Histoire

Mais que fait donc Charles X en Slovénie ?

Au sommet d’une colline verdoyante haute de 143 mètres s’élève l’église de l’Annonciade et le couvent franciscain de Kostanjevica qui la jouxte. Les deux édifices sont d’une blancheur immaculée.  Du parvis, malgré la brume de cette froide matinée de janvier, on a une très belle vue sur la ville en contrebas et sur la colline d’en face, dominée par un imposant château féodal. Bien qu’indétectable, une frontière sépare ces deux collines : le château se trouve – encore – en Italie, tandis que l’église et le couvent sont situés en Slovénie. Cette frontière absurde, qui coupe en deux l’ancienne ville autrichienne de Görz  date de 1947. Le centre-ville est italien, tandis que la colline et la banlieue sont slovènes. Même la place de la gare est divisée : la gare et une moitié de la place sont situées en Slovénie, alors que l’autre moitié est italienne.

J’ai sonné à la porte du couvent, avant de pénétrer à l’intérieur. Après être descendu au sous-sol, j’ai emprunté un long et sombre couloir voûté  conduisant à une crypte basse et exiguë  Elle se trouve juste en dessous de l’autel de l’église de l’Annonciade. On y trouve six sarcophages, trois de chaque côté d’une étroite allée au bout de laquelle s’élève une croix en pierre. Au pied de celle-ci, on peut voir une plaque portant les armoiries royales de France, frappées des trois lys surmontés de la couronne. A droite, le sarcophage du milieu est le plus imposant. On peut y lire, sculpté sur la pierre blanche, une initiale et un chiffre romain : C X. Le sarcophage voisin, à gauche, est quant à lui marqué d’un « L XIX », tandis que celui sur la droite ne porte qu’un « M.T. ». Avec ces trois sarcophages, c’était bien un résumé de l’Histoire de France que j’avais sous les yeux, dans la pénombre et le silence de cette petite crypte. M. T., ce sont les initiales de l’infortunée Marie-Thérèse, l’orpheline de la prison du Temple, la fille du Roi et de la Reine martyrs, Louis XVI et Marie-Antoinette. L XIX, c’est son époux, le duc d’Angoulême, fils aîné du dernier Roi légitime de France et de Navarre, Charles X qui, on l’aura compris, repose dans le sarcophage du milieu, celui frappé du C et du X. Sur le côté gauche de la crypte, il y a deux sarcophages en pierre et un autre en bronze. Celui du milieu porte la lettre H suivie du chiffre romain V. A l’intérieur repose le comte de Chambord, Henri V, petit-fils de Charles X, en faveur duquel ce dernier abdiqua en 1830. Sur la gauche, le second sarcophage en pierre porte lui aussi les deux lettres M et T. Il s’agit de celui de Louise-Marie-Thérèse, duchesse de Parme et sœur d’Henri V. Le dernier sarcophage, en bronze, contient les restes de l’épouse d’Henri V, Marie-Thérèse-Béatrix Gaëtane de Habsbourg-Lorraine, archiduchesse d’Autriche, princesse de Modène. C’est grâce à elle que les membres de la famille royale purent reposer dans ce monastère, qui dépendait des Habsbourg.  Juste avant de parvenir à l’entrée de la crypte, dans une niche au bout du couloir à droite, on peut aussi voir le cercueil métallique du duc de Blacas, marquis d’Aulps, qui suivit son maître en exil, fidèle parmi les  fidèles de Charles X et précepteur du comte de Chambord. 

