de détermination que son modèle.

Fit-il preuve de bien plus de timidité quant au passage à l’acte ? L’échec de la restauration de 1873 ne s’impute au fond qu’à une seule chose : la France n’était plus royaliste.

Deux éléments encore rapprochent Henri IV et Henri V :

  • le soupçon de complot autour de sa mort : Jean-Christian Petitfils nous a magnifiquement décortiqué les conditions de l’assassinat d’Henri IV mais l’éventualité d’un empoisonnement d’Henri V reste encore du domaine des hypothèses ;
  • l’ordonnancement du cortège des funérailles qui, comme nous l’a montré Odile Bordaz, ont pu faire l’objet d’un compromis pour Henri IV. Nullement pour Henri V.

Et c’est finalement peut-être ce qui sépare le premier du dernier roi Bourbon : avec l’un, une solution consensuelle se dégage toujours ; avec l’autre, en dépit d’une forte volonté de synthèse et d’apaisement, toujours les conflits latents ressurgissent.

Voilà sans doute pourquoi, dans notre mémoire collective, se séparent autant celle du plus populaire de nos rois et celle du plus oublié, bien qu’il l’ait pris pour modèle et qu’il en fut digne à tous les égards, comme le rappela l’empereur François-Joseph en apprenant sa mort.

Daniel de Montplaisir

3 réflexions sur “[CEH] Henri IV, vu par Henri V, par Daniel de Montplaisir

  • Grégoire Legrand

    Un article qui me laisse mitigé. Montplaisir connait bien son sujet et expose nombre de faits intéressants, à commencer le rôle d’Henri IV dans la “propagande” de la Restauration, l’origine huguenote du “panache blanc” et les points communs entre le Béarnais et le Chambourdin. Reste la partie sur la restauration manquée, où Montplaisir tombe dans les sempiternelles excuses de l’attitude d’Henri V. Sa volonté de régner est évidente, son désir de réconcilier les Français l’est tout autant ; mais c’est aller très loin dans les compliments que de justifier l’échec de la restauration par des facteurs extérieurs. La France n’était plus royaliste en 1873 ? La chambre l’était presque entièrement ! Au reste, la France n’était pas républicaine en 1789, pas royaliste en 1814, pas orléaniste en 1830, pas bonapartiste en 1848, pas pétainiste en 1940, pas gaulliste en 1958. Les changements de régime sont l’affaire de minorités qui savent ensuite convaincre les peuples de consentir. Henri V eût du le savoir et agir en ce sens. Quand au drapeau blanc, c’est une lamentable affaire. Si la restauration ne pouvait se faire qu’à ce prix, il eût fallu l’accepter ; d’ailleurs, des solutions avaient été envisagées, Georges Poisson rapportant l’idée d’avoir deux drapeaux, tricolore pour la nation, blanc pour le souverain.

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    • Grégoire Legrand

      Eeeet je me rends compte avec effarement que j’ai écrit deux fois le même commentaire. Puis-je supplier la modération de bien vouloir supprimer le premier (sous lequel j’écris) en conservant le second ?

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  • Grégoire Legrand

    Montplaisir étant tout sauf un ignorant, son texte apprend une foule de choses passionnantes, de l’origine huguenote du panache blanc à la place d’Henri IV dans la “propagande” de la Restauration. Néanmoins, il ne peut s’empêcher de chercher (vainement) des excuses à Henri V pour l’échec de la restauration en 1873. La France n’était plus royaliste ? D’une part, la Chambre l’était majoritairement. D’autre part, la France n’était pas républicaine en 1792, pas royaliste en 1814, pas orléaniste en 1830, pas bonapartiste en 1851, pas pétainiste en 1940, pas gaulliste en 1958. Les changements de régime sont opérés par des minorités qui se chargent ensuite de faire acquiescer la majorité. Henri V eût du le savoir et agir en ce sens. Quant à la déplorable affaire du drapeau blanc, c’était un bien mince sacrifice à faire par rapport à la royauté, quitte à avoir le drapeau tricolore pour la nation et le drapeau blanc pour la personne royale. En définitive, exonérer Henri V de ses responsabilités dans l’échec de la restauration me paraît difficile.

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