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Afrique : la malédiction des dinosaures

Les évènements qui se déroulent ces jours-ci au Burkina Faso sont symptomatiques de ce que j’appellerais la « malédiction des dinosaures ». Le président Blaise Compaoré est arrivé au pouvoir en 1987, grâce à un coup d’Etat militaire qui vit l’élimination physique du charismatique capitaine Thomas Sankara. Ce dernier était lui-même devenu président trois ans plus tôt par le biais d’un autre coup d’Etat, déjà organisé par son collègue, ami et futur tombeur, le lieutenant Blaise Compaoré…

27 ans plus tard, Compaoré était toujours président. Au fil des ans, son régime militaire s’est déguisé en régime civil, des élections ont été organisées et le président a ainsi été « légitimé » lors de présidentielles sans surprise. D’abord deux septennats puis, comme si cela ne suffisait pas, deux quinquennats dont le second devait s’achever l’année prochaine. La constitution de 1992, promulguée alors qu’il était déjà président, lui a posé un problème. Déjà, par deux fois, le président l’a fait amender.   La première fois en janvier 1997 pour supprimer l’article prévoyant une limitation du nombre de mandats, la seconde fois en avril 2000 pour changer la durée du mandat présidentiel (5 ans au lieu de 7) et pour réintroduire une limitation du nombre de mandats : désormais, le président élu pour cinq années ne pouvait être réélu qu’une seule fois.  A 63 ans, Blaise Compaoré s’aperçut  qu’il allait être victime de son propre piège constitutionnel : il n’allait pas pouvoir se représenter en 2015. Qu’à cela ne tienne ! Pour régler ce détail, il suffisait de modifier une nouvelle fois la constitution afin d’éliminer cet ennuyeux article 37 limitant le nombre de mandats… Le parti présidentiel étant majoritaire à l’Assemblée Nationale, le président était convaincu que cela ne poserait pas de problème majeur. C’était compter sans l’exaspération du peuple burkinabè et son désir de changement. La majorité de la population n’a connu qu’un seul chef d’Etat, Blaise Compaoré. Le vent qui, pour les mêmes raisons, a balayé Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte se mit alors à souffler au Burkina Faso. 

Blaise Compaoré n’était peut-être pas le pire des dirigeants africains. Contrairement à d’autres dinosaures du continent, il n’avait pas de génocides ou d’invasion de pays voisins sur la conscience, même si, 27 ans plus tard, on continuait à lui reprocher le meurtre de son mythique prédécesseur. On l’accusait aussi d’être à l’origine de l’assassinat par des policiers, en 1998, du célèbre journaliste Norbert Zongo, ainsi que de la mort de manifestants, victimes de la répression. Compaoré a malgré tout apporté une relative stabilité à un pays qui en avait bien besoin, ce qui a permis un certain développement. Le Burkina Faso est un pays pauvre et enclavé faisant partie des 10 pays les plus sous-développés de la planète. Le chômage touche massivement la jeunesse, malgré une croissance économique qui, depuis plusieurs années, frôle les 10 %. La diplomatie burkinabè a été très active pour résoudre les crises régionales, dans lesquelles le président a souvent joué le rôle de médiateur. Cependant, le tort principal de l’homme fort de Ouagadougou fut de ne pas avoir su passer la main à temps. S’il avait eu la sagesse de se retirer en 2000, sans doute serait-il entré dans l’Histoire de son pays et du continent, en devenant une sorte de sage africain auquel il aurait été fait appel de temps à autre pour effectuer des médiations, à l’instar d’un Julius Nyerere, d’un Joaquim Chissano ou d’un Pierre Buyoya.  Ces trois anciens présidents africains sont pourtant longtemps restés au pouvoir, dans leurs pays respectifs. Mais ils ont su comprendre à temps que l’heure était venue se retirer, de laisser la place à d’autres.

Détail qui ne devrait pas laisser mes lecteurs indifférents : durant les évènements qui ont secoué la capitale burkinabè, il est un homme qui a joué un rôle considérable, un rôle de médiateur, et qui a sans doute permis de résoudre la crise. C’est l’empereur des Mossi, la principale ethnie du pays, le Mogho-Naba, Baongo II, qui règne depuis 1982. Issu d’une dynastie fondée vers le XIe ou le XIIe siècle, il est toujours vu comme un recours par les Burkinabès d’origine mossi.

Blaise Compaoré n’est pas le seul dirigeant africain à souffrir de ce syndrome de l’homme indispensable, à défaut d’être providentiel. Trois présidents actuels sont arrivés au pouvoir à la fin des années 70. L’actuel doyen du continent est Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, 72 ans, qui préside aux destinées de la petite république de Guinée Equatoriale depuis 3 août 1979, après qu’il eut renversé et fait fusiller son oncle, le dictateur fou Francisco Macías Nguema.  Le vice-doyen est José Eduardo dos Santos, 72 ans lui aussi, président de l’Angola depuis le 21 septembre 1979. Il est vrai que ces deux chefs d’Etat dirigent des pays qui sont de gros producteurs de pétrole, détail qui a certainement contribué à leur longévité ! Mais celui qui pourrait être considéré comme le véritable doyen des présidents du contient est sans conteste Denis Sassou-Nguesso, du Congo-Brazzaville. Son règne, commencé le 8 février 1979, s’est interrompu en  août 1992, lorsque, lors des premières élections libres, il n’arriva qu’en troisième position, avec seulement 16,87 % des suffrages. Il put cependant reprendre les rênes du pays le 25 octobre 1997, à l’issue d’une sanglante guerre civile de cinq mois, qui fit au moins 400 000 morts. La rivalité entre grandes compagnies pétrolières fut certainement la cause principale de ce conflit. Car le Congo, lui aussi, est riche en hydrocarbures. A ces trois dinosaures des années 70, je serais tenté de rajouter Paul Biya, 81 ans, président du Cameroun depuis le 6 novembre 1982. En effet, c’est en 1975 qu’il fut nommé premier ministre par le premier président El Hadj Amadou Ahidjo. C’est d’ailleurs ce poste qui lui permit d’accéder au fauteuil présidentiel, après la démission du père de l’indépendance, qui avait eu la sagesse de partir après « seulement » 22 ans de pouvoir. En 54 années d’indépendance, le Cameroun n’a donc connu que deux chefs d’Etat. 

