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Les relations entre l’Église et l’État pendant la Révolution. Contribution au Symposium international de Tokyo sur la Révolution (13-14 juillet 2019)


Les 13 et 14 juillet 2019, le symposium international de Tokyo sur la Révolution française se déroulait sous la direction de Paul de Lacvivier (univ. Kokugakuin) et de l’abbé Thomas Onoda (FSSPX), sous le haut-patronage de Monseigneur le Duc d’Anjou, et avec le soutien de Vexillia Galliae, du Centre d’Études Historiques (CEH) et du Cercle d’Action Légitimiste (CAL).
Un an après, nous publions les actes de ce symposium. Ils paraissent hebdomadairement, chaque mardi.


Chers auditeurs, permettez-moi tout d’abord de remercier Monsieur l’abbé Onoda de son aimable invitation à ce symposium. Je découvre avec plaisir et pour la première fois le Japon et je suis bien heureux de pouvoir vous adresser ces quelques mots.

Le thème qui m’échoit aujourd’hui est celui des relations entre l’Église et l’État pendant la Révolution française. C’est un sujet riche, vaste et en même temps complexe. J’essaierai donc en peu de temps de vous donner une appréciation aussi exacte que concise!

Dans un premier temps, il nous faudra nous attarder sur les vrais buts de la révolution dite française, car elle a une portée religieuse. Nous verrons ensuite l’état, si l’on peut dire, de l’Église en France à l’aube de la révolution. Ensuite nous déroulerons les différents événements qui ont tissé les rapports entre l’Église et l’État durant la période qui va, grosso modo, de 1789 à 1801.

I – L’intention de la révolution

La bibliographie sur le sujet est vaste et abondante. On pourra par exemple se reporter aux Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme d’Augustin Barruel (paru en 1797) et dans lequel il montre comment la révolution française est un complot fomenté par les philosophes des Lumières (Rousseau, Voltaire, d’Alembert, Diderot, etc… eux-mêmes soudoyés par Frédéric II de Prusse). Ce complot vise à l’éradication du pouvoir royal en France et par là du pouvoir de l’Église. Ainsi, sous des aspects politiques, c’est la puissance même de l’Église qui est visée : le roi de France n’est pas seulement le principe et l’autorité qui règne sur un royaume, c’est aussi et surtout le lieutenant de Dieu sur terre pour les affaires temporelles.

À ce propos, on peut citer ces lignes que Mgr Gaume écrit sur la Révolution :

« Si, dit-il, arrachant son masque, vous lui demandez (à la révolution) : qui es-tu ? Elle vous dira : « Je ne suis pas ce que l’on croit. Beaucoup parlent de moi et bien peu me connaissent. Je ne suis ni le carbonarisme… ni l’émeute… ni le changement de la monarchie en république, ni la substitution d’une dynastie à une autre, ni le trouble momentané de l’ordre public. Je ne suis ni les hurlements des Jacobins, ni les fureurs de la Montagne, ni le combat des barricades, ni le pillage, ni l’incendie, ni la loi agraire, ni la guillotine, ni les noyades. Je ne suis ni Marat, ni Robespierre, ni Babeuf, ni Mazzini, Ni Kossuth. Ces hommes sont mes fils, ils ne sont pas moi. Ces choses sont mes œuvres, elles ne sont pas moi. Ces hommes et ces choses sont des faits passagers et moi je suis un état permanent.

Je suis la haine de tout ordre que l’homme n’a pas établi et dans lequel il n’est pas roi et Dieu tout ensemble. Je suis la proclamation des droits de l’homme sans souci des droits de Dieu. Je suis la fondation de l’état religieux et social sur la volonté de l’homme au lieu de la volonté de Dieu. Je suis Dieu détrôné et l’homme à sa place. Voilà pourquoi je m’appelle révolution, c’est-à-dire renversement. »[1]

On comprend par cette phrase l’importance d’étudier les rapports entre ecclésiastiques et révolutionnaires au cours de cette période qui s’étend de 1789 à 1801.

II – L’état de l’Église en France

À l’aube de la révolution, la France est profondément catholique. Le roi est dit « très chrétien » et la religion de l’État est le catholicisme.

Malheureusement, la France a toujours été agitée par de nombreuses querelles avec le Saint-Siège. Depuis Philippe le Bel (1285-1314) et le début de l’étatisme français, la royauté admet difficilement une autorité supérieure à l’État. Le pape Boniface VIII (1294-1303) en fera les frais.

