Histoire

[CEH] Les ordres royaux de Saint-Lazare de Jérusalem et de Notre-Dame du Mont-Carmel : une invention d’Henri IV, par le baron Pinoteau

Une invention d’Henri IV : les ordres royaux, militaires et hospitaliers
de Saint-Lazare de Jérusalem et de Notre-Dame du Mont-Carmel

Par Hervé Pinoteau

C’est sous ce titre qu’on trouvait dans l’Almanach royal de 1789, pages 222-223, ce curieux amalgame qu’on nommait aussi « Ordres réunis, etc. » En effet, il exista du XIIe au XVIe siècle un ordre religieux de Saint-Lazare fondé en Terre sainte pour soigner les lépreux, et dont les membres se réfugièrent ensuite en Occident, Italie, France, etc. La lèpre n’étant plus une préoccupation essentielle (contrairement à la peste qui régna chez nous au XVIIe siècle et encore à Marseille au XVIIIe), Saint-Lazare fut en quelque sorte destiné à la disparition. LE pape donna ainsi ses biens italiens à l’ordre de Saint-Maurice du duc de Savoie, d’où la création de l’ordre des Saints-Maurice et Lazare passé en Sardaigne puis en Italie où il fut jusqu’en 1946 le deuxième ordre après l’Annonciade.

Une demi-douzaine de chevaliers lazaristes établis en France dans la commanderie de Boigny en Orléanais ne voulurent pas admettre la fin de leur ordre. C’est alors qu’Henri IV décida d’unir Saint-Lazare (chevaliers et biens matériels) à un nouvel ordre, créé par le pape en l’honneur de Notre-Dame du Mont-Carmel, le roi ayant une grande dévotion envers Elle, même en tant que protestant. Ce furent les bulles Romanus pontifex et Militantium ordinum du pape Paul V (16 et 28 février 1608) qui créèrent le nouvel ordre confié à Henri IV, et celui-ci l’unit Saint-Lazare en nommant grand maître de Notre-Dame du Mont-Carmel le « grand maître » de l’ordre résiduel et résistant. Le roi unit ces deux ordres par brevet du 31 octobre 1608 comme l’écrit l’Almanach royal. Mais on vit à travers les temps le grand maître des Ordres réunis nommé par le roi n’être confirmé par le pape que pour Notre-Dame du Mont-Carmel, Saint-Lazare n’existant plus pour lui.

Comme il était difficile de citer tout au long ce bizarre organisme, on prit l’habitude de ne parler que de Saint-Lazare considéré comme plus prestigieux car venant des Croisades !

