Social et économie

Le juste amour de la patrie, par Paul-Raymond du Lac

Le chauvinisme peut avoir quelque chose d’attachant, quand il est injuste mais sans sérieux et d’une mauvaise foi assumée. Quand il devient en revanche sérieux, croyant véritablement que sa nation est la meilleure au monde, quand la déesse Patrie devient absolue, dans le sens d’un certain nationalisme révolutionnaire, il est beaucoup plus désobligeant, voire dangereux… Comment aimer, alors, notre patrie avec justice ?

Saint François de Sales nous indique la voie :

« Ainsi les femmes doivent préférer leurs maris à tout autre, non en honneur, mais en affection ; ainsi chacun préfère son pays aux autres, en amour non en estime et chaque nocher chérit plus le vaisseau dans lequel il vogue que les autres quoique plus riches et mieux fournis. Avouons franchement que les autres Congrégations sont meilleures, plus riches et plus excellentes, mais non pas pourtant plus aimables ni désirables pour nous puisque Notre-Seigneur a voulu que ce fût marié à cet Institut ; suivant le dire de celui auquel quand on demanda quel était le plus agréable séjour et le meilleur aliment pour l’enfant : le sein, dit-il, et le lait de sa mère[1]… »

Il est naturel de préférer son village, son pays, son royaume, son roi à celui des autres, et il est compréhensible et nécessaire de défendre ce caractère naturel contre les agressions des néo-révolutionnaires mondialistes qui veulent supprimer l’État, mais aussi la culture chrétienne des vieux pays chrétiens et de la France en particulier — étant donné sa mission divine dans le plan providentiel, le Prince du monde doit sûrement la redouter beaucoup plus que nous le pensons…

Cela dit, il serait d’autant plus nuisible de tomber dans un excès inverse, et d’oublier qu’une révolution contraire est encore une révolution : adopter la « Nation » révolutionnaire comme patrie, voire, pire, faire de l’État une idole, ou encore tomber dans un culte de la force ou une idéalisation de notre passé et de notre pays, en cachant et omettant les parts d’ombre qui existent nécessairement est non seulement un mensonge et une attitude révolutionnaire, mais c’est en plus une manière de nous priver de tous les enseignements du passé !

Comme saint Augustin dans ses Confessions, regardons en face notre passé, avec ses grandeurs et ses hontes ! ceci ne consiste pas à faire de la repentance — la repentance aujourd’hui exigée consiste à tordre les faits en omettant systématiquement toutes nos gloires, tous nos saints, notre mission et notre élection…

La bonne attitude consiste simplement regarder la réalité telle qu’elle est, en chrétien qui sait que tout homme est pêcheur, que l’orgueil prend vite le pas, et qui travaille à acquérir une humilité avec intelligence, regrettant ses fautes passées pour mieux travailler à sa sainteté présente et à venir.

Saint François de Sales nous dévoile en la matière l’attitude à adopter : il faut préférer — et c’est normal — notre pays à tous les autres, mais sans illusions, sans confondre la préférence et l’idéalisation. Comme nous aimons nos parents, il ne s’agit pas de ne pas reconnaître leurs défauts, car les ignorer ne les efface pas, et ces défauts posent souvent un jour ou l’autre de grandes déconvenues — soit par la désillusion, soit par l’incapacité d’aider à la correction de ces défauts, soit par leur reproduction avec nos propres enfants.

Il est bon, aussi, de tirer dans les exemples des autres pays des enseignements, et de souligner leurs mérites. Cela ne signifie pas les préférer à notre pays propre, mais les juger avec justice. C’est une sorte de charité appliquée en politique : comme pour la charité, il est normal de se préférer aux autres et d’être charitable envers soi-même, mais cela ne signifie pas qu’on doive exclure les autres, et Dieu en premier. Au contraire ! Plus on approfondit la charité envers Dieu et envers soi-même, plus le prochain nous devient aimable.

C’était cela, la Chrétienté aboutie : les pays, au-delà des oppositions, savaient s’apprécier les uns les autres, se marier via leurs familles royales, et ne pas se nuire inutilement… Nous en sommes loin dans notre époque moderne, où on ne parle qu’intérêt et préférence nationale, contre tout bien, aujourd’hui se dissolvant dans un monde global… Apprenons donc cette attitude contre-révolutionnaire pour ne tomber ni dans un nationalisme bête et méchant, ni dans une détestation injuste de sa mère patrie.

Et disons, pour finir avec un peu de chauvinisme, que j’espère sympathique, que si nous préférons la France, nous savons que Dieu lui aussi préfère la France, au point de la punir durement quand elle est infidèle ! Cela devrait nous donner du baume au cœur… Car qui aime bien châtie bien, nous dit le dicton. Après tout, nous avons une sacrée mission… Rappelons d’ailleurs la belle prière, à dire tous les jours si l’on est français :

« Ô Dieu tout-puissant et éternel, qui avez établi l’empire des Francs pour être par le monde, l’instrument de votre très divine volonté et le glaive et le rempart de votre sainte Église, nous vous en prions, prévenez toujours et en tous lieux, par votre céleste lumière, les fils suppliants des Francs, afin qu’ils voient clairement ce qu’il faut faire pour établir votre règne en ce monde, et que, pour réaliser ce qu’ils auront vu, ils deviennent toujours plus puissants, par la charité et la bravoure. Par le Christ notre Seigneur. Ainsi soit-il[2]. »

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !


[1] Francis Mugnier, Toute la vie sanctifiée, éditions Parthénon, 2023, p. 236, citation de saint François de Sales, dont l’orthographe a été modernisé par nos soins.

[2] Tiré d’un missel carolingien, traduction du latin tirée du site http://www.christ-roi.net/index.php/Pri%C3%A8re_des_francs. Une version différente existe dans le Missel noir rituel et vespéral aux éditions DFT.

Illustration de l’article : Alexandre Barbera-Ivanoff, Dieu sauve la France, 2013, collection privée.

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