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Louis XIV au Château de Vincennes (3/3)



Les actes des communications des sessions du centre d’études historiques paraissent une fois par semaine, chaque samedi. Les liens des communications en bas de page.

Centre d’Etudes Historiques

1661, la prise de pouvoir par Louis XVI.

Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques (7 au 10 juillet 2011)

Collectif, Actes dela XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV, CEH, Neuves-Maisons, 2012, p.89-102.

Voir aussi Vincennes royal du Père Jean-François Thomas (s.j)

Par Odile Bordaz

Conservateur du Patrimoine et aux Archives nationales

Les événements de 1661 au château de Vincennes

C’est donc ce château, témoin de plusieurs siècles d’histoire et des heures sombres et glorieuses de la monarchie qui, au moment de la prise de pouvoir par Louis XIV, a servi de cadre à des événements fondamentaux.

Au cours de l’automne et au début de l’hiver 1660-1661, le roi avait partagé son temps entre le Louvre et Vincennes où Mazarin, bien qu’affaibli par la maladie, avait donné des fêtes somptueuses en l’honneur du couple royal. « Tout l’hiver se passa en danses et en plaisirs », a écrit Mademoiselle de Montpensier dans ses Mémoires.

Chasses, revues de troupes de la Maison du Roi, ballets, concerts, pièces de théâtre, soupers, ses succédaient au rythme effréné d’une cour jeune, avide de s’étourdir dans un tourbillon de fêtes.

Nicolas Fouquet, le tout puissant surintendant des finances, venait en voisin depuis sa maison de Saint-Mandé. Il lui arrivait de « prêter » au roi son intendant Vatel, génial organisateur de fêtes somptueuses.

L’incendie du 6 février 1661 dans la galerie du Louvre où l’on travaillait à la préparation d’un ballet dans lequel le roi devait danser, ayant obligé le cardinal, immobilisé par la goutte, à se réfugier dans son hôtel de la rue des Petits-Champs, puis au château de Vincennes, sur les conseils de ses médecins, entraîna vers cette résidence la reine mère, puis le roi et son épouse qui était enceinte. Presque chaque jour le roi et sa mère allaient rendre visite au cardinal.

Madame de Motteville rapporte dans ses Mémoires qu’ils restaient plusieurs heures à son chevet ; le 22 février, alors qu’il est « plus mal et oppressé », ils passèrent deux heures et en sortirent en pleurs et attendris ».

Le 28 février, Louis XIV signa avec le duc Charles IV de Lorraine un traité dit, « Traité de Vincennes », qui faisait suite au traité des Pyrénées et qui autorisait le duc à recouvrer son duché de Bar ; il prévoyait aussi la création d’une route royale par cession d’un « couloir » d’une demie lieue de large entre Metz et Phalsbourg, permettant ainsi au roi de France de se rendre en Alsace sans passer en terre étrangère.

Le 29 février, le roi et la reine quittèrent Vincennes pour aller jusqu’aux abords de Saint-Denis, à la rencontre de la reine Henriette de France, veuve de Charles Ier d’Angleterre, qui rentrait en France avec ses enfants ; sa fille Henriette d’Angleterre épousera Monsieur, frère du roi, quelques mois plus tard.

C’est aussi vers la fin du mois de février que l’état du cardinal empirant, il décida de marier sa nièce Marie Mancini avec le connétable Colonna, au désespoir de la jeune femme qui n’avait pas oublié son idylle avec le roi.

Le 3 mars, Mazarin allait si mal qu’il reçut le Saint-Viatique. La reine-mère l’entendait hurler la nuit, « parce qu’il était logé de l’autre côté de sa chambre, et son mal était de cette nature qu’il étouffait continuellement », dit Mme de Motteville. Quelques jours plus tard, ne pouvant plus supporter les cris du moribond, elle alla s’installer dans la chambre du roi.