Les années 80 ont vu l’arrivée au pouvoir d’une série de leaders qui continuent à s’y accrocher, plus d’un quart de siècle plus tard. Le plus atteint par le syndrome de l’homme indispensable est sans nul doute Robert Mugabe, devenu premier ministre exécutif du Zimbabwe en 1980, puis président en 1987. A bientôt 91 ans, il continue à s’accrocher. On lui prête d’ailleurs l’intention de passer le relai, le moment venu, à son épouse Grace.

Yoweri Museveni, 70 ans, est arrivé à la tête de l’Ouganda peu de temps avant Blaise Compaoré, en janvier 1986, après avoir dirigé une guérilla de 5 années. Lui aussi a modifié sa propre constitution afin de pouvoir se représenter. Lui aussi a remporté à plusieurs reprises des élections douteuses. Nul doute qu’il prévoit d’être candidat aux élections de 2016, après trente années de pouvoir. A Kampala, des rumeurs insistantes indiquent qu’il aurait l’intention de transmettre ensuite le pouvoir à son fils, Muhoozi Kainerugaba, lequel a fait une carrière météorique dans l’armée : à 40 ans, il est déjà général de brigade et commandant du « Groupe des Forces Spéciales », une unité de l’armée ougandaise qui comprend, entre autre, la garde présidentielle.

Le troisième dinosaure parvenu au pouvoir dans les années 80 est le général Omar Hassan el-Béchir, 70 ans, arrivé à la tête du Soudan grâce à un putsch, le 30 juin 1989, et responsable des millions de morts de deux guerres sanglantes, l’une dans le sud du pays devenu indépendant en 2011, l’autre dans la région occidentale du Darfour, qui se poursuit encore aujourd’hui. Bien qu’il soit sous le coup d’un mandat d’arrêt international de la Cour Pénale Internationale depuis 2009, pour les crimes commis au Darfour, il semblerait qu’il ait l’intention de se représenter aux élections présidentielles de 2015.

L’exemple de Blaise Compaoré va-t-il faire réfléchir tous ces « inamovibles » présidents, dont la liste pourrait également inclure quelques autres, arrivés au pouvoir au début des années 90 ? Rien n’est moins sûr. Je suis cependant certain que les images des jeunes manifestants de Ouagadougou vues sur CNN, BBC World, Al Jazeera et France 24 ne manqueront pas de donner des idées à la jeunesse du continent, depuis Harare jusqu’à Khartoum !  

Pour ne pas contribuer à l’ « afropessimisme » ambiant, je ne voudrais pas terminer cet article sans citer un exemple positif, celui de la Zambie. Ce pays d’Afrique australe a perdu son président, Michael Sata, le 28 octobre dernier. Il est décédé dans un hôpital londonien, à l’âge de 77 ans. Il avait été élu septembre 2011 après avoir battu le président sortant, Rupiah Banda. Le fait est tellement rare qu’il mérite d’être souligné : il l’avait emporté contre le président sortant, candidat à sa propre succession ! Rupiah Banda lui avait d’ailleurs téléphoné pour le féliciter. Lorsque le décès du président Sata a été annoncé, c’est la constitution zambienne qui a été appliquée : le vice-président Guy Scott est devenu président par intérim, il lui incombe d’organiser de nouvelles élections présidentielles dans un délai de 90 jours. Il a déjà annoncé que lui-même ne serait pas candidat. Petit détail qui rend la démocratie zambienne encore plus exemplaire : Guy Scott est un Zambien blanc, né de parents d’origine britannique.

Enfin, je ne voudrais surtout pas donner à penser à mes lecteurs que les dinosaures n’existent qu’en Afrique. On en trouve également en Europe. Le Belarus, par exemple, est dirigé par le même président depuis 1994. En France même, le syndrome de l’homme indispensable semble avoir fait des victimes. Un ancien président, pourtant battu après avoir sollicité un second mandat, tente déjà de se faire passer pour le sauveur de son parti et de son pays, et se voit déjà de retour au Palais de l’Elysée. Aujourd’hui, j’ai écouté attentivement les propos, sur France Info, du président du Groupe d’Amitié France – Burkina Faso, qui commentait doctement la situation de l’ancienne Haute-Volta. Il n’est pas inintéressant de noter que ce député de l’Eure, François Loncle, 73 ans, a été élu pour la première fois en 1981, six ans avant l’arrivée au pouvoir de Blaise Compaoré !  

Hervé Cheuzeville

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