Histoire

Vandalisme et émergence de l’idée de patrimoine. Contribution au Symposium international de Tokyo sur la Révolution (13-14 juillet 2019)


Les 13 et 14 juillet 2019, le symposium international de Tokyo sur la Révolution française se déroulait sous la direction de Paul de Lacvivier (univ. Kokugakuin) et de l’abbé Thomas Onoda (FSSPX), sous le haut-patronage de Monseigneur le Duc d’Anjou, et avec le soutien de Vexillia Galliae, du Centre d’Études Historiques (CEH) et du Cercle d’Action Légitimiste (CAL).
Un an après, nous publions les actes de ce symposium. Ils paraissent hebdomadairement, chaque mardi.


La dévastation tragique — incendie fulgurant et troublant de la cathédrale Notre-Dame de Paris dans la soirée du 15 avril 2019 — ne s’était pas encore produite lorsque je choisis le thème de cette communication. Il se trouve que, depuis, les multiples débats et questions font revenir au devant de la scène l’idéologie révolutionnaire la plus abrupte, tant la France, de par son régime politique, est abîmée à jamais par la mentalité de la table rase et de la nouveauté cultivée pour elle-même. Durant la révolution, le P. Pierre de Clorivière, — qui fut jésuite avant la suppression de la Compagnie de Jésus par Clément XIV le 21 juillet 1773 et qui fut appelé à refonder la même Compagnie en France après sa restauration par Pie VII le 7 août 1814 —, écrivit une étude sur la Déclaration des Droits de l’Homme[1]. Il y souligne le point suivant : « On est surpris que dans une Déclaration où tous les droits de Dieu sont lésés, compromis, comptés pour rien, on ose rappeler la présence de l’Être Suprême. Serait-ce par dérision ? On ne saurait l’imaginer, nos législateurs n’ont point prétendu invoquer le Dieu qu’ils méconnaissent. Il est plus croyable que, par l’Être Suprême, ils ont entendu la divinité monstrueuse de Spinoza, composé bizarre de l’assemblage de tous les êtres, ou le Mauvais principe des Manichéens, ou le génie malfaisant qu’une secte, qui joue un grand rôle dans cette Révolution, appelle son Grand Maître Invisible. »[2]

En effet, le vandalisme à la française ne peut se comprendre que situé au sein d’un programme parfaitement organisé pour créer une ère nouvelle mettant à bas les anciens principes, Dieu et le Roi. Il n’est pas accidentel, il ne provient pas du débordement de la populace. Il est un programme religieux ayant pour but de « décatholiciser » la France et de remplacer la vraie religion[3] par des religions de rechange qui correspondent à trois étapes distinctes[4] : le culte de la déesse Raison sous la Constituante[5], celui de l’Être Suprême sous Robespierre[6], et celui de la théophilanthropie qui met sur le même plan Dieu et les hommes[7]. Louis Réau rapporte : « Le culte de la déesse Raison fut inauguré à Paris par une fête célébrée à Notre-Dame. Une actrice demi-nue, coiffée du bonnet rouge, symbolisait la Liberté. Assise sur un trône de verdure, « au lieu et place de la ci-devant Sainte Vierge », elle reçut les hommages des républicains. Amenée à l’Assemblée nationale, la « nouvelle Vierge », si l’on peut se permettre cette antiphrase, fut accueillie par le président et les secrétaires qui lui donnèrent « un baiser fraternel au milieu des applaudissements »[8] Robespierre, opposé à cet athéisme, s’inspira de Voltaire et du Vicaire savoyard de Jean-Jacques Rousseau ; sa religion se résuma à un seul dogme : « le peuple français reconnaît l’existence de l’Être Suprême et l’immortalité de l’âme. »[9] Prit la suite, la secte franc-maçonne des théophilanthropes avec Louis-Marie de La Réveillière-Lépeaux, un des premiers directeurs du Directoire[10]. Cette nouvelle religion est humanitaire et fraternelle, sans dogmes, sans sacerdoce. Depuis, elle n’a pas cessé de s’étendre. Ceci pour rappeler dans quel contexte se développe le vandalisme révolutionnaire qui s’étendra d’ailleurs au-delà de la Révolution, du Directoire, de l’Empire et qui se poursuivra durant la Restauration et au-delà.

Pour mon propos, permettez-moi de reprendre les mots de Charles de Montalembert : « Le vandalisme moderne est non seulement à mes yeux une brutalité et une sottise, c’est de plus un sacrilège. Je mets du fanatisme à le combattre, et j’espère que ce fanatisme suppléera auprès de vous à la tiédeur de mon style et à l’absence complète de toute science technique. »[11]

I – Les précurseurs des vandales de la Révolution

Utiliser le mot de précurseurs semblerait conduire à magnifier une œuvre pie, comme on parle de saint Jean-Baptiste, précurseur du Messie. Il n’en est rien. La France connut les ravages de la Guerre de Cent ans pendant lesquelles les destructions furent considérables mais guidées par des motifs purement politiques et stratégiques. Les précurseurs des révolutionnaires sont les Huguenots, inspirateurs d’ailleurs pour une part de la Révolution de 1789[12]. Le vandalisme qu’ils opérèrent à large échelle depuis le règne de François Ier jusqu’à l’Édit de Nantes sous Henri IV, ceci essentiellement dans les provinces du Nord, du Centre et du Midi, est toujours guidé par la haine du catholicisme et le désir du sacrilège. Le juriste Étienne Pasquier écrira à l’époque : « Où le huguenot est le maître, il ruine toutes les images, démolit les sépulcres, enlève tous les biens sacrés voués aux églises. »[13] L’année la plus calamiteuse, encore plus, selon Louis Réau, que 1793, fut 1562. Ronsard en trembla, craignant la punition d’un Dieu d’Apocalypse :

« Dès longtemps les escrits des antiques prophètes,
Les songes menaçants, les hideuses comètes,
Nous avaient bien prédit que l’an soixante et deuxième
Rendrait de tous côtés les Français malheureux. »[14]

Ce vandalisme fut, comme à la Révolution, unilatéral. Les plaies n’en sont pas  pansées dans les régions affectées[15].

