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L’éducation, une affaire de famille, une affaire royale, une affaire divine

Au fil du livre : Tadashi SHIGA, Histoire de l’éducation dans l’antiquité japonaise(日本古代教育史), Tôkyô, Chiyoda Shobo, 1977

Cercle sur l’éducation Communication première – Préhistoire Japonaise – 1

Introduction : Aux sources de l’éducation

Cet opuscule de taille modeste contient tout un programme : l’auteur, Shiga Tadashi, cherche l’essence de l’éducation dans les temps primitifs de l’histoire japonaise, préoccupé qu’il est de trouver des solutions aux difficultés contemporaines que rencontrent l’éducation.

 « Cela fait maintenant un demi-siècle que j’ai choisi d’étudier l’éducation et son histoire. J’ai toujours été contrarié par ce manque, par ce blanc dans notre histoire de l’éducation que constitue la période de la haute antiquité, toutes les études ne commençant à parler de la question qu’à partir de la moyenne antiquité, au moment où les premières écoles apparurent, comme si l’éducation commençait avec celles-ci. La période antérieure est « préhistorique », car ne connaissant pas l’écriture et ne nous laissant donc aucune source écrite. Peut-on pourtant considérer que cette époque primitive ne vaut pas la peine de s’y intéresser par une trop grande simplicité et naïveté de ces gens ? Pourtant, la vérité des choses se trouve le plus souvent dans cette simplicité et naïveté même. Et tout particulièrement pour ce qui est du sujet de l’éducation. »[1]

Son étude éclaire tout un pan extrêmement instructif de l’histoire de l’éducation pour l’homme contemporain et occidental. Il est habité par cet ardent désir de restaurer une éducation authentique pour le bien de ses enfants et l’avenir du pays.

 « Nous sommes arrivés sans aucun doute à l’automne de l’éducation : il est maintenant nécessaire de renouveler notre vision de l’éducation scolaire, la repenser et ensuite la reconstruire. Pour ce faire, je désire explorer les confins de notre histoire dans cette période primitive où l’école même n’existait pas encore afin d’étudier tant la façon dont les hommes conduisaient alors l’éducation au milieu de leur vie quotidienne et de leurs travaux, que pour apprendre ce que nos lointains ancêtres nous racontent sur elle.

« Restaurer l’ancien » doit se comprendre en réalité comme une « renaissance ». Et ainsi, dans cette dynamique, nous pouvons redécouvrir « l’ancien » et apprendre de lui, qui nous suggère non seulement les méthodes à employer et les buts à poursuivre pour aujourd’hui et demain, mais devient aussi naturellement l’énergie qui nous fait avancer au jour le jour. »[2]

Sa méthodologie est claire : il ressent le besoin de la société moderne de restaurer ce qui a été abîmé au cours du temps et les vérités anciennes afin de permettre une renaissance, une revitalisation nécessaire de l’éducation contemporaine. La restauration consiste dans le renouvellement des dynamiques anciennes et réelles : on puise dans le passé pour réellement affronter l’avenir ; c’est-à-dire que pour renaître il faut revenir aux origines. L’éducation a ceci de terrible qu’il faut tout recommencer de zéro à chaque génération. Cette vérité bien visible est pourtant souvent oubliée, dans une sorte d’assurance optimiste et quelque peu aveugle qui veut nous faire croire que l’éducation se fera d’une façon ou d’une autre. Et pourtant, rien de moins évident[3]… De là vient peut-être la raison fondamentale du sentiment d’urgence face aux problèmes la concernant, même s’il est souvent inconscient : tout peut être perdu en l’espace d’une seule génération – espérons que nous, les derniers nés du vingtième siècle, ne soyons non pas la génération perdue, ce qui serait un moindre mal, mais la génération qui a tout perdu car elle n’a rien appris, voire pire, mal appris.

On remarque de plus l’importante distinction à faire entre instruction et éducation, distinction qui n’existe pas clairement d’ailleurs en japonais[4], mais que l’auteur rappelle clairement : d’où la nécessité d’explorer la substantifique moelle de l’éducation qui peut se révéler à nu dans un monde où l’école n’existe pas. Allons chercher dans ces temps reculés la « voie éternelle » de l’éducation.