Les Ordres réunis une vie marginale dans celle de l’Ancien régime. Surtout nobiliaires, administrés par un courtisan, un ministre ou un prince de sang, ils eurent une fâcheuse tendance à copier l’ordre du Saint-Esprit et varièrent au fil des ans dans leurs statuts, leur recrutement et leurs preuves de noblesse pour y accéder. On y vit donc une majorité de militaires, de rares ecclésiastiques, des officiers de princes, des bourgeois en pleine ascension, quelques intellectuels, des consuls au loin, et très peu d’étrangers. Sous le grand-maîtrise du comte de Provence on ne trouvera rien de mieux que d’attribuer à quelques bons élèves de l’École militaire de Paris la seule croix de Notre-Dame du Mont-Carmel (1779), ce qui fait dire à certains que les deux ordres étaient disjoints. Mais la réalité était là : considérés comme de peu d’intérêt et même inutiles dans l’esprit de l’époque, les Ordres réunis étaient de plus en faillite. Leur souverain, Louis XVI, et son frère Provence, grand maître, voulurent la fin de cette institution en la laissant s’éteindre (1787-1788), les dernières nominations étant de 1788. L’institution fut d’ailleurs abolie comme tous les ordres de chevalerie par l’Assemblée nationale constituante et la Constitution de 1791. Louis XVIII continua à conférer les ordres français en émigration, mais les Ordres réunis rarissimement, en particulier à des étrangers. En 1814, on continua cette politique d’extinction. Les chevaliers des Ordres réunis demandant à la Maison du roi des doubles de leurs brevets perdus, se voyaient répondre qu’on laissait ces ordres s’éteindre. Même réponse pour les personnes demandant a y entrer. Ce fut répété lors des obsèques de Louis XVIII par le marquis Dreux-Brezé, grand maître des cérémonies, avertissant que pour le successeur on n’aurait plus à placer les insignes des Ordres réunis sur le catafalque. Cette façon de voir les choses fut écrite dans l’Instruction sur les ordres français du grand chancelier de la Légion d’honneur (maréchal MacDonald), en date du 5 mai 1824, à la suite de l’ordonnance du roi du 16 avril précédent. En 1830, le dernier Almanach royal de la royauté légitime, liquidait les Ordres réunis en deux pages (344-345). Avec le roi comme protecteur, il n’y avait aucun grand maître et chef général et aucun des trois grands officiers-commandeurs pour administrer quoi que ce soit. Étaient cités deux commandeurs, douze chevaliers, un chevalier d’honneur, un chapelain, un héraut d’armes et un historiographe. C’était bien la fin pour les Ordres réunis n’ayant ni local, ni archives, et dont l’existence était finalement contraire à la Charte de 1814 : les sujets du roi étaient tous égaux, et il n’y avait plus de preuves de noblesse pour le Saint-Esprit, Saint-Michel, etc.

En 1910, un juif allemand converti au catholicisme fonda à Berlin un ordre de Saint-Lazare. On expliqua alors que les seuls chevaliers de Saint-Lazare (or, les chevaliers étaient bien des deux Ordres réunis et ne formaient certes pas un organisme structuré et actif!) s’étaient mis sous l’autorité spirituelle de prélats du Proche-Orient, événement inconnu de tous les contemporains ! C’est ainsi que fut établie une imposture qui fait encore illusion dans plusieurs pays, les « chevaliers » au ruban vert ayant trouvé bon de donner leur « grande-maîtrise » à un Bourbon d’Espagne, duc de Séville, flatté d’être considéré en France comme Altesse Royale qu’il n’était certes pas dans le pays d’Alphonse XIII, d’ailleurs devenu république. Partagé en plusieurs branches et se donnant des activités hospitalières comme d’autres « ordres » de ce genre, Saint-Lazare a été plus d’une fois blâmé par l’Osservatore romano, organe du Vatican, ce qui n’a pas empêché cardinaux et évêques d’accepter ce faux ordre. Je signale que les chevaliers français de l’ordre de Malte ont l’interdiction d’être membres de Saint-Lazare.

La Grande chancellerie de la Légion d’honneur ne connaît qu’une simple association hospitalière sous le régime de la loi de 1901, sans aucun droit de se donner des airs d’ordre chevaleresque, ce qui n’empêche pas ses membres de défiler dans les rues avec des costumes, bannières et décorations interdits. Dans d’autres pays, le pseudo-ordre de Saint-Lazare est reconnu de même dans un climat de libéralisme affligeant, d’où des manifestations en uniforme devant un public abusé.

Baron Hervé Pinoteau
Héraldiste, vexillologue et phaléristicien
Vice-président de la Société des amis du Musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie

 


Publication : Hervé Pinoteau, « Une invention d’Henri IV : les ordres royaux, militaires et hospitaliers de Saint-Lazare de Jérusalem et de Notre-Dame du Mont-Carmel » dans Collectif, Henri IV : le premier Roi Bourbon. Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, Neuves-Maisons, CEH, 2011, p. 299-304.


