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De l’amour spirituel et de l’amour charnel, par Paul-Raymond du Lac

Notre monde contemporain s’est éloigné de l’amour de Dieu, qui nourrissait un saint amour du prochain, spirituel et pur. Il ne reste plus aujourd’hui que de vagues souvenirs déformés des sommets de la chrétienté dans les visions vagues que « l’amitié » et « l’amour » sont positifs.

Il suffit pourtant de regarder autour de nous, et dans notre propre expérience, pour se rendre compte à quel point notre temps est devenu passionnel et passionné, sans raison, et dans un amour au mieux mondain et intéressé, au pire bestial et vulgaire. Tout ce qui est véhiculé partout, de l’école au cinéma, n’est qu’un amour dévoyé et triste : un théâtre importé dans la vie réelle comme expédient pour oublier momentanément son propre néant, pour ne pas être seul — avoir un partenaire n’est plus très loin de la compagnie d’un chien — et pour s’occuper, dans les jeux de séduction, disputes et jalousie.

Bref, rien de vraiment ragoûtant. Et pourtant qui ne se fait pas avoir aujourd’hui ? Nous ne sommes plus prévenus, ni enseignés… Et nous ne savons plus ce qu’aimer veut dire. Pour combien de personnes « aimer les mandarines » n’est pas si différant « d’aimer un homme ».

Alors revenons à l’enseignement classique : je propose de laisser la parole à un père jésuite italien du XVIIIe siècle, qui résume la doctrine de saint Bonaventure sur le sujet, que nous devrions tous relire aujourd’hui. Je vous préviens, c’est violent pour nos mentalités contemporaines, mais tellement vrai : vous avez en vis-à-vis le vrai amour et le faux amour, et aujourd’hui tout va dans le sens du faux amour…

« Le docteur séraphique, non content d’avertir les personnes pieuses d’une illusion si pernicieuse, leur donne ensuite quelques marques pour discerner l’un et l’autre amour, afin que quand le démon leur présentera l’amour charnel déguisé en amour saint, elles sachent le reconnaître et ne tombent pas dans ses filets. Les marques qu’il donne sont au nombre de sept. Je les exposerai en peu de mots :

Le saint amour se plaît en des entretiens spirituels, utiles et édifiants ; tandis que l’amour profane se plaît dans des discours vains, légers, affectueux, où l’on se révèle à l’objet aimé.

L’amour spirituel procède toujours avec la modestie dans les veux et la décence dans les manières ; taudis que l’amour charnel est libre dans les regards et hardi dans les gestes.

Le bon amour pense peu à l’ami quand il est absent, et s’il y pense, c’est pour le recommander à Dieu dans la prière. L’amour mauvais, ou moins bon, y pense constamment, même au temps de l’oraison. C’est là un signe évident (pie Ia personne aimée est entrée trop avant dans le cœur, puisqu’on est avec elle par la pensée dans le temps qu’on devrait être seul avec Dieu.

Le saint amour, comme ce qui est universel et dépouillé de passion, désire que le bien qu’on veut à l’ami, d’autres le lui veuillent aussi ; tandis que l’amour charnel est rempli d’une jalousie inquiète et s’attriste que d’autres aiment la personne aimée, s’entretiennent avec elle et entrent dans ses bonnes grâces, par la crainte de déchoir soi-même auprès d’elle.

L’amour vertueux supporte quelque mauvais procédé de la personne aimée et ne s’en offense pas. L’amour imparfait ou vicieux ne le peut tolérer ; il s’en indigne, reproche ses services, entre en contestation et va jusqu’ à cette rupture qu’on appelle dispute d’amants (jurgia amantium). Après, la guerre finit par un lien plus étroit, chacun ne pouvant vivre sans la personne aimée.

L’amour spirituel, dit le docteur séraphique, en empruntant les paroles de S. Jérôme, n’aime pas les présents. Au contraire, l’amour mondain est très porté à se concilier L’affection par des dons, à se déclarer dans de douces lettres et à conserver les présents comme des marques de retour « Une affection pure et » sainte dédaigne les petits cadeaux, tels que rubans, ceintures, friandises et billets affectueux ! . »

L’amour saint incline à avertir son ami des défauts qu’on remarque en lui (parce que ce qu’on déleste en soi-même, on le déleste aussi dans la personne qu’on aime) ; tandis que l’amour profane les dissimule, les excuse, les défend et adule la personne aimée, parce que tout son empressement n’est pas de procurer son vrai bien, mais de ne pas perdre ses bonnes grâces. Que le lecteur ait toutes ces marques devant les yeux. Il saura reconnaître l’amour charnel et le démon ne parviendra pas à lui faire prendre le change, malgré toutes ses industries et ces vaines apparences. »1 (ndlr : la mise en gras de certains passages est de nous). »

Je dirai à nos lecteurs d’éviter quand même de trop abruptement oublier le cadeau d’anniversaire de votre épouse, en expliquant que le vrai amour n’aime pas les présents. Disons qu’il ne faut pas être négligent, et qu’il est bon de montrer son amour par des présents, mais qu’il ne faut pas les aimer, ni s’y attacher, ni croire que cela a un lien avec l’amour spirituel. L’amour arrivé au niveau de Dieu, sanctifié, n’a plus besoin de ces supports très « humains »…

Je vous déconseillerai aussi de dire à votre épouse de but en blanc sans pincettes ses défauts, ou que vous ne pensez jamais à elle ! Vous prendriez des risques qui ressortent de la témérité ! Et cela pourrait être mal compris.

Blague à part, cet amour dont parle le docteur séraphique est vraiment celui d’un haut niveau spirituel, qui suppose une pratique assidue des vertus théologales, et une mortification de son amour propre avancée par la pratique de l’humilité. Ces critères, ces marques, nous sont du moins utiles pour pouvoir apprécier où nous en sommes avec nos amis et ceux qu’on décide d’aimer. Car, pour finir, rappelons l’essentiel : l’amour n’est pas qu’un sentiment, mais un acte de la volonté décidant d’œuvrer pour le bien de l’ami, et n’a pas besoin d’être réciproque pour être bon et beau. Jésus nous aime tellement et pourtant il y a si peu de personnes qui lui rendent Son Amour !

Alors, aimons, mais aimons bien, aimons spirituellement !

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !


1 Père Scaramelli, Le Discernement des esprits, Hte Walzer, Paris, 1893, p. 368-371.

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