II – Les décrets et les lois sous le régime révolutionnaire

Le célèbre mot de l’abbé Grégoire sur le vandalisme[16] est constamment cité : « Je créai le mot pour tuer la chose. »[17] Cependant, il participa activement à toutes les étapes de la Révolution[18]. Étienne Calvet, fondateur du musée d’Avignon, écrivit en 1797 ces lignes qui résument bien l’acharnement révolutionnaire : « Nous voyons les portes de la ville démolies, les créneaux de ses murailles abattus, le palais des papes saccagé, les églises détruites, toutes les cloches sans exception[19] mises en pièces et enlevées, plusieurs couvents d’hommes et de filles rasés, les autres dévastés, les tombes ouvertes, les corps des personnages les plus respectables, des papes, des cardinaux, des évêques, profanés ; les arbres mêmes de nos promenades portent l’empreinte de cette férocité ; » ces désordres ne doivent pas être « imputés à la fureur momentanée d’une populace frénétique… C’est avec réflexion et sang-froid qu’on a attaqué nos monuments d’architecture et de sculpture. Des maçons étaient payés à la journée pour anéantir les ouvrages de l’art »[20]. L’historien Aulard défendra la thèse de la défense républicaine pour minimiser les destructions du régime. Jean-François Robinet, autre révolutionnaire du XIX° siècle, précisera que les destructions ne sont que de « justes représailles à la guerre impie suscitée contre la France par les chefs de la catholicité ».[21] Le vandalisme jacobin se caractérise ainsi : «  Il ne fut point l’effet de mouvements tumultuaires, mais l’application voulue, légalement et administrativement organisée, d’une doctrine gouvernementale ».[22] Le premier décret ouvrant la porte au vandalisme fut celui du 20 juin 1790, invitant à détruire les vestiges de féodalité, les armoiries aristocratiques et les monuments qui célèbrent la servitude, précisant aussitôt, de façon contradictoire, qu’aucun citoyen n’avait par ailleurs le droit d’attenter à la décoration des temples et des lieux publics. Ces premières mesures furent complétées, à un rythme accéléré, par d’autres décrets, à partir de septembre 1792. Le ministre de l’Intérieur en 1793, Dominique-Joseph Garat, avait beau jeu d’ajouter, à toutes ces directives de destruction que « les beaux-arts sont plus encore les enfants de la Liberté que ceux du Despotisme. Prenons garde, en détruisant les symboles du Despotisme, de ne point ravager le sanctuaire des arts. »[23] En fait, le climat révolutionnaire est celui de l’envie et de la haine. Les lois françaises, depuis cette époque, ont pour caractéristiques d’être nombreuses et ensuite de ne point être appliquées. Lorsqu’en 1790 s’opère la nationalisation des biens du clergé, la fortune immobilière est de plusieurs milliards, estimation qui ne prend pas en compte la richesse historique du contenu des églises et des châteaux : tableaux, statues, tapisseries, orfèvrerie, objets décoratifs, meubles etc. Le 13 octobre, le décret suivant fut édicté : « Art.3. L’Assemblée Nationale charge les Directoires des Départements de faire dresser l’état et de veiller par tous les moyens qui sont en leur pouvoir à la conservation des monuments, églises et maisons devenus domaines nationaux. »[24] L’application fut exactement l’inverse, puisque, dans le même temps, était donné l’ordre de détruire tout ce qui pouvait rappeler le régime déchu honni. De 1792 à 1795, deux commissions furent créées en faveur de œuvres d’art : la Commission des Monuments et la Commission temporaire des Arts. Au fur et à mesure que les commissions , maladie désormais française, voyaient le jour, les destructions se multiplièrent. Ameilhon, un des commissaires, fut, par exemple, le premier à brûler des centaines de registres d’archives ecclésiastiques sur la place Vendôme. De même un autre commissaire chargé de la protection des arts, Poirier, présidera, en août 1793, à la violation et à la destruction des mausolées royaux de Saint-Denis rebaptisé Franciade. Le vandalisme, organisé par l’État, devint ainsi une vague notion qui permettait parfois d’accuser les abus sans en dénoncer les causes puisqu’une telle critique aurait été une inacceptable attaque contre le système révolutionnaire.[25] À la rage de rompre avec le passé, s’ajouta l’appât du gain pour récupérer les métaux précieux des trésors afin de financer les guerres, le plomb et les métaux lourds  pour fabriquer des armes, les pierres et les marbres pour les utiliser dans de nouvelles constructions. Les rapports de l’abbé Grégoire et ses protestations choisies envers le vandalisme ne sont que des coups d’épée dans l’eau, ceci volontairement, puisque, dans le même temps, il appuya la décision du Comité de Salut public de détruire la nécropole royale de Saint-Denis, se réjouissant « qu’à Franciade la massue nationale ait justement frappé les tyrans jusque dans leurs tombeaux ».[26]

Souvent il est mis au compte de la Révolution la création du Musée du Louvre. Or ce Muséum National avait été fondé, comme exposition d’une partie des collections royales, par le comte d’Angivillers, directeur des bâtiments de Louis XVI, ceci dès l’accession au trône du souverain en 1774. Le musée aurait dû ouvrir ses portes en 1787, mais cela fut empêché par l’instabilité politique.[27] La Convention inaugura le musée le 8 novembre 1793. La III° république engendra le mensonge devenu thèse officielle, mensonge gravé dans la pierre à l’entrée de la Galerie d’Apollon : « Le musée du Louvre fondé le 16 septembre 1792 par décret de l’Assemblée Législative a été ouvert le 10 août 1793 en exécution d’un décret rendu par la convention nationale ». Le nom exact était « Muséum central des arts de la république ». Les arts de ladite république se résumaient à l’amoncellement des débris échappés au vandalisme à Paris et dans les provinces. Gustave Gautherot baptise très justement ce musée « la prison des chefs-d’œuvre confisqués par la Nation ».[28] En 1791, la Convention avait décidé la création du Musée des monuments français recueillant les épaves des abbayes, des couvents, des communautés religieuses fermés et détruits pour un grand nombre. Alexandre Lenoir[29] en fut le conservateur, seule figure de cette époque troublée à avoir essayé de sauver ce qui pouvait l’être encore. Il fut même blessé par des sans-culottes en s’interposant pour protéger le mausolée de Richelieu provenant de son château du Poitou. Il fut le témoin de la profanation de Saint-Denis et sa présence permit de récupérer bien des tombeaux, et même des ossements. Louis XVIII le chargera d’ailleurs, en 1816, de reconstituer la nécropole royale telle que nous la connaissons aujourd’hui. Lenoir fut très affecté par cette époque terrible et par la disparition de son musée, unique en son genre, qui va inspirer le courant romantique.[30] Il essaiera de sauvegarder, en vain, les richesses d’orfèvrerie religieuse des trésors et sacristies saisies par la Convention, mais tout, ou presque, finit à la fonte pour financer les campagnes militaires révolutionnaires. Ainsi disparurent, notamment, les fabuleux trésors de Saint-Denis et de la Sainte-Chapelle[31], à l’exception de quelques pièces recueillies au Louvre, au Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale, au Muséum d’histoire naturelle à Paris, ou parties à l’étranger.[32] Rien n’échappa au dépeçage systématique entre 1790 et 1794. Les bibliothèques et les archives connurent un sort tragique identique. Le vandalisme s’attaqua aussi aux noms des villes et des villages, éliminant tout relent de superstition religieuse, et également aux patronymes[33], et bien sûr au calendrier. Le vandalisme révolutionnaire ne laissa rien intact derrière lui, son but étant vraiment d’instaurer une nouvelle ère. Rien d’accidentel dans les débordements, mais au contraire le résultat d’une politique parfaitement calculée, froide, n’éprouvant de pitié ni pour les hommes ni pour leurs œuvres.

