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Effets de la chrétienté et effets du paganisme : l’exemple de la peine de mort, par Paul-Raymond du Lac

Effets de la chrétienté et effets du paganisme : l’exemple de la peine de mort

I – La peine de mort en Chrétienté

Dans la France chrétienne et royale, être noble était un facteur aggravant en cas de crime, nous en avions déjà parlé dans ces colonnes. Cela correspond très bien à l’esprit chrétien institué par le Christ pendant la Cène, au moment du mandatum, ce précepte donné et mis en pratique par Lui-même, maître et Dieu, consistant à se laver les pieds mutuellement. À l’image du Christ, le maître, le seigneur, doit s’abaisser au travail de l’esclave et servir ses subalternes.

Cette bonne graine prospéra dans les temps féodaux, avec des rois Très Chrétiens qui servaient le bien commun, et qui étaient éduqués pour cela : les institutions étaient faites en ce sens. Plus on était haut dans la hiérarchie sociale, plus les responsabilités étaient grandes, et cela était reflété jusque dans les lois. Les écarts, les abus existaient puisque partout l’homme est pécheur, mais ces abus n’étaient jamais légitimés ni justifiés, ce qui fait une différence fondamentale avec les mondes non-chrétiens.

Le Condamner à mort de Claude Gauvard (Puf, 2018) démontre cela magistralement : il dépeint la réalité de la peine de mort au Moyen Âge central et tardif. L’auteur montre que la peine de mort était peu employée, de façon équilibrée et juste, mais sans laxisme non plus, dans une optique chrétienne de conversion du condamné, dans le souci de satisfaire la soif de justice du « peuple », tout en faisant au maximum œuvre de miséricorde.

Le roi, par ailleurs, venait souvent apporter sa grâce, à l’exemple du Christ miséricordieux, réduisant la peine de mort aux cas de récidives invétérées et d’incorrigibilité notoire, mais sans jamais blesser le devoir de justice : le pardon est réel mais il ne peut être donné que si le repentir est réel lui aussi.

Le rang social, en droit, était un facteur aggravant, même si en pratique, du fait des relations familiales, les lettres de rémission étaient courantes pour les grandes familles — elles n’étaient d’ailleurs pas moins courantes pour les « petites gens » : dans tous les cas, la peine de mort prononcée et exécutée était réduite à un nombre minimum de cas nécessaires

Soulignons, à la suite de Claude Gauvard dans un autre de ses ouvrages, intitulé De grace especial, que le pouvoir effectif du Roi Très Chrétien a été restauré progressivement par les capétiens via les lettres de rémission, c’est-à-dire l’octroi de la grâce. Le Roi de France ne possédait alors plus de pouvoir temporel direct sur la Bretagne par exemple, mais néanmoins on savait qu’il était roi, son autorité était intacte : et cela fut prouvé par les lettres de rémission qui arrivaient jusqu’en Bretagne, et qui étaient appliqués ! Le roi était roi, et sa présence était connue jusqu’au fin fond de la France, via la grâce !

II – La peine de mort en pays païen

Que se passe-t-il en pays païen ? Prenons l’exemple de l’ère Heian au Japon (794-1185). Une étude sur la peine de mort de Tomoru Togawa, « La Peine de mort pendant l’ère Heian (平安時代の死刑) » (吉川弘文館、2015est aussi magistraleen sens inverse. Il était plus ou moins admis dans l’historiographie japonaise que pendant cette époque faste de la cour impériale, la peine de mort avait été « abolie » au Japon, du fait du pouvoir impérial fort et doux. En fait, il n’y a jamais eu abolition, mais absence de sentence de peines de mort prononcés dans la capitale entre 725 et 1156 et inscrites dans les annales officielles. Togawa montre en fait qu’il n’en était rien en pratique et que la peine de mort a continué à être prononcé par les magistrats et potentats locaux.

