Littérature / Cinéma

« Les Rois maudits », par Maurice Druon

Les éditions Plon ont eu l’excellente idée de publier l’intégrale des Rois maudits. Cette saga littéraire à la française, qui prend sa source dans la merveilleuse et fascinante histoire de France, a conquis de nombreux lecteurs à travers le monde. Personne ne doute que cette histoire ravira encore longtemps les passionnés de littérature, d’histoire et de la période médiévale.

Cette édition collector est préfacée par George R.R. Martin, l’auteur – mondialement connu – de la série fantastique Game Of Thrones. Les deux créations littéraires ont par ailleurs donné naissance à de formidables productions audiovisuelles que nous avons beaucoup appréciées. En effet, nous pensons à la mini-série française en six épisodes de 102 minutes Les Rois maudits, réalisée par Claude Barma en 1972 d’après l’adaptation de Marcel Jullian. Nous mentionnons également la série télévisée américaine médiéval-fantastique intitulée Game of Thrones ou Le Trône de fer, titre français de l’œuvre romanesque dont elle est adaptée, créée par David Benioff et D. B. Weiss. Elle reprend les écrits de Martin en huit saisons et soixante-treize épisodes. Elle connaît un succès mondial unanime et mérité, nonobstant un final très décevant bien loin d’être à la hauteur du reste de la série.

Il nous faut maintenant présenter Maurice Druon. Il est né à Paris en avril 1918 alors que la Première Guerre Mondiale touche à sa fin. Pendant le deuxième conflit qui frappe l’Europe dans les années 40, il rejoint Londres et les Forces Françaises Libres. Comme chacun sait, il est le co-auteur avec Joseph Kessel du Chant des Partisans. Il reçoit le Prix Goncourt pour Les Grandes Familles. Il est élu en 1966 à l’Académie française dont il devient le Secrétaire perpétuel. Il démissionnera en 1999, après avoir reçu en 1996 le prix Monaco pour l’ensemble de son œuvre. Il décède le 14 avril 2009 à Paris. Druon laisse derrière lui une œuvre dense et magistrale.

Le fait que Martin soit le préfacier de ce fascinant ouvrage ne relève pas du hasard. Ce dernier écrit : « Au fil des ans, plusieurs critiques ont décrit ma série de romans de fantasy le Trône de Fer comme de la fiction historique, narrant donc des événements jamais arrivés, assaisonnée d’une couche de sorcellerie et relevée d’une pincée de dragons. » Cette analyse est pour lui  « un compliment, ayant toujours considéré la fiction historique et la fantasy comme secrètement sœurs – deux genres séparés à la naissance ». Il ajoute avec intérêt que sa série « puise dans les deux traditions, et bien que je me sois incontestablement inspiré de Tolkien, Vance, Howard, et d’autres auteurs de fantasy qui m’ont précédé, Le Trône de Fer et sa suite ont également été influencés par l’œuvre de grands romanciers historiques tels que Thomas B.Costain, Mika Waltari, Howard Pyle… et Maurice Druon ».

Martin nous dit de Druon que c’est « un écrivain français exceptionnel qui nous a donné Les Rois maudits, série composée de sept excellents romans retraçant la chute des rois capétiens et les débuts de la guerre de Cent ans ». En réalité, elle a duré 116 ans (1337-1453), mais les historiens ont retenu cette appellation plus marquante. A lire la préface et les différents entretiens de Martin évoquant Druon, nous découvrons le profond et l’immense respect que lui inspire l’académicien français. Dans son article intitulé Mon héros : Maurice Druon, il confesse volontiers le propos suivant : « Je regrette de n’avoir jamais eu la chance de serrer la main de Druon. Les Rois maudits sont le Game Of Thrones original. »

Martin, non sans rire, estime que « les Stark et les Lannister n’ont rien à envier aux Capets et aux Plantagenêts ». Il poursuit son raisonnement de cette manière : « Dans Les Rois maudits, il y a tout, rois de fer, reines étranglées, combats, trahisons, mensonges et luxure, tromperie, rivalités familiales, malédictions des Templiers, bébés échangés à la naissance, louves, péchés et épées, chute d’une grande dynastie… le tout (enfin, presque) tiré directement des pages de l’histoire. » Il a bien raison d’apporter une légère nuance, car même si Les Rois maudits s’appuient sur l’Histoire, il ne faut pas considérer cette œuvre comme un ouvrage historique de référence au sens universitaire du terme.

La force de Druon, au-delà de ses immenses connaissances et de son talent d’écriture, repose sur sa capacité à bâtir des histoires sur des zones d’ombre de l’Histoire. Cela lui permet de donner force et consistance à son récit, car les scénarios qu’il a commis sont à chaque fois extrêmement plausibles. Certes, Maurice Druon a romancé des événements mais, insistons sur ce point, il les a établis sur de solides bases documentaires. L’ensemble se révèle à la fois inventé et plutôt fidèle à la réalité historique, malgré quelques libertés forcément prises quand on cherche à composer un roman historique.