III – Quelques exemples de vandalisme organisé

Philippe Muray, dans Le XIX° siècle à travers les âges[34], voit dans le déménagement du cimetière des Saints-Innocents, dans le centre de Paris, en 1786, l’annonce prémonitoire de l’enterrement de la monarchie et du catholicisme. Comme quoi, de simples travaux de voirie ne sont pas innocents… Certes, les corps et les ossements furent transportés dans ce qui est appelé depuis, les catacombes de Paris[35], mais le geste préfigure celui, sacrilège, des révolutionnaires qui, partout, violèrent les tombeaux royaux, princiers, ecclésiastiques, et détruisirent les représentations catholiques du sacré.

a) L’abbatiale de Saint-Denis

Le culte ou le respect des morts et des ancêtres, présent dans toute religion et dans toute culture, fut soudain rayé de la carte par les révolutionnaires. Un des plus acharnés, précurseur dans la curée, fut Pierre Sylvain Maréchal[36] qui, en 1792, va proposer une motion exprimé dans les termes suivants : « Tandis que nous sommes en train d’effacer tous les vestiges de la royauté, comment se fait-il que la cendre impure de nos rois repose encore intacte dans la ci-devant abbaye de Saint-Denis ? Nous avons fait main basse sur les effigies de tous nos despotes. Aucune n’a trouvé de grâce à nos yeux. Statues, bustes, bas-reliefs, tableaux, dessins, gravures, toute image de roi a été soustraite à notre vue et nous souffrons que leurs reliques, précieusement conservées dans des cercueils de plomb, insultent aux mânes de quantité de bons citoyens, morts pour la défense de la patrie et de la liberté, et qui à peine ont obtenu les honneurs de la sépulture ». [37] Le journaliste Lebrun va lui emboîter le pas le 6 février 1793, en publiant, dans Le Moniteur, une ode pour réclamer la mise en application de ce geste patriotique :

« Purgeons le sol des patriotes
Par des rois encore infecté.
La terre de la Liberté
Rejette les os des despotes.
De ces monstres divinisés
Que tous les cercueils soient brisés ! »[38]

Bertrand Barère[39], le 31 juillet 1793, proposera de fêter dignement l’anniversaire de la prise du palais des Tuileries le 10 août 1792 en détruisant les tombeaux des rois. Il fallait tuer les morts et le mot d’ordre était désormais « sus aux cadavres » : «  Les porte-sceptre, qui ont fait tant de maux à la France et à l’humanité, semblent encore, même dans la tombe, s’enorgueillir d’une grandeur évanouie. La main puissante de la République doit effacer impitoyablement ces épitaphes superbes et démolir ces mausolées qui rappelleraient des rois l’effrayant souvenir. »[40] Par Dom Germain Poirier, – bénédictin de Saint-Maur, archiviste de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés puis de l’abbaye de Saint-Denis, membre de la Commission des monuments en 1790, gagné aux idées de la Révolution-, nous connaissons le détail du déroulement des journées sacrilèges et dévastatrices du 6 au 8 août 1793, puis des semaines qui vont suivre jusqu’au début de 1794. Une toile d’Hubert Robert[41], peinte alors que les exhumations se poursuivaient[42], présente un spectacle romantique, alors que la réalité fut toute différente. Dom Poirier rédigea un Rapport sur l’exhumation des corps royaux à Saint-Denis en 1793[43], rapport que nous connaissons grâce à Dom Druon qui assista également à la violation des sépultures et à la profanation des cadavres[44]. Du 6 au 8 août, les tombeaux furent démantelés, sauvés en grande partie par Alexandre Lenoir comme nous l’avons signalé. Quelques corps seulement furent exhumés. Lors de la deuxième vague, du 12 au 25 octobre 1793, tous les autres corps furent exhumés, dont un grand nombre le 16 octobre, jour de l’assassinat de la reine Marie-Antoinette. Le plomb des cercueils fut envoyé à la fonte pour fabriquer des balles. Les corps de 46 rois, 32 reines, 63 princes du sang, 10 serviteurs de la Couronne et 24 abbés de l’abbaye — dont l’abbé Suger — sont dépecés, car momifiés en ce qui regarde les souverains, tournés en dérision, puis jetés dans deux fosses communes le long du parvis, là où se situait le cimetière des moines, recouverts de chaux vive et de terre. Henri IV, très bien conservé, fut exposé au public pendant deux jours, chacun voulant emporter un souvenir. Le seul cadavre qui ne fut pas profané fut celui de Turenne, d’abord transféré au Jardin des Plantes, puis au Musée des Monuments français, et enfin, sous Napoléon, à l’église Saint-Louis des Invalides. Les ouvriers s’acharnent sur Marie de Médicis. Anne d’Autriche est retrouvée vêtue de son habit du tiers ordre franciscain. Les vandales sacrilèges n’oublieront pas d’aller chercher, au Carmel tout proche, la dépouille de Madame Louise de France, fille de Louis XV, morte en odeur de sainteté comme prieur du couvent. Les révolutionnaires prirent soin de profaner aussi les cœurs et les entrailles des souverains souvent déposés dans des sanctuaires prestigieux du royaume, notamment, depuis Anne d’Autriche, dans l’église du Val-de-Grâce et aussi à l’église Saint-Louis des Jésuites en ce qui concerne les cœurs de Louis XIII et de Louis XIV.. Certains cœurs furent utilisés par des peintres révolutionnaires pour composer une couleur brune nommée « terre de momie ».[45] L’ignoble ne connaît aucune limite durant cette période révolutionnaire.