Un siècle plus tard, le 7 juillet 1438 le roi Charles VII signe une ordonnance appelée la Pragmatique Sanction de Bourges. Il faut bien la situer dans son contexte historique : l’Occident sort de 40 ans de schisme et les plus hauts ecclésiastiques se disputent pour savoir qui du pape ou du concile a la prééminence. L’autorité dans l’Église est bien mise à mal. C’est alors que le roi de France, en signant cette ordonnance avec quelques évêques du Royaume, réorganise si l’on peut dire, l’Église en France et lui donne un statut canonique. Le texte affirme la suprématie du concile, limite le pouvoir du pape dans le royaume, notamment en coupant quelques impôts et surtout en établissant une certaine indépendance du clergé français par rapport à Rome pour les nominations. Ainsi l’Église de France acquiert une certaine autonomie et le roi peut jouir envers sa personne de la soumission du clergé, lequel est satisfait.

Le pape s’oppose bien sûr à cette ingérence royale dans les affaires ecclésiastiques. De nombreuses discussions et tergiversations vont avoir lieu jusqu’en 1516. Car cette année-là, le 18 août, le pape Léon X et le roi François Ier signent le concordat de Bologne qui abolit la Pragmatique Sanction de Bourges. Si l’autorité du pape est réaffirmée sur le concile, c’est encore le roi qui nomme les évêques. Certes le pape examine le sujet et donne l’investiture canonique, mais les clercs prêtent ensuite un serment de fidélité au roi.

À l’aube, donc, de la Révolution, le royaume de France est sous l’empire du gallicanisme : c’est le roi qui règle les affaires ecclésiastiques dans son royaume ; l’autorité du pape est elle-même suspendue bien souvent aux parlements.

III – La révolution française

a) Le serment du jeu de paume

Le 2 mai 1789 s’ouvre la réunion des États-Généraux à Versailles. Les membres des trois ordres (clergé, noblesse et tiers-état) sont convoqués.  Le clergé est représenté par 291 députés (sur 1139), dont l’essentiel (plus de 200) sont des curés. Il n’y a en effet que 46 évêques qui siègent pour le clergé. La plupart des membres du bas clergé sont pour un changement : leur mode de vie est assez pauvre.

Après de longs discours inintéressants du roi et de Necker notamment, les députés vérifient leurs mandats. Le Tiers en profite pour demander le vote par tête et non par chambre. La demande est rejetée, mais le tiers-état ne se laisse pas abattre pour autant. C’est à ce moment que se joue la révolution. L’aristocratie cléricale (les évêques, les chanoines et les abbés) est attirée par la cause de la noblesse tandis que le bas-clergé est gagné au tiers état. C’est ainsi que plusieurs prêtres (dont l’abbé Grégoire) vont quitter la salle du clergé pour se rendre dans la salle du tiers état, s’opposant même aux injonctions des évêques :

« Nous sommes vos égaux, nous sommes des citoyens comme vous… » dira le curé Jallet.

En donnant de l’importance aux revendications du tiers état, le clergé va finalement encourager le mouvement de contestation et lui donner une nouvelle force. Voici l’un des discours d’un curé :

« Nous venons, Messieurs, précédés du flambeau de la raison, conduits par l’amour du bien public, nous placer à côté de nos concitoyens, de nos frères. Nous accourons à la voix de la patrie, qui nous presse d’établir entre ses ordres la concorde et l’harmonie, d’où dépend le succès des États Généraux et le salut de l’État… »

Au total, plus d’une centaine de députés du clergé va encourager le mouvement du tiers état, à la tête duquel on retrouve Mirabeau.

