ActualitésChretienté/christianophobieLes chroniques du père Jean-François Thomas

Sermon de la Messe solennelle de Requiem pour le repos de l’âme du Roi Louis XVI, par le R. P. Jean-François Thomas

Prône pour la Messe solennelle de Requiem pour le repos de l’âme du Roi Louis XVI

Église Saint-Eugène-Sainte-Cécile, Paris
20 janvier 2024

Mes chers Frères,

Le Roi va mourir, et il est seul, en présence de Dieu. Louis le Désiré, -comme le peuple le surnomma-, va mourir car les nouveaux maîtres ne peuvent accepter que le Lieutenant du Christ leur rappelle que tous les hommes sont soumis à la loi divine. Celui qui va verser son sang n’est pas qu’un monarque, le roi très chrétien ; il est aussi un père, celui des enfants de France et celui de toutes ses nations et de tous ses peuples à l’unisson. À travers lui, Dieu est certes visé, et la couronne bien sûr, mais c’est aussi le premier coup porté dans notre pays contre la paternité et contre l’éducation que tout parent donne à sa descendance. En 1786, il avait fait part à Monsieur de Malesherbes d’une de ses craintes à l’égard du monde nouveau : «  Prenons-y garde, nous aurons peut-être un jour à nous reprocher un peu trop d’indulgence pour les philosophes et pour leurs opinions. La philosophie trop audacieuse du siècle a une arrière-pensée. » (Lettre, 13 décembre 1786) Cette philosophie ne s’est jamais fatiguée de saper tous les fondements de la monarchie en transformant la Révélation en une simple religion naturelle dans le meilleur des cas. La paternité n’échappa pas à cette attaque en règle. Il suffit de lire l’Émile ou De l’éducation de Jean-Jacques Rousseau : la nature fait bien les choses et il ne faut pas la contrarier ; l’enfant doit donc être libre de ses propres expériences ; le père de famille ne doit pas user d’autorité puisque les seules valeurs sont la liberté, la tolérance, l’égalité. Cette première balafre dans le tissu éducatif chrétien prépare notre décadence actuelle, et Louis XVI, dans sa jeunesse, en fut en partie victime mais il sut rapidement s’en défaire car il laissa agir les lumières surnaturelles. Il ne pouvait oublier que Notre Seigneur fut reconnu pour l’autorité de son enseignement et que le Fils ne cessa d’obéir au Père jusqu’à la mort de la Croix. Si le Roi nous émeut tant, c’est parce qu’il mit en pratique, jusqu’au dernier jour, un souci paternel envers les Français et qu’il fut père attentionné pour ses enfants prisonniers au Temple avec lui. Les principes qui le portèrent alors ne pouvaient que faire enrager ses ennemis, tel Bertrand Barère de Vieuzac déclarant à la Convention le 20 janvier 1793 : « L’arbre de la liberté ne saurait croître s’il n’était arrosé du sang des rois. » Les principes boursouflés de la Révolution prirent racine dans un terreau préparé de longue date par les philosophes, les sociétés secrètes et les journalistes du temps, ceci à partir d’un enseignement déjà perverti. Quelques mois après l’exécution du Roi en 1793, le P. Pierre de Clorivière, — jésuite dans le secret depuis la suppression de son Ordre en 1762 et qui rétablira la Compagnie de Jésus en France en 1814—, écrit ses Études sur la Révolution, avec déjà à l’esprit l’idée d’une restauration de la foi et des mœurs : « Nous n’aurions pas vu la religion dépérir si promptement parmi nous si la jeunesse eût été élevée d’une manière plus chrétienne, et si cette partie de l’éducation qui regarde plus directement la foi n’y eût été trop négligée. Ceux qui se sont servis de leur pouvoir pour établir le règne de l’impiété ont bien senti cette influence de l’éducation, et pour établir solidement leur œuvre mauvaise, pour en perpétuer les effets, ils se sont emparés de tout ce qui regardait l’instruction publique. » Son diagnostic n’a pas pris une ride. Et Louis XVI, prisonnier, comprit que le dernier exemple qu’il pouvait léguer à ses peuples était celui d’une famille unie dans l’épreuve, soucieuse de l’éducation et de l’instruction de ses enfants. Les témoignages à ce sujet sont bouleversants, surtout en pensant à ce que la Convention fera subir à Louis XVII avant de le laisser périr misérablement. Le roi fut proche du dauphin, comme un vrai père aimant et autoritaire jusqu’à ce qu’il fût séparé de force des siens. Il fut fidèle à son devoir de transmission, comme lui-même en avait été le bénéficiaire de la part de son grand-père Louis XV, contre le mauvais air du temps. Adolescent, admirablement instruit notamment par Monsieur de La Vauguyon, il avait été l’objet du mépris d’un philosophe comme Helvétius affirmant avec hauteur : « On ne peut sans inconséquence être à la fois pieux et homme d’État, dévot et bon citoyen, c’est-à-dire honnête homme. » (De l’Homme, de ses Facultés intellectuelles et de son éducation) Ce dernier persifle à l’unisson des frères du futur Louis XVI, qui eux épousèrent sans vergogne l’esprit des Lumières. Propagande donc contre le futur roi qui tient sa source dans des principes éducatifs tordus mis en place en amont de la Révolution. Le P. de Clorivière notera encore : « Il ne suffit pas d’inculquer aux enfants les premiers éléments de la doctrine chrétienne, il faut déraciner de leur esprit et de leur cœur les fausses notions qu’on y a jetées. Il faut accoutumer au joug, des esprits qui n’en ont jamais connu, leur inspirer l’horreur pour le péché dont ils ont été habitués à ne faire aucun cas. Il ne s’agit pas seulement d’annoncer la foi à des hommes qui ne l’ont jamais reçue, mais d’y ramener une nation qui, publiquement, y a renoncé ; il faut l’amener à s’avouer coupable d’apostasie, alors qu’elle se glorifiait de porter la lumière chez les autres peuples. » Cette analyse est plus que jamais actuelle : la France contemporaine ne pourra renaître qu’en passant par ces étapes et en commençant par l’humble repentir de sa trahison.