Il reste néanmoins vrai que dans la capitale la peine de mort était évitée par l’empereur lui-même quand il devait juger. Pourquoi ? Par imitation de la Chine des Tang, reprenant un argument confucianiste présent dans les annales chinoises, à savoir qu’une « fois tué une personne ne ressuscite pas, et donc c’est irréparable ». Il y a ainsi un fond de droit naturel qui sait que la mort est une chose irréparable – et donc le pouvoir royal fort, de façon naturelle, a tendance à réduire la violence et les peines de mort, selon le principe assez maurrassien qui énonce qu’un pouvoir fort et éloigné du peuple a intérêt à prendre soin de lui. Dans un contexte d’extrême-orient, que ce soit Chine ou Japon, le système monarchique antique se fonde sur une famille impériale divine d’une part, et sur le reste de la population et de la terre d’autre part, qui lui appartiennent en propre : l’empereur est le possesseur et maître de tous ses sujets et du royaume. Il n’existe pas en ce sens de « noblesse » comme chez nous, mais simplement des fonctionnaires ou des officiers dont les titres sont renouvelés régulièrement par l’Empereur, et qui peuvent être enlevé par l’empereur à n’importe quel moment – évidemment, les hommes étant ce qu’ils sont, la théorie très étatiste et moderne de ce système extrême-oriental laisse place assez rapidement à une patrimonialisation de certains titres et la constitution de maisons héréditaires. Il existait même un système de distribution de terres – car toute terre appartient au roi – dont l’exploitation étaient confiée aux sujets pour un certain nombre d’année, et dont la superficie était accordée au prorata du nombres d’hommes adultes libres et valides dans un foyer… (口分田, système Kubunten) Cette institution aussi va rapidement se déliter, devant son irréalisme pratique, mais les principes restent et furent réactiver à chaque crise par l’homme fort du moment qui pouvait ainsi justifier facilement d’un absolutisme d’état (comme l’ère Edo, mais aussi la révolution Meiji qui rend la modernisation possible car tout revient en propre, en théorie, à l’empereur).

Nous remarquerons qu’au passage l’argument donné est frontalement opposé aux doctrines bouddhistes de réincarnation – puisque dans un contexte de réincarnation et de confusion de la valeur de toute vie ne faisant pas de différence essentielle entre un brin d’herbe et une vie humaine, la vie ne vaut pas grand-chose. Nous ne sommes pas à une contradiction près : la raison se soumet aux passions et sait ajuster son exigence à « ce qui arrange » plutôt que de se soumettre à la vérité.

La raison principale, néanmoins, de la réduction de peines de mort prononcées dans les annales vient en fait de la peur panique de l’impureté causée par la mort : la souillure devait rester loin de l’empereur, et la mort était une cause importante de cette souillure.

Si l’empereur préférait exiler tel criminel politique plutôt que de l’exécuter, c’était pour éviter de souiller la capitale et lui-même, ce qui pourrait menacer son « bonheur » – nous sommes dans un monde pharisien et formaliste. Le Japon avait aussi suffisamment d’îles pour véritablement éloigner quasi-définitivement le nécessiteux.

Le plus intéressant reste à venir néanmoins : comme le montre l’auteur, les peines de mort ne se sont en fait jamais arrêtées, même dans la capitale, mais elles évitaient simplement la décision impériale (d’où l’absence de citation dans les annales officielles). De plus, les mentions de jugements dans les annales ne concernent en fait que les jugements des « grands », car pour la justice des autres, nous n’avons aucune trace – comme sous la Rome antique, les maîtres et les chefs de famille avaient pouvoir de vie et de mort chez eux…sans besoin de jugement extérieur pour l’essentiel des cas, en fonction du rang : ce qui compte c’est la paix social, tant que la paix social n’est pas menacé, le maître peut en pratique faire ce qu’il veut – le grand principe du « pas de vagues » n’est pas nouveau, et bien ancré dans les mondes païens comme principe primordial du maintien de l’ordre.

