Les chroniques du père Jean-François ThomasPolitique

De la mobilisation vers le néant, par le R. P. Jean-François Thomas

Pendant longtemps la mobilisation fut réservée au monde militaire en cas de danger pour l’intégrité de la patrie, de la nation, du pays. La chirurgie l’utilise aussi lorsqu’elle libère un organe de ses adhérences, et la banque, avec le droit, n’est pas en reste pour définir certaines de ses transactions pour des créances. Désormais, la mobilisation est générale, devenue un des mantras favoris des hommes politiques, des gens en vue, des « élites », de ceux à qui la parole est donnée sans compter. La mobilisation se précipite de plus en plus vite d’ailleurs car il ne se passe plus de jour où elle ne soit proclamée. Un Mélenchon la tartine sur tous les pains : « Nous allons avoir un besoin immense de mobilisation de tout le monde, parce que nous allons faire changer de haut en bas toutes nos manières de produire pour faire la grande transition écologique dont l’humanité a besoin ! » (Discours à Tourcoing en 2017) Il faut dire que l’exemple vient de haut puisque Macron en fait une consommation abusive. Personne n’a oublié la solennité de sa guerre contre le terrible virus qui devait rayer l’humanité de la surface de la terre : « Cette crise doit être l’occasion d’une mobilisation nationale de solidarité entre générations. Nous en avons les ressorts. Je compte sur vous, toutes et tous pour faire nation. » (12 mars 2020) Et encore : « Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire certes. Nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une autre nation. Mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale. » (16 mars 2020)  Il avait préparé le plat en amont, lors de son grand débat national : « Cette crise doit être l’occasion d’une mobilisation nationale de solidarité entre générations. Nous en avons les ressorts. Je compte sur vous, toutes et tous pour faire nation. » (25 avril 2019) Plusieurs volumes ne suffiraient pas à contenir toutes ces paroles d’or gravées à jamais dans le marbre républicain. Cette répétition, jusqu’à la nausée, produit son effet et habitue les esprits — ce qu’il en reste —, à entrer dans la danse et à relayer cette mobilisation pour toutes sortes de causes, plus délirantes les unes que les autres.

Pendant des siècles, les hommes se sont « mobilisés » pour croître dans le bien, pour avancer sur le chemin de sainteté et ils cultivaient tous les moyens mis à leur disposition pour atteindre ce but, à savoir le salut. Ils savaient qu’ils avaient une âme et que celle-ci réclamait des soins prioritaires. Aujourd’hui, puisque Dieu est mort et que, pour la plupart des croyants qui subsistent, le paradis est promis pour tous, à quoi bon se mobiliser pour le ciel ? Il est jugé préférable de se mobiliser pour la sauvegarde de la Terre Mère, contre le réchauffement climatique, pour la culture bio, pour la protection des hippocampes, pour l’accueil des clandestins, contre le fascisme, pour le énième marathon contre tous les cancers, contre le sexisme et pour le genrisme, etc. La terreur contemporaine n’est plus de perdre son âme mais de passer à côté de l’événement du moment, d’être déphasé, de ne pas dialoguer avec son temps. L’Église institutionnelle est frappée de plein fouet par ce mal moderniste. Même les Tartares, les Barbares, les Mahométans ou les Cosaques ne sont plus attendus comme des envahisseurs redoutés. Nos bras leur sont ouverts car, si d’aventure ils surgissaient, ce serait une occasion supplémentaire de se mobiliser, non pas en les repoussant mais en les embrassant avant d’être égorgés ou décapités. Les marches blanches ou plus colorées sont nos seules témérités pour dire non. Non point pour dire non au péché mais pour crier haut et fort à des ennemis invisibles ou méprisants : « Vous n’aurez pas ma haine ! » Soldats d’opérette derrière des chefs de carton-pâte, nous défilons pour défendre les nouvelles vertus républicaines qui sont un retournement complet des vertus chrétiennes. Là où nos pères travaillaient pour respecter la vie, nous proclamons la mort et nous votons des lois qui la favorisent. Philippe Muray avait parlé, parmi tant d’autres choses pertinentes, des « marathonades de la Vertu » propres à notre époque. La moralité de la mobilisation se dresse toujours à l’encontre des mœurs chrétiennes. Les troupes ne manquent pas à l’appel, le petit doigt sur la couture du pantalon. Muray parle du « troupeau aboyant des légalophiles, et toute la meute transhumante des petits savonaroles de la légifération perpétuelle » dont on voit « saliver les babines saignantes. » (Après l’Histoire II, juillet-août 1999) La mobilisation pour toutes ces nobles causes signifie que la chasse est ouverte contre la vérité, la beauté et la bonté. Il ne suffit pas d’avoir crucifié une première fois Celui qui en est l’origine. Comme Il a eu l’outrecuidance de bouleverser nos plans en écrasant la mort et qu’Il nous a échappé en retournant vers le Père, à nous de prendre notre revanche en transformant son héritage en simulacre. Nous sommes fiers d’avoir dépassé le christianisme.