Alors que le roi n’est plus roi aux yeux de la Nation, il ne lui reste plus qu’à accomplir jusqu’au bout son devoir paternel, et celui-ci s’exprime par des gestes ordinaires. Le fidèle valet de chambre Cléry nous rapporte certains gestes : chaque matin au Temple, à 9 heures, le roi descendait chez la reine et peignait le dauphin avant que tous ne partageassent un même déjeuner. Puis Louis XVI s’occupait de l’éducation du dauphin, en lui faisant réciter des vers de Corneille et de Racine, en lui donnant des leçons de géographie et de cartographie. Souvenons-nous que Louis XVI était très cultivé, intéressé par toutes les sciences, parlant couramment plusieurs langues. La reine se chargeait de l’éducation de Madame Royale. En début d’après-midi, tous avaient le droit de se promener dans le jardin, et le dauphin, sous la direction de Cléry, jouait au palet, au ballon et pratiquait la course. Après le dîner de midi, le dauphin s’exerçait à l’écriture puis jouait à la balle et au volant. Le soir, la reine et Madame Élisabeth lisaient pour tous un ouvrage d’histoire. Le dauphin soupait le premier et sa mère lui faisait réciter ses prières avant de le coucher. Tout ceci malgré la surveillance grossière et humiliante des municipaux de la Commune. Par exemple, le roi ne pouvait apprendre l’arithmétique au dauphin, sous prétexte qu’il aurait pu « parler en chiffres » (sic). Les dames n’eurent pas le droit de faire de la tapisserie car elle aurait pu être « des hiéroglyphes destinés à correspondre avec le dehors » (resic). Le roi tenait bon, s’imposant une discipline parfaite. N’étant pas autorisé à entendre la messe, il lisait chaque jour l’office des chevaliers du Saint-Esprit et Cléry lui procura un bréviaire, ainsi que des livres de piété pour toute la famille. Louis XVI ne se lassa pas de lire durant sa captivité : plus de deux cent cinquante ouvrages, dont Montesquieu, Buffon, Hume, les tragiques français, l’Imitation de Jésus-Christ, et, quatre heures par jour, les auteurs latins. Son inaltérable sérénité déconcertait les conventionnels qui lui rendaient visite. Le 11 décembre 1792, début du procès de Louis Capet, il fut séparé de sa famille, et notamment du dauphin, ce qui, nota Cléry, le plongea dans une tristesse vite surmontée. Le ciel était bas et il pleuvait ce jour-là. Tant de larmes étaient à venir et elles ruissellent encore sur le visage de la France parricide. À la fin de cette parodie de procès, de Sèze, un des trois avocats de Louis XVI, tous admirables, s’écria avec courage devant les juges iniques : « Louis sera donc le seul Français pour lequel il n’existera aucune loi ni aucune forme ! Il n’aura ni les droits du citoyen ni les prérogatives de roi ! Il ne jouira ni de son ancienne condition ni de la nouvelle ! Quelle étrange et inconcevable destinée !…» Victime de tant d’injustice, Louis XVI ne fléchit point, demeurant ferme dans l’empire sur lui-même et dans la persévérance, fruit de l’éducation qu’il avait reçue comme dauphin. Les qualités d’âme de ce roi n’apparaissent pas miraculeusement au pied de l’échafaud. Elles y sont couronnées par l’ultime sacrifice car ce prince les cultiva depuis son plus jeune âge. Jules Michelet lui-même, pourtant très hostile à l’ancienne France, reconnaît que « Louis XVI n’eut qu’un vice, qui était la royauté même. » Il est possible d’ajouter que la royauté, aux yeux de ses adversaires, n’eut également qu’un vice : celle de dépendre de Dieu. Louis XVI traversa une purification à l’aune de l’épreuve et de la douleur, comme la reine d’ailleurs. À l’adresse de la France, de ses nations et de ses peuples, il poussa un cri identique à celui du Maître face à la ville sainte : « Jérusalem ! Jérusalem ! Que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants à la manière d’une poule qui rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ! » (Matthieu, XXIII. 37) Le 20 juin 1791, il avait ainsi essayé de réveiller ses sujets par cet appel : « Français, et vous surtout Parisiens, … revenez à votre roi, il sera toujours votre père, votre meilleur ami. Quel plaisir n’aura-t-il pas d’oublier ses injures personnelles et de se trouver au milieu de vous lorsqu’une constitution qu’il aura acceptée librement fera que notre sainte Religion sera respectée. » Et surtout ses dernières confidences à Cléry, le 18 janvier, alors qu’il vient d’apprendre sa condamnation à mort : « Je ne crains pas la mort ; mais je ne puis envisager sans frémir le sort cruel que je vais laisser après moi à ma famille, à la reine, à nos malheureux enfants ! Je vois le peuple livré à l’anarchie, devenir la victime de toutes les factions, les crimes se succéder, de longues dissensions déchirer la France ; — Oh ! mon Dieu, était-ce là le prix que je devais recevoir de tous mes sacrifices ? N’avais-je pas tout tenté pour assurer le bonheur des Français ? » Paroles d’un père pour sa propre famille et aussi pour la grande famille de la France. Il est blessé dans sa paternité car la Révolution ne peut que la haïr, comme elle détestera aussi la maternité. Paternité et maternité confiés à l’homme par Dieu comme image visible de la relation qui lie tout être à son Créateur, et donc objets de la vindicte d’un régime qui s’arroge les droits divins. Telle est la république française qui poursuit, inlassablement, son œuvre de destruction contre la famille, contre l’éducation chrétienne et même, désormais, contre toute loi naturelle.