« « Restaurer » signifie littéralement « revenir à l’ancien ». Revenir aux sources, à ce lieu premier de tranquillité et de calme. Vouloir restaurer revient ainsi à vouloir retrouver cette sérénité originelle. Mais cet endroit harmonieux et cette âme sereine ne sont-elles pas avant tout une source pure d’énergie ? Retourner aux sources de la sérénité humaine peut apparaître comme le résultat de la passivité et d’une dynamique rétrograde, mais pourtant, dans cette passivité sublimée même, la véritable énergie active et positive jaillit et devient la source de tous les développements. Si nous voulons vraiment agir activement et positivement, nous ne pouvons que nous retourner vers l’ancien et nous sublimer dans la passivité. Dans le calme même du cœur se trouve conservée précieusement la belle Voie que nous devons retrouver. Sans cette détermination et cet état d’esprit, le retour sur le passé se perdra certainement dans les confins flous de l’éternité et on aura beau chercher le chemin de la formation des hommes, on tombera sans aucun doute dans une sorte de romantisme béat de l’antiquité, dans une monomanie du collectionneur qui aime les vieilles babioles, ou encore dans une simple érudition stérile qui cherche à tromper l’ennui. Nous ne possédons pas ce luxe, nous faisons face aujourd’hui à un nombre important de problèmes à résoudre sur l’éducation, qui s’enchevêtrent de façon inextricable avec tous les autres domaines comme la politique, l’économie ou la culture. Trouver dans ce fouillis le fil conducteur qui pourra nous diriger vers une solution n’est pas chose aisée. Et ces problèmes de la plus haute importance nécessitent une solution intransigeante, qui ne supporte ni l’évitement ni le compromis. Je crois que la seule façon de trouver la voie de résolution au milieu de la tempête est de tendre notre attention vers ce que nous suggèrent les figures de l’ancien temps, le berceau de l’éducation. Cela peut paraître un détour immense, et pourtant rien n’approche plus le fond du problème.

Certains me répliqueront peut-être que l’éducation vise l’avenir, constitue ce qui fonde la création de la nouvelle histoire de demain. Revenir alors sur le passé et tenter de trouver dans la voie de ce sombre et lointain passé primitif ne serait ainsi que folie ! A quoi sert d’aller chercher cette simplicité primitive, indéfinie, sorte de néant primitif, invisible et insaisissable ? Et pourtant, c’est dans cette simplicité et naïveté même qui porte en elle la vitalité vigoureuse et l’énergie pure. Ce n’est pas parce que le néant primitif indistinct répugne par son flou et son éloignement qu’il faut l’ignorer et mettre aux oubliettes ce qu’il a d’essentiel. Les premiers sermons bouddhiques peuvent sembler de nos yeux présents quelque chose de bien naïf et simple, et pourtant les temples, les tours et les bibliothèques sont emplis d’une doctrine sophistiquée et approfondie. Mais qu’en est-il du point essentiel de l’état du salut de tout un chacun et des générations à venir,  ? Il n’est pas besoin de répondre. Nous en sommes encore si loin, et la pente est si abrupte… Ce n’est pas une raison pour garder les bras croisés et la tête en l’air.

C’est le moment de revenir aux origines de l’éducation et revenir à cette antiquité primitive où se trouve la voie éternelle sur laquelle nous devons marcher. Cherchons à retrouver cette voie originelle de notre éducation nationale en se collant à la vie et à la culture de nos ancêtres. N’ayons pas peur de la pauvreté matérielle de ces chasseurs, soyons simplement humble dans notre ignorance de ces temps reculés, et tentons de faire face sereinement à cette cible qui se dérobe. »[5]

La beauté qui nous est offerte est de constater une belle universalité au travers des lignes de cette citation. L’auteur étudie une antiquité particulière, celle du Japon, et tente de souligner de temps à autre des particularités de l’éducation nipponne. Pourtant, ses remarques et ses conclusions, sans compter ses préoccupations, sont d’une universalité déconcertante et correspondent en plein à certaines vérités éternelles répétées avec constance avec la Sainte Eglise, qui n’a jamais rien inventé, si ce n’est une transmission claire et juste de nombreuses vérités annoncées et confirmées par le Christ.