Togawa décrit d’ailleurs en long et en large les exécutions capitales exemplaires qui eurent lieu pendant la soi disant période d’abolition de la peine de mort : on apportait la tête coupée des rebelles à la capitale, on la montrait à l’empereur, ou aux ministres référents, et on la promenait puis l’exposait dans certains lieux de la capitale.

Cela fait comprendre autre chose : la distinction entre ce que certains chercheurs français, comme Claude Gauvard, appelle « crime politique » et les autres crimes n’existe pas vraiment du côté japonais : il n’y a que les crimes politiques au fond qui sont jugés, en tant qu’ils menacent l’ordre social. Pour un esclave, personne n’ira chercher le meurtrier, tant que ce meurtre ne déclenche pas un trouble majeur, de style vendetta entre familles par exemple.

Allons plus loin et revenons à l’institution chinoise antique de la peine de mort, qui a été copiée presque tel quel au Japon. L’empereur a institué un système de peines et de châtiments hiérarchisé en fonction de la gravité des crimes, et un système de rémission automatique de certains degrés de peines en fonction de certaines conditions.

Par exemple, il y avait deux degrés de peines de mort (pendaison, la moins grave, et décapitation la plus grave) ; trois degré d’exil (près, loin, très loin), cinq degré de travaux forcés (de un à trois ans, chaque six mois supplémentaires constituant un degré), 6 degrés de flagellation dure et cinq degrés de flagellation légère.

Il y avait un certain nombre de crimes énormes qui entraînaient automatiquement la mort , sans possibilité de grâce, ni de rémission, ni de réduction de peine : rébellion, complot, parricide, empoisonnement et malédiction magique, non-respect de l’étiquette, non-respect du deuil, irrespect et blasphème envers l’empereur, etc.

Le plus intéressant arrive : il était aussi prévu des rémissions automatiques d’un certain nombre de degrés en fonction du statut du criminel. Les grands nobles, la famille royale éloignée, les grands officiers de la Couronne bénéficiaient d’une réduction de peine automatique.

Cela dénote la différence fondamentale entre esprit chrétien et non chrétien : là où la noblesse aggrave la peine en monde chrétien, ici en monde païen le haut statut social permet de bénéficier automatiquement de réduction de peine, et en pratique d’éviter quasi-systématiquement la peine de mort hors cas de rébellion ou de crimes réservés.

En conclusion, notons que le mythe de l’abolition de la peine de mort pendant l’ère Heian a pu être utilisé par des nationalistes pour faire croire à la « modernité » du Japon depuis l’Antiquité, dans un contexte contemporain où la peine de mort est condamné en soi par tous les progressistes.

Il n’en est rien en fait, puisque la peine de mort ne s’est jamais arrêtée, et si le pouvoir royal fort réduit en effet dans la capitale quelque peu les peines capitales, c’est surtout par égoïsme et peur de la souillure plus qu’autre chose. Notons que de toute façon l’argument nationaliste se prend les pieds dans le tapis : si par hasard la peine de mort avait été effectivement abolie dans le passé du Japon, cela aurait surtout montré le degré de dégénérescence d’un état qui nie la légitimité intrinsèque de la peine de mort appliquée justement, sous certaines conditions…

Inversement, dans l’âge d’or français, la peine de mort, légitime, fonctionnait au mieux : limitée aux cas absolument nécessaires pour le bien tant du bien commun que du condamné, qui, régulièrement, tel le bon larron, se convertissait avant d’être exécuté, acceptant sa juste punition et regrettant son crime.

La peine de mort rendue illégitime par la modernité folle et contre-nature ne résout rien : elle ne fait que déplacer le problème ; la mort revient, la violence aussi, mais à un niveau « infra-étatique » comme on dit ; et au niveau étatique, on « tue » moralement par un ostracisme digne de la réduction au rang d’intouchable ou en esclavagisme. La justice est évidemment évacuée. Et la charité avec, puisque sans justice, pas de charité.

Vive la modernité, n’est-ce pas ?

Restaurons vite notre bon roi !

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !

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