Les Jacobins voulurent dresser une pyramide en l’honneur de Marat à l’entrée de Franciade, pyramide qui aurait été composée de tous les débris des tombeaux royaux. Une fête civique avait été prévue afin d’honorer les cendres des deux martyrs de la Révolution, Marat[46] et Lepeletier de Saint-Fargeau[47]. Ces projets ne virent pas le jour, providentiellement. L’abbatiale des rois, dépouillée de tous ses trésors[48], éventrée, privée de sa toiture de plomb, mutilée en ses statues et sculptures, en ses vitraux et peintures, était normalement promise à disparaître.

b) Notre-Dame de Paris

Le premier acte de vandalisme contre la cathédrale eut pour origine une déplorable erreur historique commise par l’érudit bénédictin de Saint-Maur, Dom Bernard de Montfaucon en 1729.[49] Il affirma que la galerie des Rois qui décorait la façade représentait les premiers rois de France. A l’exception de la cathédrale Notre-Dame de Reims où cela est le cas car elle est le sanctuaire des sacres, cela n’est vrai dans aucune autre cathédrale. Ces rois sont ceux de Juda, ancêtres de la Vierge et du Christ, formant une sorte d’Arbre de Jessé en ligne de bataille. Les sans-culottes furent sans pitié pour ces prétendus Mérovingiens et Capétiens. Le 23 octobre 1793, la Commune de Paris décida la destruction complète de ces immenses statues et non point seulement leur décapitation. Elles furent précipitées sur le parvis où elles se brisèrent. Le patriote Palloy distribua certaines têtes et le reste fut enseveli sous des immondices, en fait des latrines publiques. [50]  Le peintre David offrit, là encore, ses services, projetant un monument à la gloire du peuple en érigeant, sur le terre-plein du Pont-Neuf d’où venait d’être délogée la statue d’Henri IV, une statue représentant  le Peuple français en Hercule reposant sur un socle composé par les statues des anciens tyrans, à la fois les rois et les prêtres. David déclare : « La statue gigantesque, dont la victoire fournira le bronze, aura quinze mètres de hauteur. Le Peuple portera d’une main les figures de la Liberté et de l’Égalité ; il s’appuiera de l’autre sur sa massue. Sur son front, on lira : Lumière, sur sa poitrine : Nature, sur ses bras : Force, sur ses mains : Travail. »[51] L’artiste ne pourra pas réaliser son projet, autre intervention providentielle qui permet à Henri IV de retrouver sa place sous la Restauration.

Ceci ne fut que le premier acte. Depuis l’incendie de Notre-Dame, des voix se sont élevées, parmi les héritiers républicains des sans-culottes, pour oser affirmer que la cathédrale fut sauvée par la Révolution. La réalité est toute autre. Il faut imaginer l’île de la Cité jusqu’à ce cataclysme. Sur cet espace minuscule, se dressaient dix-sept églises.[52] Deux furent épargnées : Notre-Dame et la Sainte-Chapelle, ceci miraculeusement. Les seules sculptures épargnées sur les façades de Notre-Dame furent les bas-reliefs qu’un pseudo scientifique, Dupuis, interpréta comme des illustrations de son système planétaire. Tout le reste fut impitoyablement cassé, martelé, arraché.  L’unique statue qui échappa mystérieusement à la fureur iconoclaste fut la Sainte Vierge du trumeau du portail du croisillon nord qui perdit tout de même l’Enfant Jésus qu’elle tenait dans ses bras.[53] Ceci est très symbolique évidemment, encore plus en regardant les dégâts de l’incendie, incendie qui épargna les œuvres d’art à l’intérieur et notamment la statue gothique de Notre-Dame au pilier. De tous les monuments funéraires du Moyen Age présents dans la métropole, il n’en subsista qu’un après la rafle des sans-culottes et la transformation de l’église en temple des trois nouvelles religions dont nous avons parlé précédemment. En 1792, la flèche de Notre-Dame fut abattue car elle était contraire à l’égalité. En 1793, ce fut le tour de la flèche de la Sainte-Chapelle, qui était demeurée jusque-là. Elle avait, en plus, le tort d’être surmontée d’une couronne, non point celle des rois mais celle du Christ dont la relique insigne, achetée par saint Louis, reposa dans cette chapelle jusqu’en 1791, date à laquelle le sanctuaire, fermé depuis 1790, fut dépouillé de tous ses trésors qui partirent à la fonte pour la plupart d’entre eux. La Sainte Couronne survécut, comme objet de curiosité[54]. Une pétition, adressée au ministère des Travaux publics le 14 mai 1793, s’indignait : « La flèche du clocher de la ci-devant église dite Sainte-Chapelle est entourée d’une vaste couronne qui semble n’être élevée si haut que pour éviter d’être foulée aux pieds. Mais les républicains atteindront et renverseront tout ce qui leur rappellera le règne de la tyrannerie (sic). »[55] En décembre 1793, Notre-Dame fut mise en vente et Saint-Simon[56], futur fondateur d’une nouvelle religion, se porta acquéreur afin de la démolir. Un problème administratif, providentiel, arrêta la transaction. Lenoir sauva quelques sculptures importantes, comme celles du maître-autel par Coustou ainsi que le mausolée du comte d’Harcourt par Pigalle, en les transportant dans son musée. Les Mays et autres tableaux , les tapisseries, le mobilier liturgique, tout est vidé. En 1794, la cathédrale devient un magasin de vivres. La Sainte-Chapelle était, quant à elle, depuis 1790, un dépôt de farines. Sous le Directoire, elle servira de dépôt d’archives. Il fallut attendre 1853 pour que l’architecte Lassus lui redonne une flèche, un trou béant l’ayant remplacé durant toutes ces décennies. Quant à Viollet-le-Duc, il sauva in extremis une cathédrale prête à s’écrouler. Aucune réparation d’envergure ne prit ensuite soin de Notre-Dame, ceci jusqu’à nos jours, car la république n’était pas le Second Empire.

IV – Naissance du patrimoine

Dans un tel contexte délétère, parler de sauvegarde du patrimoine paraît être une gageure. Lorsque les valeurs anciennes ne sont pas remplacées par des valeurs plus nobles, ou au moins égales, le vandalisme ne supporte aucune excuse.

Il faut remarquer, en ce qui concerne la Révolution[57], que les décrets et les lois pour lutter contre le vandalisme n’ont pas manqué. Louis Réau en donne une liste quasi complète [58] : Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de l’Assemblée législative, procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention nationale, procès-verbaux de la Commune générale des arts et de la Société populaire et républicaine des arts, procès-verbaux de la Commission des monuments, procès-verbaux de la Commission temporaire des arts. La confiscation systématique et la nationalisation des biens mobiliers et immobiliers de la royauté, du clergé et de la noblesse émigrée oblige la république à un certain devoir de conservation, sauf en ce qui concerne les attributs et insignes honnis de la monarchie, ce qui met aussitôt en péril les intentions « pieuses » des législateurs. Pourtant un grand nombre de ces derniers, aristocrates, grands bourgeois et ecclésiastiques, étaient des hommes cultivés, formés dans les collèges et les universités les plus réputés d’Europe, amateurs d’art, de littérature, de poésie, de musique. Comme tout régime dictatorial après elle, la république est très tatillonne en ce qui regarde l’administration, et elle fait dresser des inventaires précis de tous ces biens afin de les trier. Ce qui serait conservé irait dans des musées, le reste serait vendu, en France et à l’étranger, sans parler des métaux précieux et lourds qui seraient fondus.

