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Question de langue : entre français et japonais, par Paul de Beaulias

La langue française est réputée pour sa subtilité, sa capacité d’abstraction, et sa précision, qui ne blesse pas sa capacité poétique. La confrontation avec d’autres langues (et ici le japonais en particulier) confirme par l’expérience ce lieu commun qui, pour une fois, est juste.

Une autre force de la langue française est sa fixité, grâce à l’Académie française, fondée par Richelieu, qui a fait du français « une langue morte », avec des règles de grammaire fixes, et un vocabulaire stabilisé. Adossé à une culture latine classique solide, le français avait cette force insigne de pouvoir traverser les temps avec une grande stabilité, et de nous permettre ainsi de penser avec des concepts clairs et stables et de discuter avec les Français de l’ancien temps ; tout Français normalement cultivé peut lire un texte du grand siècle sans difficulté, et sans trop de problème ni de syntaxe, ni de vocabulaire, ni de grammaire.

Disons-le à nos lecteurs : cette situation n’est pas universelle.

Prenons le japonais par exemple : il n’existe pas d’« Académie japonaise », cette langue manifeste une grande instabilité et une grande variabilité dans le temps. Des jeunes d’aujourd’hui peuvent avoir du mal à lire un texte d’avant-guerre, comme si nous lisions un texte d’ancien français du XVIe siècle.

Pour ce qui est du japonais du XIXe siècle, ce serait comme lire le français du Moyen Âge : le japonais moyen n’y comprend rien, et s’il comprend, il peine à lire.

L’absence d’« Académie japonaise » a pour conséquence qu’il n’existe pas de référent qui pose les règles de la langue, règles qui sont donc essentiellement « coutumières » : ce qui est grammaticalement et syntaxiquement juste peut ne pas bien passer, car « cela ne se dit pas ». Inversement l’usage fait loi, systématiquement. Comme cela est coutumier, et qu’il n’y a pas de référents, ces questions sont subjectives, mais cette subjectivité a tendance à s’ériger comme règle, rendant plus difficile le discours rigoureux.

L’uniformisation accélérée avec la télévision, l’école, et l’appauvrissement du vocabulaire, ne fait qu’accentuer une standardisation de la langue, et une difficulté à accepter les accents et la variété dans le langage : le temps des nombreux dialectes et des styles littéraires variés est de plus en plus lointain.

L’oubli de la culture chinoise classique et du chinois écrit accélère d’ailleurs la perte des repères de la langue japonaise : historiquement, le japonais était adossé à la connaissance et à l’écriture du chinois classique par les élites, ce qui contribuait à remettre une certaine base de référence dans la langue. Ce repère, cet ancre disparue, la langue part à la dérive.

Cela est vrai pour le français aussi, mais même sans le latin, l’Académie française constitue une seconde digue : sera-t-elle suffisante ?

Au point de vue conceptuelle, la langue japonaise manque cruellement de précision et de stabilité : la majeure partie des mots actuels furent introduits depuis l’occident au XIXe siècle, et les mots, sans définition claire le plus souvent, rendent difficiles les discussions intellectuelles, car souvent chacun ne discute pas sur les mêmes fondements, ou en utilisant les mots dans le même sens. La pluralité du vocabulaire ainsi introduit, et l’apparition de nombreux néologismes et anglicismes, contribuent à flouter le sens des mots et leur aspect de concept universel. Là encore, nous ne nous en rendons pas compte, mais le français a une force insigne : de nombreux mots ont une longue histoire et une base conceptuelle bien assise.

Ce phénomène se constate d’ailleurs dans la traduction : une IA traduit beaucoup mieux et de façon assez satisfaisante du français en japonais, mais très peu satisfaisante du japonais en français. Cela est dû à la différence de précision conceptuelle des langues.

Il est en fait beaucoup plus facile d’écrire en français, puis de traduire en japonais, que l’inverse.

Bref, prenons soin de notre langue, car c’est bien elle qui nous permet de penser, et de bien penser : toutes les langues n’ont pas cette chance, et si chaque langue a certainement un génie, toutes les langues ne se valent pas.

Paul de Beaulias

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !

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