« Le 5 mars, on ordonna les prières publiques des 40 heures dans toutes les églises de Paris, ce qui ne se fait d’ordinaire que pour les rois ». Le cardinal fit son testament, qu’il signa le 6. Le 7 mars, il reçut l’extrême-onction. Il s’entretint avec le roi à qui il donna ses dernières instructions. Désormais, le cardinal n’avait d’autres soucis que le salut de son âme. Le curé de Notre-Dame-des-Champs, M. Joli, prêtre de grande réputation, avait été appelé à son chevet. Son confesseur habituel, le père Bissaro, religieux théatin qui appartenait à cet ordre italien que Mazarin avait fait venir de Rome, reçut sa confession générale, dont il fera une relation à son supérieur[1]. Dans la nuit du 8 au 9mars 1661, entre 2h et 3h du matin, le cardinal Mazarin expira.

Voici le récit qu’en a fait Mme de Motteville :

« Le roi s’éveillant appela sa nourrice qui couchait dans la chambre, et sortant de son lit, lui fit signe de l’œil pour savoir si le cardinal était mort, ce qu’il fit de peur d’éveiller la Reine, ou de la troubler par cette funeste vue de la mort. Ayant su que oui, il s’habilla, et fit venir les ministres, le chancelier, Le Tellier, le surintendant Fouquet et de Lyonne et leur recommande de ne rien expédier sans lui parler, leur déclarant qu’il ne voulait point que ceux qui demanderaient des grâces s’adressassent à d’autres qu’à lui. »[2]

Il existe différentes versions de l’événement, décrit par des témoins directs. Voici celui d’un diplomate, François-Gaston de Béthune (1638-1692) qui se trouvait à Vincennes le lundi 7 mars 1661 et qui écrit en ces termes à Achille II de Harlay :

« J’estois dans la garde robe de son Éminence d’où ke ne suis sorti que pour venir manger un morceau avec M. de Beaufort. Elle a receu l’extrême onction à midi. Le Roy ne le verra plus lui aiant dit adieu et temoignant toujours d’une grande affliction. Sa Majesté a commandé tout présentement à M. de Brienne d’expédier la survivance du gouvernement de Bretagne pour M. le Grand Maistre et en mesme temps elle a dit tout haut en ces termes en présence de Mgr le Prince et de beaucoup d’autres qui s’i sont rencontrés : « Il court le bruit que Chandenier rentrera dans sa charge, mais pour le faire cesser entièrement c’est que je déclare qu’il n’i rentrera jamais et que je donne la survivance au fils de M. de Noailles (…) Je pense sçavoir que le Roy sera quelque temps sans faire un establissement de Conseil et les choses iront et se feront par ses purs ordres. (…) J’escris si a la haste que je ne peus m’expliquer davantage. L’on doute fort que son Éminence passe cette nuit et les médecins l’ont quitté tout à fait dès le matin. »[3]

Un autre témoin, et non des moindres, puisqu’il s’agit de Loménie de Brienne, dit le jeune Brienne, a écrit dans ses Mémoires le récit de la mort de Mazarin et des interventions immédiates du roi ; mais de ces dernières, il a donné deux versions différentes, rédigées l’une comme l’autre plusieurs décennies après les faits, d’où l’intérêt de recourir au document le plus fiable, le Mémorial du Conseil, registre rédigé à partir du 9mars 1661, où sont notés les « Ordres du Roi et résolutions du conseil secret de S.M. établi depuis la mort de M. le cardinal Mazarin pour la conduite de l’État ». Jour après jour, sont notés sur ce registre les décisions, ordres, commandements du roi et leur exécution[4].

Voici la relation que fait Brienne de la journée du 9 mars 1661, dans les heures qui ont suivi la mort de Mazarin :

« M. le Cardinal ne fut pas plus tôt mort, que le Roi fit appeler MM. Fouquet, Le Tellier, et de Lionne, pour leur donner à eux seuls la plus secrète part de sa confiance. Il ordonna à M. le Chancelier de ne rien sceller sans son ordre, et fit ensuite à MM. Les secrétaires d’État un pareil commandement pour les expéditions qui partent de leurs mains. Il ordonna deux conseils par semaine, le lundi et le jeudi, pour les affaires courantes du dedans de l’État, où MM. Le Chancelier, Surintendant, Secrétaires d’État et M. de Lionne se trouveraient seuls. S.M. me donna ordre de ne parler point lors des affaires étrangères, mais seulement en présence d’Elle ou de ces trois messieurs, à mesure que les affaires viendraient, sans prendre pour cela de jour précis, et pouvant ainsi, tous les matins qu’Elle s’assemble avec eux, m’y trouver pour parler de ces matières. »[5]