Bibliographie

  • Comte Garden de Saint-Ange, Code des ordres de chevalerie du royaume, Paris, 1819, réimprimé avec préface et documents nouveaux par Hervé Pinoteau, Paris, 1978.
  • René Pétier, Contribution à l’histoire de l’Ordre de St-Lazare de Jérusalem en France, Paris, 1914. Le meilleur ouvrage, comportant d’ailleurs l’ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel.
  • Comte Zeinminger de Borja, « L’ordre de Saint-Lazare » ; revue Hidalhia, Madrid, 1953, p. 501-532.
  • José Maria de Palacio y de Palacio, marquis de Villarreal de Alava, « Las falsas ordenes de caballeria », ibidem, p. 629-707.
  • Henry-Melchior de Langle, Jean-Louis de Treourret de Kerstrat, Les ordres de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Carmel aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1992. Utile et d’intérêt, mais n’a pu s’empêcher d’appuyer par la bande de la légitimité du faux ordre de Saint-Lazare. À utiliser avec prudence !
  • Hervé Pinoteau, Études sur les ordres de chevalerie du roi de France, et tout spécialement sur les ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit, Paris, 1995, où ch. X est une « Note sur les ordres royaux et réunis de Notre-Dame du Mont-Carmel et de Saint-Lazare », écrite par l’auteur en 1964 comme secrétaire de S.A.R Monseigneur le duc de Bourbon (prince Alphonse, futur duc d’Anjou), et où est signalée l’imposture d’une continuation du seul Saint-Lazare après 1830.
  • Hervé Pinoteau, « Cinq aquarelles du XVIIIe siècle sur les ordres royaux et réunis de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Carmel », Ordre et distinctions, Bulletin de la Société des amis du Musée national de la Légion d’honneur et des ordres et de chevalerie, Paris, no 10, 2005/2007 (paru 2008), p. 13-20 et p.4 de couverture : un trophée, le décor d’un trône, et des vêtements pour des membres des Ordres réunis, vers 1779 : un rêve de faste !

Nombreux sont les livres sur les faux ordres en France et à l’étranger, qui évoquent l’actuel Saint-Lazare. Citons brièvement :

  • Philippe du Puy Clinchamps, « Les ordres dits chevaleresques, de fantaisie ou d’escroquerie » dans La Chevalerie (« Que sais-je ? » n° 972), Paris, 1961, p. 107-117 ;
  • Arnaud Chaffanjon et Bertrand Gallimard-Flavigny, Ordres et contre-ordres de chevalerie, préface de Claude Ducourtial-Rey, conservateur du Musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie, Paris, 1982, ch. VII.

L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, Paris, publie depuis quelques mois les mensonges lazaristes auxquelles il est inlassablement répondu, mais il est difficile d’endiguer de tels « rêveurs » du ruban vert, alors que la rédaction devrait faire œuvre utile et raisonnable en cessant d’étaler la littérature de ces derniers.

3 réflexions sur “[CEH] Les ordres royaux de Saint-Lazare de Jérusalem et de Notre-Dame du Mont-Carmel : une invention d’Henri IV, par le baron Pinoteau

  • ”Ordre” dont la plupart des membres sont francs-maçons !

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    • Vexilla Galliae

      Oui, vous parlez là du faux ordre fondé en 1910, et dénoncé à juste titre par le baron Pinoteau à la fin de cet article. Le reste de l’article concerne toutefois le véritable ordre royal de Saint-Lazare de Jérusalem et de Notre-Dame du Mont-Carmel, qui n’a jamais eu aucun lien avec la FM et qui n’existe plus aujourd’hui.

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  • Du pourquoi de guillemets de part et d’autre du mot ordre et de la conjugaison au présent.

    Chronologiquement antérieur et des début de la chevalerie en l’Ordre de Saint Lazare :
    “Ni en l’ordre de saint Ladre nul frere dou Temple et de ceaus de l’Ospital ne puet enter, se ne fust por ce que il devenist mesiaaus” article 429 de La Règle du Temple copie des XIIIe et XIVe siècles – Henri de Curzon (1861-1942).
    Bien à vous.

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