La noblesse supplie alors le roi de conserver l’ancienne constitution du royaume. Mais le 17 juin, résistant aux injonctions royales, le Tiers se proclame assemblée nationale sous l’impulsion de l’abbé Sieyès. Cette nouvelle assemblée prête ensuite serment dans la salle du Jeu de paume de ne pas se séparer avant d’avoir donner à la France une constitution (20 juin). Pour l’encourager, on retrouve plusieurs curés dont l’abbé Grégoire. Le roi fait donc fermer la salle. C’est le clergé de Versailles qui ouvre alors les portes de l’église Saint-Louis pour accueillir cette assemblée et la majorité des députés ecclésiastiques la rejoint. Le roi, paralysé par ce mouvement et incapable de le dissoudre, encourage les derniers membres résistants de la noblesse et du clergé à rejoindre l’assemblée nationale. Le régime féodal s’éteignait, la révolution est faite. Le roi a perdu le pouvoir, et le clergé, hélas imbus des idées malsaines de Jean-Jacques Rousseau et des Lumières, venait de nourrir la machine de guerre qui l’écraserait. En déclarant Jésus-Christ  « la divinité concitoyenne du genre humain », en désirant donner au peuple le pouvoir de se gouverner, les ecclésiastiques couraient à leur propre perte.

C’est à juste titre qu’un aristocrate a pu s’écrier :

« Ce sont ces foutus curés qui ont fait la Révolution ! »

b) La déclaration des droits de l’homme

Après les premiers heurts (prise de la Bastille), les provinces commencent à se soulever : c’est la Grande Peur. Le roi est dépassé. C’est alors que se déroule la fameuse et folle nuit (blanche) du 4 août 1789. Cette nuit-là, tous les privilèges féodaux sont abolis. Et le clergé ne fut pas en reste parce que, quoique faisant partie des privilégiés, il surenchérissait généreusement aux propositions d’abolition. L’évêque de Nancy exprima « le vœu de la justice, de la religion et de l’humanité en demandant le rachat pour les fonds ecclésiastiques et que le rachat ne tourne pas au profit du seigneur ecclésiastique mais qu’il en soit fait des placements utiles pour l’indigence… » Bref, le clergé renonça volontairement à ses biens et les remit au mains de l’Assemblée. Les premiers à en faire les frais furent les religieux dont la spoliation des possessions, devenues biens nationaux, allait poser la question de leur survivance. Au nom de l’humanité, de l’unité et de l’égalité, le clergé a largement contribué à son appauvrissement et à sa déchéance : il devient fonctionnaire d’État (qui subvient désormais à ses besoins) et perd son monopole spirituel. Prêtres et évêques déchanteront vite lors de la Constitution civile qui n’en sera pourtant que la conséquence.

Pour se donner une constitution, l’Assemblée décida alors de se donner un texte de base, « déclaration qui renferme les premiers principes de toute constitution, les premiers éléments de toute législation. » (La Fayette). Ainsi naquit la Déclaration des Droits de l’homme le 26 août 1789, bien influencée par l’esprit des Lumières, et inspirée de la déclaration d’indépendance des États-Unis.

Les clercs furent assez discrets dans l’élaboration de la déclaration des droits de l’homme. On leur doit cependant la mention de l’Être Suprême à la fin du préambule. Il y eut aussi quelques passes d’armes pour la liberté religieuse demandée par les protestants. La déclaration est ainsi rédigée : «  Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Le pape n’ayant prononcé encore aucun jugement sur ce texte, Louis XVI accepta et signa la déclaration.

Ce qui est certain, c’est qu’avec ce préambule à une constitution d’État, la religion catholique comme religion d’État va disparaître pour retomber dans le domaine privé et personnel, comme une simple tolérance.

c) La constitution civile du clergé

Le 2 novembre 1789 les biens ecclésiastiques sont nationalisés et deviennent propriétés de l’état. Le 13 février 1790 les ordres contemplatifs sont dissous. Cependant, il est difficile de supprimer tout le clergé. Qu’à cela ne tienne! Tout comme les biens matériels, les personnes consacrées seront nationalisées ! C’est le but visé par la constitution civile du clergé.

Le texte de cette constitution est adopté par l’assemblée constituante le 12 juillet 1790. Il faut ensuite l’approbation du roi. Ce dernier attend l’avis de Rome. Dans une lettre du 9 juillet 1790, le pape Pie VI avertit Louis XVI des dangers de cette constitution et notamment de son caractère schismatique. Hélas, le roi de France ne tient pas compte de cet avertissement papal. Il semble aussi que les évêques français craignaient un désordre plus grand si le roi refusait cette constitution civile. Ils espéraient sans doute pouvoir jouer de diplomatie en négociant avec le pouvoir révolutionnaire. Vaines illusions.

Le roi, hésitant de nature, s’en tint donc plutôt tenu aux conseils des évêques français. Il sanctionna, un peu contre son gré, la constitution civile du clergé le 24 août de la même année. Abolissant le concordat de 1516, le décret entend réorganiser le clergé français.