Devant l’incurie et les contradictions des législations invitant tantôt aux destructions, tantôt à la conservation, quelques hommes essayèrent de lutter courageusement, risquant leur tête auprès des jacobins les plus forcenés. Aussi présenteront-ils officiellement les outrages comme des actes des contre-révolutionnaires aristocrates, puisqu’ils ne pouvaient pas désigner les vrais coupables : les fonctionnaires et la populace (et non point le peuple). Ainsi l’archéologue Aubin- Louis Millin de Grandmaison[59] qui est l’inventeur du terme « monuments historiques ». Il sera plus tard emprisonné mais aura la vie sauve et deviendra président du Conservatoire de la Bibliothèque nationale. Ainsi, Joseph Lakanal[60], pourtant révolutionnaire convaincu, qui, le 6 juin 1793, dénonce à la Convention les vandales. Bien sûr, les défenseurs de la Révolution ne manqueront pas de citer l’abbé Grégoire, alors évêque constitutionnel de Blois, dont nous avons déjà parlé. Pourtant ses trois textes s’opposant au « vandalisme », -terme dont on lui attribue la paternité en 1793-, ne sont rédigés qu’en 1794, d’août à décembre.[61] Son vicaire général, Gabriel Vaugeois, fut en fait plus actif que lui. L’abbé reste prudent  et, lui aussi, souligne que les destructions sont l’œuvre des « machinations contre-révolutionnaires ». Comme quoi les « fake news » ne sont pas une méthode nouvelle en politique. N’oublions pas qu’il fut une des voix les plus violentes pour soutenir le régicide. Il affirma : « Tout ce qui est royal ne doit figurer que dans les archives du crime. La destruction d’une bête féroce, la cessation d’une peste, la mort d’un roi sont pour l’humanité des motifs d’allégresse. »[62] Cependant il se battit vigoureusement pour freiner le vandalisme, ce qui n’était pas sans courage, même si un peu tardivement, dans un tel contexte de violence et de haine. Caïus Gracchus Babeuf réagira en l’attaquant ainsi : « Les sans-culottes devraient bien couvrir de boue un certain rapport de l’abbé Grégoire sur ce qu’il appelle le vandalisme (…) »[63]

Plus efficaces que les discours les plus enflammés, la création des musées, même avec les imperfections déjà signalées, établit sans aucun doute une assise pour la sauvegarde du patrimoine. Sous la Révolution, ce sera le musée du Louvre, préparé par Louis XVI, et, surtout, le musée des Monuments français d’Alexandre Lenoir. Sans ce dernier, la sculpture aurait pratiquement totalement disparue. Il est vraiment, et pour cause, une création de la Révolution, certes pour panser les plaies, mais sans lui, tout aurait été perdu. Il est facile de critiquer après coup les choix et les restaurations parfois abusives de Lenoir. Il fut peut-être le seul à être sans arrière pensée politique, plus intéressé par l’art que par les déclarations. Il s’est d’ailleurs totalement identifié avec son musée et il éprouvera un chagrin immense lorsqu’il fut supprimé en 1816. Il utilisa tous les subterfuges possibles pour sauver des œuvres et, s’il ne réussit pas toujours, il déploya sans cesse toute cette énergie à ce combat.[64] Il prit des risques immenses pour sa vie qu’il consacra vraiment au sauvetage des œuvres d’art.

Jusqu’à aujourd’hui, les défenseurs du vandalisme révolutionnaire ne manquent pas, notamment au sein de l’université française.[65] Affirmer qu’il eut une « politique artistique de la Convention »[66] est une formule osée car la Révolution ne créa rien dans ce domaine. Certains de ses partisans essayèrent simplement d’atténuer des actes qu’ils ne reniaient pas par ailleurs. Il existerait un divorce entre Terreur et politique culturelle. Avancer que les artistes révolutionnaires voulaient réutiliser autrement, selon leurs valeurs et allégories républicaines, les œuvres héritées de la monarchie et de l’Église, ne tient pas. Le vandalisme, encore une fois, ne s’est pas contenté d’effacer les blasons et les fleurs de lys, de mettre à bas les statues royales. Il a procédé, avec une froideur scientifique, à l’éradication d’une culture qui était, au XVIII° siècle, la plus raffinée et la prisée d’Europe. D’ailleurs, les souverains et les aristocrates anglais, allemands et russes se jetèrent sur les dépouilles et enrichirent ainsi leurs collections et les musées qui en naquirent. La régénération d’ une culture que l’on juge désuète ne peut pas passer par sa décapitation. La Révolution a coupé toutes les têtes, pas simplement celles du Roi, de la Reine et de tant d’autres. Elle a voulu déraciner les peuples français en détruisant ce qui fut, pendant des siècles, leur milieu naturel. La tendance n’a pas changé dans la république actuelle. Les projets de restauration de Notre-Dame nous ramènent deux siècles en arrière. Les nouveaux vandales ne sont pas simplement ceux qui détruisent, comme l’avait déjà souligné Montalembert, mais ceux qui « restaurent », car toujours guidés par la même idéologie qui présidait à la Convention : faire table rase et laisser son empreinte, son « geste ».[67] Ceci en prenant grand soin de ne jamais montrer au grand jour les intentions perverses. Je laisse les derniers mots au P. de Clorivière, écrivant durant la Révolution sur la Révolution : « La Révolution que nous avons vue se déchaîner, présente, indiqués d’avance par les saints livres, trois principaux caractères : elle a été subite, elle est grande, elle sera générale… Par son objet, elle s’étend à tout ; rien n’est respecté, pas même les premiers principes de la loi naturelle ; les idées les plus universelles sont comptées pour rien, et les droits les plus imprescriptibles violés pour en forger de nouveaux. Ces droits nouveaux tendent à la suppression de toute espèce du joug naturel, religieux, divin même, comme à l’abolition de tout pouvoir légitime. »[68] Cette Révolution est toujours en cours et elle n’a rien perdu de sa hargne démoniaque, même si elle emploie désormais des armes moins tranchantes. Les vandales sont toujours parmi nous et ils tiennent les rênes du pouvoir.

P. Jean-François Thomas, s. j.
Professeur émérite du séminaire gréco-catholique de Blaj


[1] Rédigée en juillet-août 1793. Il analyse la deuxième mouture de cette Déclaration votée par la Convention. Le premier texte de la Déclaration avait été inscrit en tête de la Constitution de 1791.