Pendant que le roi s’occupait des ses affaires, les 9 et 10 mars, le corps du cardinal fut exposé à la vue du peuple qui se pressa en foule au château. Le 11 mars, un service funèbre fut célébré dans la Sainte Chapelle de Vincennes, « sans beaucoup de cérémonie ».

Le cercueil contenant la dépouille de son Éminence restera pendant une vingtaine d’année dans la sacristie de la Sainte Chapelle de Vincennes, en attendant son transfert dans le tombeau que Coysevox lui avait sculpté au Collège des Quatre Nations que le défunt avait fondé. Son cœur avait été envoyé selon ses désirs au couvent des Théatins de Sainte-Anne la Royale, au bord de la Seine, face au Louvre.

Revenu à Paris le soir même de la mort du cardinal, après avoir réuni ses ministres sur place, Louis XIV ne séjourna plus au château de Vincennes au cours des mois qui suivirent. Il faut dire que cette année 1661 devait se révéler riche en événements : après la mort de son parrain et premier ministre, Louis XIV décidant la perte de son surintendant Nicolas Fouquet, le fit arrêter à Nantes le 5 septembre 1661 et conduire dans sa première prison au château d’Angers, par le sous-lieutenant de ses mousquetaires, d’Artagnan. Quelques mois plus tard, Fouquet prit pour la dernière fois le chemin de Vincennes, mais cette fois c’était celui du donjon, sa troisième prison les châteaux d’Angers et d’Amboise.

Le roi et la cour passèrent l’essentiel de l’été et de l’automne 1661 à Fontainebleau, où la reine donna naissance au dauphin le 1er novembre.

La présence toute proche de son ancien ministre n’empêcha pas Louis XIV de séjourner à Vincennes au cours de l’année 1662 et d’y donner des fêtes magnifiques, comme les années précédentes, au temps de Mazarin.

En guise de conclusion

« Quand je me sens pesant ou que j’ai mal à la tête, je suis assuré de recouvrer la santé à Vincennes », se plaisait à affirmer le jeune Louis XIV. Un demi-siècle plus tard, dans son testament, il demandera que son successeur, le futur Louis XV soit amené à Vincennes « où l’air était si bon ». Sur son lit de mort, c’est la demande qu’il fera au Régent. Louis XIV n’oublia jamais ce château de sa jeunesse, qui avait préfiguré ce que serait Versailles deux décennies plus tard.


[1] Madeleine Laurain-Portemer, Une tête à gouverner quatre empires. Études Mazarine, Paris, 1997, p.1108

[2] Mémoires de Madame de Motteville, Éd. Michaud et Poujoulat, p.505.

[3] Cf. Jérôme Janczukiewick, La prise du pouvoir par Louis XIV : la construction d’un mythe, PUF, 2005

[4] Henri-Auguste de Loménie, comte de Brienne, Mémoires, Paleo, Sources de l’Histoire de France

[5] Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, t.I, p.1-2



Communications précédentes :

Préface : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/ histoire /2653-ceh-xviiie-session-preface-de-monseigneur-le-duc-d-anjou

Avant-Propos : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2654-ceh-xviiie-session-avant-propos

 La rupture de 1661 (1/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2663-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (2/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2664-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2684-ceh-la-rupture-de-1661-3-4

De Colbert au patriotisme économique (1/3)

De Colbert au patriotisme économique (2/3)

De Colbert au patriotisme économique (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2693-ceh-de-colbert-au-patriotisme-economique-3-3

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (1/3) 

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (2/3)

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (3/3): https://www.vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/ceh-1661-transfert-de-la-cour-des-aides-de-cahors-a-montauban-3-3/

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (1/3)

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (2/3)

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (3/3)

Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (1/2)

Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (2/2)

Louis XIV au Château de Vincennes (1/3)

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