La carte des diocèses est profondément remaniée : réduits de 134 à 83, les diocèses sont désormais calqués sur les départements (Titre 1, article 1). De nombreux offices ecclésiastiques sont supprimés, tels les chanoines (Titre 1, article 20). Les paroisses sont réorganisées par le décret, les modes d’élection des évêques et des curés y sont aussi définis (Titre 2) : même les non-catholiques pourront participer à l’élection. L’évêque élu ne reçoit plus l’institution canonique du pape, mais de son métropolitain (Titre 2, article 19). De plus l’évêque élu sera tenu de prêter serment « d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout son pouvoir la constitution décrétée par l’assemblée nationale et acceptée par le roi » sous peine « d’être poursuivi comme perturbateur de l’ordre public. » (Titre 2, article 21) Maigre consolation, les bénéfices pécuniaires seront assurés par l’État.

Le pape refuse de reconnaître les évêques nommés selon les dispositions de la constitution civile du clergé. Il leur demande de choisir entre Rome et la révolution. L’Assemblée exige alors par décret du 27 novembre 1790 que le clergé prête un serment de fidélité à la constitution. La moitié des curés en poste acceptèrent de jurer. En revanche, sur les 82 évêques, moins d’une dizaine prêtèrent le serment (dont Talleyrand et Gobel, évêque de Paris…).

C’est une véritable fracture qui se glisse au sein même du clergé, avec d’une part les ralliés ou jureurs, et d’autre part les non-jureurs ou réfractaires. Le 10 mars 1791, le pape Pie VI envoie aux évêques de France le Bref Quod aliquantulum. Il y analyse sévèrement la constitution civile du clergé sans toutefois porter de condamnation. En revanche, le 13 avril 1791, le pape signe le Bref Charitas quæ dans lequel il est extrêmement clair. Voici ce qu’on peut y lire :

« La nouvelle Constitution du clergé est établie sur des principes émanés de l’hérésie ; qu’en conséquence, plusieurs de ses décrets sont hérétiques et opposés au dogme catholique ; que d’autres sont sacrilèges, schismatiques, destructifs des droits de la primauté de Notre Siège et de ceux de l’Église, contraires à la discipline ancienne et nouvelle ; qu’enfin, elle est imaginée et publiée dans le dessein d’abolir entièrement la religion catholique. Cette religion est en effet la seule dont le culte soit interdit, à laquelle on enlève ses légitimes pasteurs et ses antiques possessions, tandis qu’on laisse la liberté aux adeptes des autres sectes, avec la jouissance paisible de leurs biens. » (n°11)

En réalité, par ce texte (la Constitution civile) relativement court, l’Église devient en France à la totale merci de l’État et réorganisée de façon gallicane, c’est-à-dire sans jamais faire intervenir l’autorité du Saint-Siège.

Non seulement l’État tient les biens matériels et pécuniaires, mais il a le contrôle des nominations, demande le serment de fidélité et cherche à soustraire de la juridiction ecclésiastique (et notamment des tribunaux) le clergé français.

Les évêques et prêtres deviennent alors de simples citoyens élus à des fonctions cléricales. Ce sont des fonctionnaires d’État qui ont désormais la main-mise sur l’Église en France. Les libertaires sonnent la fin de la liberté de l’Église…

Face à l’application de la constitution civile du clergé, il faut placer là l’épisode vendéen qui concerne le bocage angevin, vendéen et une partie des Bretons. Il y eut de très belles victoires catholiques et royalistes, mais l’absence d’unité et de discipline donna finalement raison aux armées républicaines.

d) Les massacres de la Révolution

Après la condamnation par le Pape de la Constitution, de nombreux prêtres rétractent leur serment. Bien que ces épisodes eussent été tolérés dans un premier temps, la fuite du roi à Varennes en juin 1791, puis l’entrée en guerre en 1792 vont précipiter les choses. Les répressions vont s’aggraver.

