Histoire

Le consentement fait-il le roi ?

Le débat est ancien et politiquement sensible, avec des courants qui ont voulu voir dans les successions mérovingiennes des sortes de plébiscites avant l’heure, ou bien faire de l’aristocratie et des parlements d’Ancien Régime des cosouverains… Ces débats ont d’ailleurs paralysé la France pré-révolutionnaire, favorisant les conditions morales et matérielles de la Révolution qui vint.

Pourquoi l’acclamation des grands lors du sacre a disparu ? Pour atténuer la trop grande importance prêtée au consentement et souligner plutôt l’élection divine du roi. En effet, le consentement ne fait pas le roi !

En France, il n’y a pas d’élections, et c’est bien ce qui fait la force de nos rois capétiens. Sous les Mérovingiens, puis les Carolingiens, l’ordre de succession n’est pas encore régi par des règles aussi claires que les lois fondamentales du royaume et les princes se disputent sans cesse. Ces disputes tournent régulièrement en guerres plus ou moins fratricides, entraînant tous les grands du royaume dans le désordre et appelant le morcellement du royaume. Mais, depuis Hugues Capet au moins, la royauté française est régie par l’élection du sang, c’est-à-dire, en dernière instance, par l’autorité divine, puisque seul Dieu décide de qui va naître à tel moment ou à tel autre dans telle ou telle famille. Il est simplement demandé aux princes de la famille de France de consentir à cet ordre divin et de coopérer à l’œuvre divine. La royauté française, si subtile et parfaite, a toujours fait en sorte de ne jamais tomber dans la simplicité : dire que le sang fait le roi ne revient pas à nier que le sacre crée le roi, comme le savaient si bien sainte Jeanne d’Arc et ses contemporains. Le sacre, qui est, au fond, l’un des rares sacrements d’Ancien Testament non aboli par Jésus-Christ, et institué par Dieu le Père lui-même, vient parfaire l’élection divine par le sang via l’élection divine par la grâce, pour en faire un parfait Roi Très Chrétien.

La nécessité du sacre n’enlève rien à la nécessité du sang : il y a un ordre, c’est tout. Les royautés païennes connaissaient déjà cette dernière, mais, ne bénéficiant pas de la grâce, elles l’ont souvent encensé à l’excès, parfois jusqu’à l’idolâtrie, or il faut laisser le sang à sa place, non pas le nier. C’est le sacre qui vient ensuite parfaire le Roi Très Chrétien et, en cela, il nous est cher. Comme la Confirmation fait du baptisé un soldat du Christ, le sacre parfait le roi. Cela donne la stabilité et la paix à notre royauté. Seule une décision divine manifeste peut changer cette donne, et elle vient toujours par l’extinction naturelle de l’ancienne race, comme pour Childéric III, le dernier des mérovingiens, ou Louis V, le dernier des carolingiens, dont les lignées mâles se sont éteintes.

Et le consentement dans tout cela ?

En matière d’importance, il vient en troisième place, après le sacre ; dans l’ordre temporel, il arrive en second, en parallèle du sacre. Il est nécessaire pour parfaire le Roi purement politique. Le consentement donné permet à son action bienfaisante de prendre toute son étendue. C’est pourquoi le consentement est inclus dans le sacre, et qu’il est toujours inclus implicitement dans tous les actes de gouvernement. Il ne suffit pas d’être légitime pour gouverner — quoique ce soit nécessaire —, il faut aussi gagner le consentement pour se faire obéir.

Pensons au père de famille. Mon père est mon père par le sang. Un point c’est tout. Il pourrait me battre ou disparaître ; je pourrais le renier ou le tuer ; cela ne changerait rien : il est et restera mon père. C’est pareil pour le roi. C’est ce raisonnement, d’ailleurs, qui nous pousse à combattre les folies bioéthiques que sont la PMA, la GPA, etc. : si le sang — c’est-à-dire la loi naturelle — ne parlait pas, la paternité n’existerait pas. Le bon père chrétien, par ailleurs, est celui qui est baptisé, qui est confirmé et qui vit dans les sacrements de l’Église. C’est le roi sacré à l’échelle de la famille. C’est la spécificité de notre monarchie Très Chrétienne. Le consentement vient lier politiquement tout cela. Il existe avant la chrétienté, mais seule la Chrétienté fait de ce consentement bien plus qu’un accord politique, c’est-à-dire un acte d’amour, presque un sacrement de mariage mystique qui attache par des liens d’amitié profonde le monarque à ses peuples. C’est le « oui » des peuples à son mari, le Roi, dans un mariage arrangé par Dieu. Mais, pour ce faire, il faut — rappelons-le encore une fois — un Roi et des peuples qui existent déjà, grâce au droit du sang. Pensons encore à la famille, ce petit royaume : un jeune enfant consent naturellement. On n’en parle même pas. Si le père est juste, l’enfant consentira en règle générale, même en grandissant, même s’il prend ses marques. En grandissant, l’autorité peut changer dans ses modalités, mais pas dans sa nature. En général, l’enfant qui se révolte —  une exception — est soit mené par la haine et des mauvais penchants — ce qui existe —, soit par des injustices répétées de l’autorité légitime — en général un peu des deux. Nous voyons ici l’importance de la mère médiatrice, apaisant les conflits qui émergent forcément un jour ou l’autre (notre nature est blessée par le pêché originel, ne l’oublions pas).

Nous comprenons avec ces exemples que le consentement est important, mais subordonné au sang : que je ne consente pas ne change rien au fait que mon père est mon père — d’ailleurs, même dans les cas exceptionnels d’enfants adoptés à la naissance, l’éducation octroyée fait du chef de famille un père putatif (à l’exemple de Saint Joseph). Il reste vrai, néanmoins, que seul mon consentement permettra à l’œuvre paternelle d’agir au mieux pour mon bien : sans le consentement, tout devient pénible et fatiguant au mieux ; tourne en révoltes et autres désagréments au pire. D’où l’importance du consentement comme nécessité politique, mais qui n’existe que dans la relation filiale antérieure, celle du roi à son sujet.

Le Roi est notre Roi par le sang : élection divine ; le Roi est notre Roi par le sacre : perfection du roi, choisi par l’octroi de grâces spéciales ; et nous consentons à l’autorité de notre Roi pour augmenter les biens qu’il nous octroie. C’est, au fond, dans l’ordre politique, ce qui se produit dans l’ordre surnaturel. Dieu est notre Créateur : il nous fait naître sur cette terre avec notre nature humaine ; Jésus est notre Sauveur : il nous fait naître à la grâce par le baptême ; et nous consentons à notre salut — l’état de grâce — pour augmenter les biens que nous recevons.

En attendant de comparaître devant notre Juge.

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

À Luc, qui a nourri mes réflexions.

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