Alors quelle réponse en présence de tant d’ignominies accumulées maintenant depuis plus de deux siècles, sinon le témoignage sans fin du juste persécuté, comme le rapporte déjà Isaïe ? « Il a été offert parce que lui-même l’a voulu, et il n’a pas ouvert la bouche ; comme une brebis qu’on mène à la boucherie, comme un agneau devant celui qui le tond, il a gardé le silence. Il a été enlevé par l’angoisse et le jugement. » (LIII. 7-8) Le terrible Marat sera un instant ébranlé par la patience héroïque du roi durant l’interrogatoire du 11 décembre 1792 : « Il s’est entendu appeler Louis sans montrer la moindre humeur, lui qui n’avait jamais entendu résonner à son oreille que le nom de Majesté ; il n’a pas témoigné la moindre impatience tout le temps qu’on l’a tenu debout, lui devant qui aucun homme n’avait le droit de s’asseoir. Innocent, qu’il eût été grand à mes yeux dans cette humiliation ! » (Journal de la République française par l’« Ami du peuple », 12 décembre 1792) Bien des esprits contemporains, loin d’ignorer Louis XVI, continuent de le détester, les mêmes qui blasphèment contre le vrai Dieu et qui ironisent, à l’instar des témoins de la Crucifixion : « Il a sauvé les autres et Il ne peut se sauver lui-même ; s’Il est le Roi d’Israël, qu’Il descende maintenant de la Croix et nous croirons en lui. » (Matthieu, XXVII. 42) Les tambours qui battirent pour couvrir la voix du roi juste avant son exécution continuent follement de retentir afin d’empêcher la proclamation de la Vérité, et les hommes de pouvoir refusent d’être des pères car ils repoussent la paternité divine. Le sacrifice de Louis XVI n’est pas vain car il permettra peut-être à la France de s’agenouiller de nouveau un jour, de recouvrer son honneur, de pleurer son péché qui, par la décapitation d’un roi, l’a conduit à renier son héritage. Nous sommes exsangues, à bout de souffle, mais encore persistant dans l’erreur et dans l’orgueil. Que le silence qui nous accable ne soit pas le signe de notre malédiction mais l’annonce de notre résurrection. Ainsi soit-il.

Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

P. Jean-François Thomas, s. j.

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