Les prêtres réfractaires sont alors considérés comme des agitateurs et fauteurs de troubles à l’ordre public. Haïs des révolutionnaires, l’Assemblée législative vote une série de lois pour les pourchasser. Le 29 novembre 1791, un décret déclare suspect tout prêtre réfractaire. Ce dernier se voit par conséquent l’objet d’une surveillance plus particulière, son traitement pécuniaire lui est retiré, interdiction lui est faite d’utiliser les édifices publics religieux. Le 26 mai suivant, les prêtres non-jureurs sont proscrits. Il est possible désormais de les pourchasser. En juin 1792, les premières arrestations sont effectuées. Au mois de juillet, quelques prêtres sont assassinés. Un décret du 24 août 1792 somme les réfractaires  de quitter le pays dans les quinze jours.

En 1793, les églises sont transformées en temple de la déesse raison et de l’être suprême. Le calendrier grégorien est remplacé par un calendrier républicain. Le culte des décadi devait remplacer la sanctification du dimanche. Les prêtres fidèles sont obligés de se cacher et d’assurer leur ministère dans la clandestinité, tel le père Coudrin. D’autres choisissent de s’exiler à l’étranger. Pour ceux qui seront arrêtés, certains finissent sur l’échafaud, guillotinés et martyrs. Quelques autres sont emprisonnés. Mais nombreux sont ceux qui sont déportés vers la Guyane ou des îles plus proches. Les bateaux servent de prisons (c’est ce que l’on appelle les pontons) et les prêtres y meurent bien souvent en raison des conditions déplorables dans lesquelles ils sont traités. Enfin, le 18 septembre 1794, ne pouvant payer le clergé, la Convention décréta la première séparation de l’Église et de l’État. Le culte allait devenir libre (quoi qu’il fallût encore prêter serment de soumission à la république…), mais privé. Cependant, sous la poussée de l’opinion et du peuple, les conventionnels décrétèrent la restitution provisoire des églises non aliénées.

Parmi les prêtres insermentés qui méritent d’être connus, nommons le bienheureux Noël Pinot. Ordonné en 1770, il refuse de prêter serment, s’en justifie en chaire et encourage ses confrères à s’opposer à la loi. Obligé de vivre dans la clandestinité, il est arrêté début février 1794, conduit à Angers et guillotiné en ornements sacerdotaux le 21 février de la même année. Il monte à l’échafaud en récitant les prières au bas de l’autel. Pie XI le béatifie en octobre 1926. Impossible de ne pas évoquer aussi le bienheureux Joseph-Marie Gros. Nommé curé de Saint-Nicolas du Chardonnet avant la révolution, député aux États Généraux, il s’oppose aux lois iniques qui s’attaquent à l’Église. Il refuse de prêter serment en 1790 et entraîne son clergé à le suivre. Saint-Nicolas restera fidèle! Il est emprisonné en janvier 1791 puis est victime des massacres de septembre 1792. Martyr, il est béatifié par Pie XI en octobre 1926.

IV – Le concordat

Après la séparation de l’Église et de l’État, l’anarchie la plus complète règne en France. Les opinions dans les affaires ecclésiastiques sont nombreuses et variées. Les haines et les règlements de compte enveniment la situation. Il y a eu très peu d’ordinations pendant la période révolutionnaire. Le clergé vieillit donc. À cela, il faut ajouter que la disparition des congrégations religieuses a augmenté un peu plus le chaos politique : écoles, universités, hôpitaux et œuvres de charité faisaient le ciment de la vie politique et étaient régis par ces congrégations. Aussi, face à ce désordre, Bonaparte voudrait remettre un peu d’ordre, redonner une certaine unité nationale. D’autant que le clergé constitutionnel est toujours considéré par les réfractaires comme hérétique et schismatique. À partir du mois de juin 1800, le premier consul envoie des propositions au pape Pie VII. Le pape accepte volontiers d’en discuter.

Cependant, il faut bien comprendre que si Bonaparte voit bien que seule la religion catholique peut redonner à la France une unité et un certain équilibre social, il compte garder les principes révolutionnaires. Ce que l’Église ne peut accepter. Aussi, les négociations entre les deux parties seront longues et fastidieuses. Pour discuter, Bonaparte avait de son côté son frère Joseph et l’abbé Bernier, plutôt fourbe. Talleyrand et Fouché (tous deux prêtres…) s’en mêlèrent. Du côté du pape, ce furent Mgr Spina et le père Caselli qui défendirent la cause romaine. Ils étaient soutenus par les éminents cardinaux Consalvi et Caprara.