La quête de notre auteur pourrait se reformuler de la façon suivante : l’homme ancien est plus proche d’un état pré-chute, pour utiliser des références chrétiennes. Il existait un état avant le péché originel, où l’homme n’avait pas encore commis le mal qui le condamne à cette chute. Les anciens, qui vivaient il y a si longtemps qu’il en devient difficile de comprendre leur réalité si ce n’est en se fondant sur l’universalité de l’humanité et des problèmes constants qu’elle doit affronter du fait de sa nature même, sont ainsi plus proche que nous du début, et en particulier du début de la transmission, qui n’existe qu’avec la filiation, elle-même signe de notre mortalité.

L’auteur ne peut pas être soupçonné d’être chrétien avec la petite pique de la citation suivante, dans laquelle il vient pourtant à la même conclusion que toute la philosophie traditionnelle : l’homme hors de la société n’existe pas, et il est absurde de le concevoir, ce n’est qu’une chimère. Il balaie ainsi en deux lignes les thèses idéalistes des lumières qui voient dans l’homme primitif une sorte d’homme idéal. Rien de tel ici, si l’homme ancien primitif profite certainement d’une éducation plus pure, qui lui donne une idée plus claire de ses devoirs et de la Voie sur laquelle il faut s’efforcer de marcher, car plus proche des premières transmissions, il n’est en rien ni naturellement bon, ni seul.

 « S’il est concevable dans l’esprit d’imaginer que le genre humain a pu exister avant la formation des sociétés sans que ces dernières n’existent, l’histoire naturelle démontre pourtant le contraire, et comme le suggèrent les histoires des origines, comme celle d’Ève et Adam, vouloir imaginer un individu par lui-même n’est qu’un conte enfantin et sans intérêt. »[6]

On pourrait presque dire qu’il tente d’expliquer la raison de la possibilité même de cette bizarrerie folle inventée par les lumières de l’homme individuel et sans société, l’homme à l’état de nature, dans le développement tordu et infondé du motif d’un Adam seul pendant un certain laps de temps, déploiement sans contexte et sans aucune assise théologique. En tout cas, impossible d’étudier l’éducation hors de la société, puisque l’éducation suppose transmission, et donc famille, et donc liens qui fondent toute société de façon naturelle depuis le début de l’humanité.

Paul-Ramond du Lac

Autre série de notre contributeur : (avec tous les liens à l’intérieur)


[1] Tadashi SHIGA, Histoire de l’éducation dans l’antiquité japonaise(日本古代教育史), Tôkyô, Chiyoda Shobo, 1977, p.1 « 私は教育界に入り、教育学、特に教育史を選考して半世紀になるが、これまでいつも気になり、近来いよいよ遺憾でならぬことは、我が国の教育史に限って、古代については全く空白であり、清々中古、それも教育についての職掌や学校が整備されるようになった中古の時代から始められているのかということである。それ以前は文字無く、文書を残さぬ「歴史以前」のこと、素朴単純で取るに足らぬというのであろうか。しかし凡そ真実は、いつも本来の素朴単純の中にこそ秘められている。特に人間教育の営みにおいて肯かれよう。 »

[2] Ibid, p.10 « 今や教育、わけても学校教育を見直し、考え直し、そして建て直すべき秋であろう。そのためにも、そうした学校以前の人間教育の営みが日常的な生活や生産を通してどのように営まれたか、それを遠く遡って原始太古に復り、先人たちが示唆するところについ探り求めて見たい。

      「復古」は、しかしその事実の意味において、「新生」をこそ意味すべきであろう。こうした態度において、その「古」に学び取るべきものを見出すことができ、その学び取ったものが今後目指すべき方法を示唆するばかりではなく、その実践のエネルギーとなることは必定である。 »