Charles X n’avait pas choisi de finir ses jours à Görz. Il y arriva un peu par hasard. Après son abdication, il s’embarqua à Cherbourg pour l’Angleterre. Ensuite, il vécut en exil en Ecosse, puis à Prague. Dans cette dernière ville il séjourna plusieurs années avec ses proches au palais de Hradschin où l’empereur d’Autriche lui avait donné asile. Une épidémie de choléra s’étant déclarée dans la région, il fut décidé que le Roi et son entourage iraient s’installer temporairement à Görz, une ville de villégiature située en Illyrie autrichienne. Ils entreprirent ce long voyage en octobre 1836, en faisant étape à Kirchberg et à Linz. A son arrivée à Görz, Charles X et son petit-fils s’installèrent au petit château du Graffenberg, loué au comte Coronini. Il fit sa dernière apparition publique le jour de la Toussaint, lorsqu’il assista à la messe à la cathédrale de Görz. A la sortie, il fut acclamé par la population de la ville. Cependant, il dut s’aliter le 4 novembre. Sans doute avait-il attrapé le choléra durant le périple qui l’avait amené de Prague à Görz. Agé de 79 ans, il ne put résister à cette terrible maladie, qui l’emporta le 6 novembre. Ses funérailles eurent lieu à la cathédrale le 11 novembre et sa dépouille fut ensuite transportée au couvent franciscain qui s’appelait alors Castagnavizza. Cette nécropole allait devenir, par la force des choses, une sorte de Saint-Denis de l’exil, puisque, on l’a vu, ses proches y reposent également : le fidèle Blacas mourut le premier, trois ans après son maître. Puis, ce fut le tour du duc d’Angoulême (Louis XIX), en 1844. Son épouse Marie-Thérèse, fille de Louis XVI, décéda en 1851. La petite-fille de Charles X, qui avait épousé Charles III, duc de Parme, mourut en 1864. Son frère Henri V décéda en 1883, après avoir failli remonter sur le trône de ses aïeux. Son épouse Marie-Thérèse-Béatrix Gaëtane de Habsbourg-Lorraine mourut trois ans après lui.  

Charles X rendit l’âme dans une ville autrichienne. Sa sépulture fut troublée par la première guerre mondiale, l’église sous laquelle il reposait fut alors détruite par les bombardements. Ses restes et ceux de la famille royale durent être mis à l’abri à Vienne. Dans les années 20, ils furent ramenés dans la crypte, en territoire italien, Görz étant devenue Gorizia.  Puis, en 1947, la frontière fut rectifiée au profit de la République Socialiste de Yougoslavie et la colline où s’élève le couvent franciscain cessa de faire partie de l’Italie. Castagnavizza était devenue Kostanjevica. En 1991, la République de Slovénie proclama son indépendance et c’est ainsi que Charles X repose désormais dans un  pays dont il ignorait l’existence, sur le territoire d’une commune nommée Novagorica (la « nouvelle Gorizia ») à quelques centaines de mètre de la Gorizia où il mourut.

Au début des années 80, des pourparlers eurent lieu entre les autorités françaises et yougoslaves en vue du rapatriement de Charles X. Ils n’aboutirent pas. Ne serait-il pas temps, aujourd’hui, de les reprendre, avec les autorités slovènes, afin que Charles X et les siens puissent enfin reposer aux côtés des leurs et de leurs ancêtres, à la basilique royale de Saint-Denis ? Ce serait un moment fort d’unité nationale, qui permettrait aux nouvelles générations de découvrir une page d’Histoire occultée. Elles pourraient ainsi prendre conscience que l’Histoire de France n’a pas commencé en 1789. C’est pénétré de ce rêve que je quittais la petite crypte de ce couvent franciscain et cette colline oubliée des confins de la Slovénie.

Certes, il est des esprits chagrins qui affirment que Charles X fut un souverain déplorable. Il ne faut cependant pas le juger avec une vision déformée par ce que l’on nous a fait apprendre depuis la révolution dite des « Trois Glorieuses ». Le Roi était un homme âgé, témoin privilégié des évènements qui conduisirent son frère aîné à l’échafaud. Obsédé par le souvenir de Louis XVI, il adopta une attitude que d’aucuns jugèrent intransigeante face aux pressions des politiciens et à celles de la rue. On oublie trop souvent qu’il joua un rôle primordial dans la libération de la Grèce du joug ottoman. C’est aussi son action déterminée qui permit d’éliminer la piraterie barbaresque de la Méditerranée, action qui conduisit au débarquement de Sidi Ferruche et à la prise d’Alger, en mai 1830.

La question demeure donc : que fait, encore aujourd’hui, Charles X en Slovénie ?

Hervé Cheuzeville


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