[2] Texte dans Pierre de Clorivière, contemporain et juge de la Révolution, 1735-1820, Paris, J. de Gigord, 1926, int. Par René Bazin. p.79-80. Cet ouvrage contient les deux textes du P.de Clorivière sur la Révolution, en tout ou en partie : Les doctrines de la Déclaration des Droits de l’Homme, dans son intégralité, et Vues sur l’avenir, simplement des extraits de cet épais manuscrit de 700 pages rédigé en 1794. Un inédit très intéressant  sur le même thème se trouve à la Bibliothèque municipale de Lyon : 1006*Ms 8° 6933 -«Pensées détachées (29) sur les progrès de la Raison; sur l’accroissement ou le dépérissement des Lumières»5 -[Clorivière (Pierre-Joseph Picot de), sj, 1735-1820]6 -[Cicé (Adélaïde Champion de), fille de Marie, 1749-1812]: copiste7 -1792 -Paris?8 -125 p. -23 cm9 -Anonyme -Copié par A. de Cicé; corrections de Clorivière -écritures authentifiées par connaisseurs -seul manuscrit connu de ce texte qui précède la rédaction d’un des commentaires de Clorivière sur l’Apocalypse.

[3] Voir notamment Alphonse Aulard, Le Culte de la Raison et de l’Être Suprême, 1793-1794, essai historique, Paris, Félix Alcan, 1892 ; Aulard est un républicain qui essaie de trouver des circonstances atténuantes aux destructions mais il ne les nie pas. Albert Mathiez, La Théophilanthropie et le culte décadaire, 1796-1801. Essai sur l’histoire religieuse de la Révolution, Paris, Félix Alcan, 1904, La Révolution et l’Église. Études critiques et documentaires, Paris, Armand Colin, 1910.

[4] Voir Louis Réau, Histoire du vandalisme, les monuments détruits de l’art français, éd. Augmentée par Michel Fleury et Guy-Michel Leproux, Paris, Robert Laffont, coll Bouquins, 1994, p. 372-377.

[5] 17 juin 1789- 30 septembre 1791

[6] Période du Comité de Salut public et de la Terreur d’avril 1793 au 17 juillet 1794.

[7] Période du Directoire, 1796-1800.

[8] Louis Réau, op. cit, p. 373-374. Cette fête de la Liberté eut lieu le 10 novembre 1793, organisé par Pierre-Gaspard Chaumette, ceci en lien avec Joseph Fouché et les Hébertistes. Le 24 novembre 1793, toutes les églises parisiennes furent définitivement fermées.

[9] Le 7 mai 1794, un calendrier de fêtes républicaines remplaça le calendrier catholique. Le 8 juin 1794 se déroula, au jardin des  Tuileries et au Champ-de-Mars, la fête de l’Être Suprême, mise en scène gigantesque par les soins du peintre Jacques-Louis David. Robespierre en fut le grand prêtre.

[10] Cet homme était un « chef-d’œuvre de laideur » selon Napoléon Ier. Talleyrand lui fit remarquer, alors qu’il exposait les principes de sa nouvelle religion : « Je n’ai qu’une observation à vous faire. Jésus-Christ, pour fonder sa religion, a été crucifié et est ressuscité. Vous auriez dû tâcher d’en faire autant » Voir le site de l’Académie des Sciences morales et politiques : https://www.asmp.fr/travaux/dossiers/directoire_VIII.htm

[11] Du vandalisme et du catholicisme dans l’art, Paris, Debécourt, 1839, p. 3 Lettre qu’il adresse à Victor Hugo en 1833 Du vandalisme en France, p. 1-71.

[12] Voir Louis Réau, op. cit., p. 73 et suivantes.

[13] Ce jugement est précieux car l’homme est homme de « dialogue », comme on dirait aujourd’hui. Voir Recherches de la France, Paris, Laurens Sonnius, 1621 (édition posthume par ses enfants ; il s’était opposé aux Jésuites et le P. François Garasse s.j. s’acharna injustement contre sa mémoire à cette occasion), éd. Marie-Madeleine Fragonard et François Roudaut (dir.) et alii, Paris, Champion, 1996 ; voir aussi ses Lettres, édition également posthume, Paris, J.Petit-Pas, 1619, 22 livres.

[14] Discours des misères de ce temps, 1562-1563, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2 tomes, 1993-1994.

[15] Ce vandalisme ne toucha pas simplement la France mais aussi tous les pays du Nord, l’Allemagne et ensuite l’Angleterre.

[16] Le terme « vandalisme » est inventé à partir du nom de la tribu des Vandales qui pillèrent Rome en 455 et contribuèrent à la chute de l’empire romain.

[17] Prêtre révolutionnaire (1750-1831) qui a les honneurs du Panthéon depuis 1989, Henri Grégoire, ancien élève des Jésuites de Nancy, fut évêque constitutionnel et tenta d’organiser une Église gallicane. Il mourra en refusant de renier son serment constitutionnel. Il est l’auteur du terme « vandalisme ». Voir ses Mémoires, 1837, rééd. Jean-Michel Leniaud, Paris, Éditions de Santé, 1989.

[18] Il est représenté dans l’esquisse du projet de tableau de Jacques-Louis David,  Le Serment du Jeu de Paume, (1791-1792, Dessin, Château de Versailles, et étude, huile sur toile, Musée Carnavalet à Paris), personnage central présidant à la réconciliation des catholiques et des protestants, Dom Gerle pour les premiers et le pasteur Jean-Paul Rabaut de Saint-Étienne pour les seconds.

[19] Sauf deux pour marquer les heures.

[20] Lettre et mémoire à M. X., manuscrit de la bibliothèque d’Avignon, cité dans Gustave Gautherot, Le vandalisme jacobin, Paris, Beauchesne, 1914, p. 18-19.

[21] Le Mouvement religieux à Paris pendant la Révolution, Paris, Le Cerf, 1894/1898, 2 vol. Ouvrage publié sous le patronage du Conseil municipal de Paris.

[22] Gustave Gautherot, op. cit., p. 19. Une identique idéologie se reflète dans les propos, en 2012, d’Aurélie Filippetti, ministre de la culture sous la présidence de François Hollande, lors du dévoilement de la façade restaurée de l’église Saint-Paul-Saint-Louis, ancienne église de la Compagnie de Jésus. À un conservateur qui regrettait que les armoiries du cardinal de Richelieu, martelées à la Révolution, n’eussent pas été restaurées, elle répondit qu’il fallait respecter l’œuvre de la Révolution.

[23] Cité par Gustave Gautherot, op.cit., p. 24.