[3] Si encore l’école moderne ne venait pas déconstruire sciemment la tradition éducative, certes, il se pourrait que la plus grosse partie de l’éducation se fasse sans effort, dans le simple respect de la coutume. Il est ainsi comique de lire par exemple les théories scolaires de la IIIème république qui parlent de l’importance de la nature, des travaux ménagers et pratiques, etc : toutes choses qui, effectivement, se font naturellement si l’enfant reste au foyer, voit ses parents travailler, apprend d’eux les travaux essentiels, la Foi, et passe son temps à jouer dans la nature avec sa fratrie. Belle exemple d’énergie perdue dans l’école, qui cherche à reproduire artificiellement ce qui se fait naturellement dans les foyers. A se demander quelle volonté peut bien commander à cette obsession de remplacer les familles à l’école, pour un effet clairement inférieur dans la petite enfance et l’enfance…

[4] Il existe comme mots courants les suivants: 教育 utilisé à la fois pour éducation mais aussi instruction au sens d’enseignement, 教化 pour édification (“rendre éduqué”), avec une connotation religieuse de mission, 教養 plus proche de érudit, de celui qui est cultivé avec goût, ou encore 子育て qui désigne sans détours l’éducation de l’enfant, le fait de l’élever, et se limite plus à la petite enfance, jusqu’à 6-7 ans.

[5] Ibid, p.11 « 「復古は言うまでもなく古に帰ることである。凡そかえる処はおちつく処である。そしてそのかえろうとするこころはおちつきを得ようとするこころにほかならぬ。しかし凡そおちつく処やこころこそは、そこから力強く発する処であり、こころであろう。かえりおちつくと言えばいかにも消極退嬰とも見えようが、その消極に徹するところにおいてこそ実は積極的な発動や展開の根源が見出されよう。われわれは積極的な活動を願い求めればこそひるがえって消極に徹し、心静かにそこに秘められた一条の道を見出さなくてはなるまい。このこころ無しには、恐らくこのように悠遠にして茫漠なる太古に帰ってそこに人間形成の道を求めようとしても恐らくロマンティックな古代憧れか、物好きな尚古癖か、暇潰しの骨薫趣味に墜するほかは無かろう。われわれにはこのような暇は無い。それというのもわれわれが今日当面し、対決しつつある教育問題の何れを見ても、政治、経済、文化等、数々の問題がからみ合い、もつれ合って、複雑と錯綜を極め、その解決の糸口を見出すことさえ容易でない。しかもそのどれ一つを取上げて見ても切実に解決を迫っており、回避も妥協も許されない。窮中打開の道ありとすれば、それは教育文化の原郷に復えり本来の相において解決への示唆を得る以外には無いであろう。それは一見いかにも迂遠に見えて、実は最も近くして確実な道であることは必定である。

しかし人或いは言うかも知れぬ。―教育のこと、それは本来明日を目指して新しい歴史を創る営みである。それなのに過去に顧みるどころか、悠遠な原始未開の薄明かりの中にその道を求めるとは何事ぞ、そこに見だせるもの素朴単純なもの、いわば未分化の渾沌に過ぎない―と。しかしながら凡そ素朴単純なものにおいてこそ溌溂たる生命が宿り、エネルギーが秘められているものである。未分化の渾沌が不都合とあって、その渾沌に目鼻を付けても、そのために肝腎な渾沌を抹殺してはなるまい。基督の山上の垂訓や釈迦の菩提樹下の獅子吼が思われることである。その教説は一見してまことに素朴単純なものであった。それが今日、堂塔伽藍は威容を張り、経典は蔵に充ち、教理は精緻を極めるに至った。しかしながら肝腎な民衆済度と言う未来の面目において如何であろうか。否、顧みて他を言うまでもあるまい。道を遥かであり、しかしも嶮しい。さればとて茫然として腕を拱いてはおれぬ。今こそ教育本来の道をたずね、今後に往くべき道を悠遠なる原始太古に復えり、われわれの先人たちの生活や文化に即して今後の国民教育の本道に示唆するもの求めよう。収穫の乏しさを憂えず、ただ研鑽の至らざること恥じながらも、あえて心静かに的無く的に対したい。 »

[6] Ibid, p.19 « われわれは人間は、先ずはじめから社会集団を成して生活していたのであって、集団以前の存在は考え得るにしても、それは自然史の問題であり、初めにアダムとイヴなどというように、個人を想定するのはたわいもないお噺に過ぎぬ。 »

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