Il y eut 21 projets successifs. Les principaux points d’achoppement sont le culte public (ou privé), la démission des évêques réfractaires (pour remplacer tout le clergé) et la reconnaissance du catholicisme comme religion d’État. Les disputes vont porter sur les expressions elles-mêmes : « religion d’État », « religion dominante de la nation », « religion du gouvernement et de la grande majorité des français ». Les discussions furent âpres. Le texte portera finalement « religion de la grande majorité des Français ».

Le 14 juillet 1801, alors que les partis ont réussi à trouver un texte d’entente, la cérémonie des signatures doit avoir lieu. Avant de signer, le cardinal Consalvi relit rapidement le texte et s’aperçoit qu’il a été changé! Les discussions reprennent aussitôt, et c’est le 16 juillet 1801 que le Concordat entre Pie VII et la France est signé. Composé de 17 articles assez brefs, le texte est vague. Il concerne surtout les nominations d’évêques faites par le consul quoiqu’investis par le pape. Les curés, nommés par l’évêque, devront être agréés de l’État. Tous devront prêter serment de fidélité. En revanche, rien n’est dit sur les biens ecclésiastiques, les écoles, ni mêmes les ordres ou congrégations religieuses.

Côté français, la réception est longue et divise le gouvernement et il faudra présenter le concordat sous un beau jour pour le faire entériner par le parlement. Le texte est finalement promulgué le 8 avril 1802. En même temps, Bonaparte promulgua ses articles organiques sans en avoir référé au pape. C’est un règlement de police (77 articles) censé régler l’application du Concordat. En réalité, le premier consul abuse de son pouvoir et s’attribue des droits qu’il n’a pas. C’est un véritable retour au gallicanisme. Les Quatre articles de 1682 doivent être enseignés dans les séminaires, Bonaparte, réduit le nombre de diocèses à 60 (contre 135 dans l’Ancien Régime et 83 avec la constitution civile du clergé) ce qui est une vraie révolution, les biens ecclésiastiques sont définitivement perdus. En exagérant et en faussant l’interprétation du Concordat, le consul a finalement poussé le clergé français à se tourner de plus en plus vers Rome. Le gallicanisme de Bonaparte a finalement tué le gallicanisme clérical !

Après la signature du concordat, tous les évêques doivent démissionner. Le premier consul est chargé de constituer un nouveau clergé en fonction de la nouvelle carte des diocèses. Les évêques constitutionnels vont tous démissionner sans poser de véritables problèmes, même s’il répugnera au pape de devoir par la suite en investir certains sur demande de Bonaparte. La difficulté viendra des évêques réfractaires. 36 sur 82 refusèrent la démission, criant à l’injustice et voulant honorer leur serment de fidélité au roi. C’est au nom du bien de la religion que Pie VII, leur demandant de sacrifier leur intérêt propre, les déposa le 29 novembre 1801. Tous finirent par se soumettre sauf deux. Ces derniers s’obstinèrent et fondèrent la Petite Église, schismatique et anti-concordataire. Mais il ne sacrèrent pas, et cette église mourut sous Léon XIII.

Parmi le nouveau clergé concordataire, Bonaparte nomme 12 évêques de l’ancienne église schismatique. Pie VII n’est pas enthousiaste, mais il accepte pour la paix de l’Église en France et à la condition qu’ils rétractent leur serment. S’ensuit alors une dernière bataille car six d’entre eux refusent. C’est encore l’abbé Bernier qui va servir d’intermédiaire. Aura-t-il menti une fois de plus ? En tout cas le pape accepte les pseudos-regrets de ces évêques malgré l’incertitude de leurs rétractations. On peut alors dire que la paix et l’unité sont enfin revenues en France.

Conclusion

Il est certain que la révolution dite française n’a pu se produire historiquement que grâce à la conjoncture de certains faits et notamment de problèmes financiers. Mais là n’est pas la vraie cause. C’en fut plutôt l’occasion. La cause de la révolution, c’est l’esprit des Lumières, esprit de revendication et d’indépendance distillé délicatement mais efficacement dans toute la France et même dans le clergé. Et là où ce même clergé aurait dû servir de paratonnerre à ce mouvement, il en fut plutôt le lit et cela s’est retourné contre lui.