Nous pouvons dire que, sous la plume de Druon, la fiction se met au service de l’Histoire. Le personnage de Guccio Baglioni – un banquier siennois créé pour l’occasion – a vraiment retenu tout notre intérêt parmi une galerie de personnages réels ou inventés toujours hauts en couleurs. Ce banquier, travaillant pour une compagnie lombarde, côtoie les puissants de son époque tout en constatant leurs bassesses et leurs turpitudes sans jamais y succomber, ses pensées étant tournées vers son amour Marie de Cressay.

Druon, en sept volumes, nous retrace avec un récit passionnant et plein de rebondissements tout un pan de l’histoire de France : la chute de la dynastie capétienne qui exerçait le pouvoir dans le royaume depuis le Xe siècle. Prenons le soin de rappeler que certains historiens qualifient cette période de « miracle capétien ». En effet, de 987 à 1316, se succèdent à la tête du royaume de France les douze premiers descendants en ligne directe d’Hugues Capet. Pourtant, suite à la malédiction de Molay, aucun des trois fils de Philippe IV ne peut donner un mâle à la couronne de France qui s’enfonce alors dans une crise majeure…

A l’évidence, le cadre historique est introduit par un prologue extrêmement bien rédigé : « Au début du quatorzième siècle, Philippe IV, roi d’une beauté légendaire, régnait sur la France en maître absolu. Il avait vaincu l’orgueil guerrier des grands barons, vaincu les Flamands révoltés, vaincu l’Anglais en Aquitaine, vaincu même la Papauté qu’il avait installée de force en Avignon. Les Parlements étaient à ses ordres et les conciles à sa solde. »

Philippe IV avait trois fils majeurs qui étaient censés lui assurer une nombreuse descendance et « sa fille était mariée au roi Edouard II d’Angleterre. Il comptait aussi six autres rois parmi ses vassaux et le réseau de ses alliances s’étendait jusqu’à la Russie. » Tout semblait aller dans le bon sens pour le petit-fils de Saint Louis, même si « un seul pouvoir avait osé lui tenir tête : l’Ordre souverain des chevaliers du Temple. Cette colossale organisation, à la fois militaire, religieuse et financière, devant aux croisades, dont elle était issue, sa gloire et sa richesse. »

Nous trouvons intéressant que ce prologue soit introduit par cette citation d’Edmond et Jules de Goncourt, très révélatrice sur la nature et l’essence de l’histoire : « L’histoire est un roman qui a été. » Comme souvent, il suffit d’un grain de sable pour enrayer la plus prodigieuse des mécaniques. Le prologue précise que « l’indépendance des Templiers inquiétait Philippe le Bel, en même temps que leurs biens immenses excitaient sa convoitise. Il monta contre eux le plus vaste procès dont l’Histoire ait gardé le souvenir, puisque ce procès pesa sur quinze mille inculpés. Toutes les infamies y furent perpétrées, et il dura sept ans. C’est au terme de cette septième année que commence notre récit. ».

En définitive, deux grains de sable ébranlent le royaume des lys : ce fameux procès et les adultères des belles-filles de Philippe… De ces tristes et sombres affaires naissent des conflits de succession, des questions autour de la Loi salique, des manœuvres financières et d’autres procès interminables. Il y aura aussi des morts, du poison, des manipulations, des mensonges et enfin, cette guerre terrible qui provoquera le chaos, la mort et la résurrection du royaume de France.

Nous avons réellement apprécié cette fresque historique, politique, sociale voire religieuse se déroulant au début de notre XIVe siècle. La France semble à son apogée mais une malédiction la frappe en plein cœur. Elle est prononcée sur le bûcher par Jacques de Molay : « Pape Clément !Chevalier Guillaume !… Roi Philippe !… Avant un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste jugement ! Maudits ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! » Druon nous conte avec brio les multiples conséquences de cette damnation templière qui ébranlera nombre de familles…

Le récit nous plonge littéralement au cœur de l’histoire royale et des nombreuses intrigues qui les marquent. Ainsi, de Philippe le Bel à sa fille Isabelle, surnommée par Druon la Louve de France, des multiples dauphins aux banquiers lombards, en passant par la Comtesse Mahaut et Robert d’Artois – la tante et le neveu se détestent car les deux revendiquent la possession des mêmes terres – nous suivons des terribles confrontations entre des personnages de pouvoir, forts, parfois retors et ambigus mais qui ne reculent devant presque rien pour obtenir gain de cause.

Martin exprime parfaitement une pensée que nous approuvons sans aucune retenue. Nous lui laissons donc la conclusion : « Que vous soyez mordu d’histoire ou fan de fantasy, l’épopée de Druon vous tiendra en haleine. »

Franck Abed

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.