Cette citation savoureuse de Philippe Muray souligne bien à quel point notre mobilisation générale contre le Créateur a porté du fruit : « Pas davantage que dans l’indivision, nul n’est tenu de rester dans le monothéisme. Nul n’est tenu de croire au Buisson ardent, au passage de la mer Rouge, à l’attente de Dieu par Élie sur le mont Horeb. Nul n’est obligé de prendre au sérieux la Nativité, les rois mages, la Trinité, la communion des saints, le sermon sur la montagne, l’onction à Béthanie. Nul n’est contraint d’apporter foi à la Résurrection, à l’Ascension, aux quarante miracles des Évangiles. Nul n’est tenu de rester dans l’incarnation. Nul n’y a même jamais été moins tenu qu’aujourd’hui. Chacun est libre de raconter n’importe quoi : que le Christ est né la semaine dernière à Mulhouse par insémination d’une lesbienne anorexique, que saint Paul a émigré en Californie au lieu d’avoir la tête tranchée sur la route d’Ostie, que Moïse surfe sur le Web, qu’Ézéchiel tient un magasin de farces et attrapes à Ploumanach dans le centre-ville, que la fuite en Égypte s’est effectuée à bord d’un 4×4 avec pare-chocs anti-chameaux et badge “Bébé à bord” collé sur la lunette arrière. » (Exorcismes spirituels IV, octobre 2004) Dans une telle société, les bougies, les ballons, les fleurs et les ours en peluche ont une belle carrière devant eux et n’en finiront pas de s’entasser à chaque mobilisation larmoyante lorsque quelque chose se produit alors que plus rien n’était attendu, sauf une fête nouvelle. Heureusement Dieu s’est réfugié dans le ballon rond — depuis que les Bretons ont abandonné leur chapeau de forme identique, et leur foi par la même occasion (mais ils ne sont pas les seuls dans ce cas) —, car ainsi les forces vives et les chances pour la France se mobilisent dans cette adoration et ce culte d’un type inédit. En fait, tout a été divinisé, sauf ce qui mérite de l’être. Les statues déboulonnées sont remplacées par des idoles aussi vite défraîchies qu’elles ne sont érigées.

Lisons encore Muray : « La civilisation actuelle s’est engagée dans la besogne titanesque consistant à éradiquer l’instinct de mort, quel que soit le nom qu’on lui donne (part maudite, hostilité primaire, violence, péché, négativité, Mal, etc.) au profit de l’édification d’un monde abstrait, stylisé, épuré, nettoyé de toutes les irrégularités, de tous les accidents, de tous les écarts, de toutes les perturbations, de toutes les velléités de destruction ou d’autodestruction des siècles révolus. » (Exorcismes spirituels III, 1999) À chacun de prendre la décision de faire marche arrière et de ne plus conduire à contresens car sinon la fin ne pourrait être que tragique.

P. Jean-François Thomas, s. j.

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