Gallican et donc « indépendant » de Rome, le clergé français n’a pu ensuite que subir les persécutions d’un gouvernement qu’il avait poussé dans la révolte.  De libre qu’il était (à tout point de vue), il est devenu entièrement dépendant d’un pouvoir mené par des idées athées et laïques. D’où les persécutions qui s’ensuivirent et qui sévissent aujourd’hui encore.

En négociant le concordat, le pape Pie VII ne pourra même pas invoquer la cause gallicane pour sauver l’Église de France. Ce qui est paradoxal. En revanche, ce concordat aura au moins permis de réaffirmer les droits et la souveraineté de l’Église et de permettre la renaissance du catholicisme en France. Et tout paradoxalement encore, le clergé autrefois gallican, deviendra ultramontain par opposition aux libéraux qui chercheront sans cesse une collusion avec les principes révolutionnaires et les gouvernements anti-cléricaux. Lorsque en 1811 Napoléon convoquera un concile national pour affirmer son pouvoir et s’opposer au pape qui l’a excommunié, il subira un échec cuisant : tous les évêques prêteront serment à Pie VII. Pensant être devenu le maître de l’église en France par le concordat, Bonaparte a en réalité enterré le gallicanisme et le conciliarisme.

Il n’empêche que la révolution française, loin d’avoir résolu les différentes crises sociales et politiques, n’a fait qu’affaiblir le pouvoir et le peuple en lui ôtant sa substance religieuse et catholique.

De ce point de vue, le Concile Vatican II est analogiquement pour l’Église ce que fut la révolution française au pouvoir royal : en donnant libre cours aux revendications libertaires, le concile a été (selon l’expression du cardinal Ratzinger) « 1789 dans l’Église » : il l’a vidé de sa substance et de son pouvoir pour la livrer aux mains de ses ennemis.

Abbé Gabriel Billecocq
Professeur à l’Institut universitaire Saint-Pie-X


[1] Mgr Jean-Joseph Gaume, La Révolution, Recherches historiques, Éditions Pamphiliennes, 2015, p. 18.


Bibliographie :

Augustin Barruel, Mémoire pour servir à l’histoire du jacobinisme, DPF, 1974.

Mgr Jean-Joseph Gaume, La Révolution, Recherches historiques, Secrétariat Société Saint-Paul, 1877, réédité en 2015 aux éditions pamphiliennes.

Père Pierre-Joseph de Clorivière, Études sur la révolution, Fideliter, 1988.

Pierre Gaxotte, La Révolution française, Fayard, 1928.

Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana, 2014.

Philippe Buchez et Pierre-Célestin Roux-Lavergne, Histoire parlementaire de la révolution française ou journal des assemblées nationales depuis 1789 jusqu’en 1815, tome 2, Paulin, 1834.

Prosper Duvergier de Hauranne, Histoire du gouvernement représentatif en France, journal complet des assemblées législatives, Paris, 1834.

Pour le concordat, j’ai beaucoup emprunté à Monsieur l’abbé Portail (FSSPX). cf. notamment l’article qu’il a écrit dans la revue Civitas, n°68, juin 2018, p. 36-49.


Les autres contributions du symposium international de Tokyo sur la Révolution paraîtront prochainement :

  • Introduction, par l’abbé Thomas Onoda.
  • Conférences :
    • « Les premiers 14-Juillet », par Philippe Pichot-Bravard (univ. Brest).
    • « Vandalisme et émergence de l’idée de patrimoine », par le père Jean-François Thomas.
    • « Jean-Jacques Rousseau, grand-père de la Révolution », par l’abbé Patrick Summers.
    • « Relations de l’État et de l’Église pendant la Révolution », par l’abbé Gabriel Billecocq.
    • « Au nom du peuple », par Marion Sigaut.
    • « Chouanneries, une guerre de la fidélité », par Anne Bernet.
    • « Joseph de Maistre et la contre-révolution », par Yohei Kawakami (univ. Senshu).
    • « L’indépendance des États-Unis : une Révolution avant la Révolution ? », par Jason Morgan (univ. Reitaku).
    • « Tribunaux révolutionnaires et jugements du roi et de la reine », par Paul de Lacvivier (univ. Kokugakuin).
    • « Réception de la révolution française au Japon depuis l’ère Meiji », par Junichi Hirasaka.
    • « Catholiques de Vendée : les premiers opposants au Nouvel Ordre Mondial naissant », par Michael Matt (The Remnant).
  • Conclusions :

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