[24] Ibidem

[25] « Ce discours sur le vandalisme qui se constitue entre 1792 et 1794 est plus qu’une commodité de langage ou qu’un paravent pratique pour parler des destructions. C’est avant tout un effort pour laver la Révolution d’une redoutable accusation : celle d’être responsable des destructions. » Daniel Hermant, Une autre histoire du vandalisme révolutionnaire, http://partage-le.com/2019/04/une-autre-histoire-du-vandalisme-revolutionnaire-par-daniel-hermant/ D’après cet auteur, la notion de vandalisme fut une arme idéologique de la bourgeoisie pour récupérer la Révolution à son profit.

[26] Cité dans Eugène Despois, Le vandalisme révolutionnaire, 2° éd, Paris, Félix Alcan, 1885, chapitre sur Les rapports de Grégoire, p.204, note 1.

[27] Louis XV avait été le premier à ouvrir gratuitement au public une partie des collections, deux jours par semaine, ceci au palais du Luxembourg à partir de 1750. Le Musée du Louvre révolutionnaire n’hésitera pas à procéder à une épuration des œuvres, sous la direction du peintre David : ainsi les bambochades de Flandres et des Pays-Bas, les tableaux de Boucher, de Vanloo, de Pierre, les porcelaines et les meubles baroques, les œuvres présentant les signes de la féodalité, comme les toiles de Rubens pour le Luxembourg etc.

[28] Op. cit., p. 33

[29] Né en 1761, il fut élève des Oratoriens au Collège des Quatre-Nations, puis il entra à l’Académie royale de peinture et de sculpture, élève du peintre Gabriel-François Doyen. Il abandonne rapidement la peinture pour l’écriture. Sa nomination à la tête du nouveau musée fut providentielle. Le couvent des Petits-Augustins (aujourd’hui École Nationale des Beaux-Arts) fut le lieu choisi pour rassembler toutes les sculptures, les tombeaux ayant échappé au vandalisme iconoclaste. Le musée fut définitivement fermé en 1815, mais ses collections, admirablement agencées par Lenoir, avaient été depuis longtemps démantelées par la Convention, soit pour vendre des œuvres, soit pour les transférer de l’autre côté de la Seine, au Muséum. Louis Courajod (1841-1896), conservateur au Louvre et historien critique de la Révolution,  écrira que ce dépôt des Petits-Augustins était devenu « le magasin des menus-plaisirs du sans-cullotisme ». Cité par Gustave Gautherot, op. cit., p. 35.

[30] Victor Hugo, jeune homme, voisin du musée, y découvrira l’art gothique.

[31] Albert Lenoir, son fils, fondateur en 1844 du Musée du Moyen-Age (Musée de Cluny à Paris), publiera les très intéressantes archives de son père au sujet de ses courageux démêlés avec le régime révolutionnaire pour sauver le plus grand nombre de monuments et d’objets. : Inventaire général des richesses d’art de la France, Paris, Plon, 1883. Alexandre Lenoir se battit par exemple pour sauver l’abbatiale de Cluny en Bourgogne, ceci pendant le premier Empire. Ce fut en vain.

[32] Comme le calice de l’abbé Suger à la National Gallery de Washington, collection Widener, qui fut volé en 1804 à la Bibliothèque nationale.

[33] Un exemple célèbre est celui de Louis-Philippe d’Orléans (1747-1793) qui se rebaptisa Philippe Égalité, député montagnard à la Convention. Il fut le grand maître de ce qui deviendra le Grand Orient de France et vota la mort de son cousin Louis XVI, qui, sans sa voix, aurait peut-être été épargné, et il assista à l’exécution. Tous les Bourbons étant arrêtés le 7 avril 1793, il sera guillotiné le 6 novembre 1793. Son fils, Louis-Philippe Ier, sera roi des Français.

[34] Paris, Denoël, 1984, rééd. Gallimard, coll. Tell, 1999.

[35] Anciennes carrières souterraines qui servirent à construire la ville pendant plusieurs siècles.

[36] Né en 1750 et mort en 1803, ce franc-maçon  fut précurseur de l’anarchisme et un des plus fervents partisans de l’athéisme (il rédige un Dictionnaire des athées anciens et modernes en 1800). Il appela de ses vœux l’éradication totale de l’Église et la disparition du clergé. Il fut le rédacteur principal du journal le plus lu de l’époque, Révolutions de Paris.

[37] Cité par Louis Réau, op. cit., p. 286.

[38] Cité dans Faisceau poétique et national, Saint-Pons (avec un t retourné tête en bas), Franc, octobre 1832, p. 143.

[39] Né en 1755 et mort en 1841, avocat, orateur de la Révolution, rapporteur du Comité de Salut public. Homme manipulateur, menteur, assoiffé de sang, il est une des plus sinistres figures de cette époque qui, pourtant, en regorge. Il construit et soutient le génocide des Vendéens. Il meurt paisiblement en France où il est retourné sous le règne de Louis-Philippe I°.

[40] Rapport à la tribune de la Convention., Imprimerie nationale, 1793.

[41] La violation des caveaux des rois dans la basilique de Saint-Denis en octobre 1793 , huile sur toile, Musée Carnavalet, Paris.

[42] Elles prendront fin en janvier 1794.

[43] Le manuscrit brûla en 1794 avec la très riche bibliothèque de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés.

[44] Journal historique fait par le citoyen Druon, ci-devant bénédictin de la ci-devant abbaye de Saint-Denis, lors des extractions des cercueils de plomb des Rois, Reines, Princes et Princesses, abbés et autres personnes qui avaient leurs sépultures dans l’église de Saint-Denis (côte AE1 15 aux Archives Nationales)

[45] Louis-François Petit-Radel, architecte, avait mis au point une méthode sans danger pour « mettre par terre une église gothique en dix minutes » (sic). Il fut chargé de détruire les cœurs royaux en les brûlant place de Grève, ce qui fut fait. Mais il garda par devers lui une quinzaine de cœurs qu’il revendit à des peintres comme Alexandre Pau de Saint-Martin et Martin Drolling. Ce dernier, peintre alsacien, acheta les cœurs d’ Anne d’Autriche, de Marie-Thérèse d’Espagne, de la Grande Mademoiselle, de Philippe d’Orléans, du duc et de la duchesse de Bourgogne, de Henriette d’Angleterre. Saint-Martin acheta les cœurs de Louis XIII et Louis XIV, mais n’utilisa qu’une petite partie de celui du Roi Soleil. Pris de remords, il remit les précieuses reliques à Louis XVIII lors de la Restauration et les cœurs furent déposés à Saint-Denis. Drolling eut moins de scrupules et épuisa son stock. Ses œuvres, notamment exposées au Musée des Beaux Arts de Strasbourg, comme Intérieur d’une cuisine, contiennent la chair de nos rois.

