Politique

Une maladie bien française

Il est une maladie endémique dont la République Française ne parvient pas à se défaire. Le mal s’est encore aggravé le 22 août avec l’annonce de la candidature à la présidence d’un ancien président, pourtant battu en 2012, à l’issue de son mandat de cinq années. Cette maladie amène des hommes politiques à se croire indispensable, à tenter par tous les moyens de s’accrocher au pouvoir, ou à y revenir. Partout ailleurs en Europe, un chef de gouvernement ou un président, au terme de son mandat ou après une défaite électorale ne songe qu’à se retirer, à écrire ses mémoires ou à donner des conférences bien rémunérées à travers le monde. En Allemagne, les chanceliers Willy Brandt, Helmut Schmidt,  Helmut Kohl ou Gerhard Schröder, pour ne citer que les plus récents,  ont tous su prendre une retraite bien méritée et je n’ai aucun doute qu’Angela Merkel en fera autant le moment venu. Je ne l’imagine pas un seul instant tentant de faire un retour en politique cinq ans après avoir quitté le pouvoir. Il en va de même au Royaume-Uni, ou les premiers ministres savent se faire oublier après avoir abandonné le n°10 de la rue Downing ! Qui se souvient encore de John Major, aujourd’hui ? Premier Ministre de 1990 à 1997, il n’est pourtant âgé que de 73 ans, un âge où, s’il avait été français, il aurait encore pu faire figure d’ « homme providentiel » préparant son grand retour! Même l’Espagne, qui n’est portant sortie de quarante années de dictature qu’en 1975, peut en remontrer à la France, avec des Premiers Ministres qui ont tous su se retirer après avoir perdu le pouvoir : Adolfo Suárez, Leopoldo Calvo-Sotelo, Felipe González, José María Aznar ou José Luis Rodríguez Zapatero sont tous partis pour ne plus revenir, quel qu’eussent été leur âge ou leurs mérites. Même le roi Juan Carlos a, sans le vouloir, donné une leçon à nos présidents de la République française, en prenant la sage décision d’abdiquer alors qu’il aurait pu s’accrocher à son trône jusqu’à ce que mort s’ensuive ! Le roi des Belges Albert II a fait preuve de la même sagesse en cédant la place à son fils, sans y être contraint. Les premiers ministres belges ont fait comme leurs collègues allemands, britanniques et espagnols en se retirant définitivement après une défaite électorale ou un éclatement de coalition gouvernementale : ni Wilfried Martens, ni Jean-Luc Dehaene, ni Guy Verhofstadt, ni Herman Van Rompuy, ni même Elio Di Rupo, pourtant âgé de 65 ans « seulement », n’ont tenté de reconquérir un pouvoir perdu. Certains ont préféré poursuivre leur carrière politique au Parlement Européen ou à la Commission Européenne. Seule la démocratie italienne semble être frappée du même mal que sa sœur de l’autre côté des Alpes. Amintore Fanfani, Aldo Moro ou Giulio Andreotti se sont longtemps crus indispensables et ont présidé de multiples gouvernements durant des périodes s’étalant sur plusieurs décennies. Quant à l’inénarrable Silvio Berlusconi, il semble qu’il ne renoncera jamais aux délices du pouvoir, malgré ses nombreux ennuis judiciaires. Outre-Atlantique, il est complètement inconcevable qu’un président étasunien puisse imaginer de retrouver la Maison Blanche après avoir effectué un ou deux mandats de quatre petites années (même si certains ont préféré passer le relai à leur fils ou à leur épouse) !

La maladie dont souffre la République française ne date pas d’hier. Les IIIe et IVe Républiques étaient déjà atteintes. Certains hommes politiques, comme Édouard Herriot ou Léon Blum ont d’ailleurs occupé les plus hautes fonctions sous les deux, avant et après la Seconde Guerre Mondiale. D’autres l’on fait sous la IVe et sous la Ve. Que dire d’un François Mitterrand qui se lança en politique en 1944 et qui ne l’abandonna que mourant, en 1995, après avoir fait partie de nombreux gouvernements sous la IVe et été l’un des principaux chefs de l’opposition durant les 23 premières années de la Ve pour enfin parvenir à présider cette dernière quatorze années durant? Que dire d’un Jacques Chirac, ministre dans les années soixante, deux fois premier ministre dans les années soixante-dix et dans les années quatre-vingt, maire de Paris durant la même période et enfin Président pendant 13 ans dans les années quatre-vingt-dix et deux-mille ?

Pour estimer être tellement indispensable, qu’a donc fait de si exceptionnel cet ancien Président de la République qui prétend revenir au pouvoir l’an prochain ? N’est-il pas celui qui a drastiquement réduit les forces de police et de gendarmerie, décision qui s’est révélée être lourde de conséquences sous le quinquennat suivant ? N’est-il pas celui qui, pour d’inavouables raisons, a lancé la France dans l’aventure libyenne, une aventure aux conséquences désastreuses pour toute la région sahélienne et pour le bassin méditerranéen ? Et surtout, n’est-il pas l’homme qui, par son comportement, son arrogance et son style de vie, a considérablement abaissé la fonction présidentielle ?

Le remplacement du septennat par un quinquennat avait déjà fortement contribué à réduire le prestige de cette fonction. Désormais, le Président de la République n’est plus qu’un homme politique comme un autre, sans jamais devenir un véritable homme d’État. À peine élu, sa légitimité est remise en question par une avalanche de sondages devenus des instruments indispensables et essentiels de la vie politique. Comment prendre des décisions engageant le pays pour dix, vingt ou trente ans quand on a pour tout horizon que sa propre réélection, moins de cinq ans après son entrée au Palais de l’Elysée ? Comment mener des actions décisives mais impopulaires lorsque l’on est obsédé par sa « côte de popularité » ?

Pour tenter, sinon de la guérir, du moins pour octroyer une salutaire période de rémission à cette République,  voici ce que je ferais si je m’appelais François Hollande. J’annoncerais dès à présent et de manière solennelle que je ne me représenterais pas et que, libéré de toute échéance électorale,  j’entendais consacrer tout mon temps et toute mon énergie, durant les derniers mois de mon mandat, à sortir la France de la crise économique, sociale et sécuritaire dans laquelle elle est plongée.  J’annoncerais des initiatives courageuses, même si elles devaient se révéler impopulaires. Qu’importe la popularité lorsque l’on n’a plus à faire face à des échéances électorales ? Je réduirais la taille du gouvernement et j’en profiterais pour me débarrasser de ministres trop politiques pour les remplacer par des technocrates compétents et peu soucieux de leur « carrière ». Je proposerais également des approches innovantes pour secouer cette Union Européenne et ses eurocrates bruxellois. Enfin, je prendrais des initiatives en vue d’une solution diplomatique à la crise syrienne où la France s’est jusqu’à présent complètement fourvoyée. 

En agissant ainsi, François Hollande quitterait la présidence par la grande porte tout en donnant un exemple à ses rivaux de droite comme de gauche. En agissant ainsi, il assainirait la vie politique et rendrait difficile un retour en arrière. En agissant ainsi, il laisserait sa marque dans l’Histoire. Mais je ne m’appelle pas François Hollande. L’actuel Président de la République va très certainement terminer son mandat comme il l’a commencé et, pire, il va se représenter aux suffrages des Français. Ah ! Comme il est affligeant, ce « vieux » pays de 65 millions d’habitants où l’on risque de retrouver, au second tour de l’élection présidentielle de 2017, les mêmes candidats qu’à celle de 2012 ! 

Hervé Cheuzeville

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