[46] Jean-Paul Marat, 1743-1793, tué par Marie-Anne Charlotte de Corday d’Armont, descendante de Pierre Corneille, pour venger les massacres de septembre.

[47] Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, 1760-1793, tué par un ancien garde du roi, Philippe-Nicolas Marie de Pâris, pour venger la condamnation à mort du Roi qui sera guillotiné le lendemain.

[48] Le 11 novembre 1793 (21 brumaire an II), il fallut dix-sept voitures pour transporter le trésor à la Convention nationale. « Les charretiers s’étaient revêtus de chapes et de mitres. Ils ont ainsi amené par les rues ces monuments de la superstition » écrira Lenoir. Le chef de saint Denis fut qualifié de « relique puante ». L’orateur à la Convention déclama : « Saints, saintes, montrez-vous enfin patriotes : levez-vous en masse ; partez pour la Monnaie. » Ainsi disparut l’un des plus riches et plus anciens trésors d’Europe. Voir Louis Réau, op. cit., p.478-479.

[49] Les Monuments de la monarchie française avec les figures de chaque règne que l’injure du temps a épargnées, Paris, J.-M. Gandouin et P. F. Giffart , 5 volumes, 1729-1733. Opinion déjà présente chez Henri Sauval (1623-1676)  dans Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, Paris, Charles Moette et Jacques Chardon, 1724, 3 tomes.

[50] Des vestiges, dont de nombreuses têtes (21 sur 28), furent retrouvés au cours de travaux dans la cour d’un hôtel particulier du IXe arrondissement de Paris et sont exposés au Musée de Cluny.

[51] Cité par Louis Réau, op. cit., p. 296. Nous avons là le prototype de l’art socialiste et national-socialiste.

[52] À la veille de la Révolution, plus de trois cents églises et chapelles s’élevaient dans la capitale, plus ou autant qu’à Rome. Il en reste un peu plus de vingt sur cette liste prestigieuse.

[53] Voir les ouvrages de l’abbé Delarc, L’Église de Paris pendant la Révolution française, Paris, Desclée De Brouwer, 1897, 3 volumes ; et Marcel Aubert, La cathédrale Notre-Dame de Paris, Paris, Longuet, 1909, nouv. éd. 1945.

[54] En 1804, les reliques qui subsistent sont déposées à l’archevêché, puis à Notre-Dame jusqu’au 15 avril 2019. Depuis l’incendie de la cathédrale, elles sont déposées au Louvre bien que leurs gardiens statutaires soient les Chevaliers de l’Ordre Équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem.

[55] Cité par Louis Réau, op. cit., p. 383.

[56] Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon (1760-1825), cousin du célèbre duc mémorialiste, fut un des grands spéculateurs sur les biens de l’Église nationalisés. Il devint très riche. Son « Nouveau christianisme » pose les bases du socialisme. Dieu y est remplacé par la gravitation universelle. Son secrétaire fut Auguste Comte, puis Léon Halévy.

[57] De la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 à la fin du Directoire le 9 novembre 1799.

[58] Op. cit., p. 498-505.

[59] 1759-1818. Il présenta à l’Assemblée, le 9 décembre 1790, le premier volume de ses Antiquités nationales ou Recueil de monumens pour servir à l’histoire générale et particulière de l’empire françois, tels que tombeaux, inscriptions, statues… : tirés des abbayes, monastères, châteaux et autres lieux devenus domaines nationaux, 5 volumes, Paris, Marie-François Drouhin, 1790-1799. Le premier monument qu’il décrit est… la Bastille.

[60] 1762-1845. Il vota la mort du roi. Il travaille à la création d’écoles primaires, des Écoles normales et de l’Institut de France. Durant la Restauration, il partit aux États-Unis où il devint le premier président de l’université de Lousiane à la Nouvelle-Orléans.

[61] Rapports sur les destructions opérées par le Vandalisme, et sur les moyens de le réprimer, séances des 1er août, 29 octobre et 14 décembre 1794. À cette date, le mal est déjà fait sur une grande échelle.

[62] Cité par Louis Réau, op.cit., p.503, note 2. Il fut comparé à Ravaillac par les royalistes. Nul étonnement  à ce qu’il se réjouît lors de la profanation de Saint-Denis. Étrange état sacerdotal.

[63] 1760-1796. Baptisé François-Noël, il changea ses prénoms trop chrétiens. Le « babouvisme » annonce l’anarchisme et le communisme. Il sera guillotiné pour avoir comploté contre le Directoire. Il attaque Grégoire dans Tribun du peuple ou Le défenseur des droits de l’homme. Cité par Louis Réau, op. cit., p. 505.

[64] Les autorités lui arrachèrent tous les objets en métaux précieux. Il réussit à sauver quelques statues de bronze, dont celles du tombeau du prince de Condé aujourd’hui au musée de Chantilly, en les camouflant avec un enduit les faisant ressembler à du plâtre.

[65] Un exemple de publication est le volume des Actes du colloque international de Rouen (11-13 janvier 2007), organisé par le GRHis-Université de Rouen et la Société des études robespierristes, Les politiques de la Terreur, dir. Michel Biard Paris-Rennes, Presses universitaires de Rennes et Société des études robespierristes, 2008.

[66] Serge Bianchi, op.cit., p. 403-419

[67] Voir Du vandalisme et du catholicisme dans l’art, op. cit., note 11.

[68] Ibid., note 2, p. 56.


Les autres contributions du symposium international de Tokyo sur la Révolution paraîtront prochainement :

  • Introduction, par l’abbé Thomas Onoda.
  • Conférences :
    • « Les premiers 14-Juillet », par Philippe Pichot-Bravard (univ. Brest).
    • « Vandalisme et émergence de l’idée de patrimoine », par le père Jean-François Thomas.
    • « Jean-Jacques Rousseau, grand-père de la Révolution », par l’abbé Patrick Summers.
    • « Relations de l’État et de l’Église », par l’abbé Gabriel Billecocq.
    • « Au nom du peuple », par Marion Sigaut.
    • « Chouanneries, une guerre de la fidélité », par Anne Bernet.
    • « Joseph de Maistre et la contre-révolution », par Yohei Kawakami (univ. Senshu).
    • « L’indépendance des États-Unis : une Révolution avant la Révolution ? », par Jason Morgan (univ. Reitaku).
    • « Tribunaux révolutionnaires et jugements du roi et de la reine », par Paul de Lacvivier (univ. Kokugakuin).
    • « Réception de la révolution française au Japon depuis l’ère Meiji », par Junichi Hirasaka.
    • « Catholiques de Vendée : les premiers opposants au Nouvel Ordre Mondial naissant », par Michael Matt (The Remnant).
  • Conclusions :

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