Chretienté/christianophobie

Solitude et Incarnation

L’entrée dans l’Avent, qui est un « petit Carême », invite à méditer sur le pèlerinage terrestre que s’apprête à accomplir le Sauveur dans son Incarnation, tout particulièrement la solitude humaine qu’Il a vécue. L’écrivain au parcours étonnant que fut René Schwob rédigea en 1935 un ouvrage intitulé Solitude de Jésus-Christ, relatant une de ses pérégrinations en Terre Sainte. Il avait été grièvement blessé sur le champ de bataille en 1914, à dix-neuf ans, et laissé pour mort. Là, ce juif athée avait entendu une voix lui révéler : « Tu seras sauvé si tu m’aimes ». Depuis lors, il ne cessa de lutter contre la conversion, s’en ouvrant même longuement à Paul Claudel lors de son voyage au Japon en 1925, et lorsqu’il reçut finalement le baptême en 1926, ce ne fut pratiquement qu’à contrecœur. Empoisonné par l’influence d’André Gide, alors à son apogée, tiraillé par ses inquiétudes et de multiples tentations, il finira, à coups de lutte incessante, par trouver la paix grâce à l’Imitation de Jésus-Christ, à la confession et à la communion quotidienne à laquelle il se força et qui transforma son âme irrémédiablement. Il notera alors : « Quel chemin parcouru ! Je découvre un pays que je ne soupçonnais pas et déjà m’y trouve à l’aise. C’est comme si Dieu avait attendu au seuil de mon âme que je lui ouvre pour s’y précipiter. » Il s’était battu dans une solitude extrême, celle de l’abjection semblable à celle de Notre Seigneur durant sa vie parmi nous. Il avait connu une déréliction à l’image de celle du Christ, ceci dès la naissance à Bethléem.

La solitude divine est un face à face constant avec le dénuement, alors qu’il s’agit d’un Roi, le souverain de l’univers. Bien sûr Jésus connaîtra des joies humaines et ne cessera d’être aimé par sa Mère et quelques êtres fidèles, même au plus profond de la trahison de la Passion. Nous savons qu’au désert, avant d’initier sa prédication publique, Il vécut au milieu des bêtes sauvages et qu’Il fut servi par des anges. Il appela ensuite quelques hommes fragiles à le suivre et certains l’écoutèrent avec plus ou moins d’enthousiasme. Mais au fond, Il ne passa parmi nous que dans une extrême solitude inscrite déjà dans la pierre de la grotte de la Nativité.

René Schwob, assistant à une messe basse de Noël dans cette sainte caverne, relate : « La douceur épouvantable de cette nuit de la pierre, choisie entre tous les lieux dont Il aurait pu accorder à sa mère la grâce plus humaine, cette terrible douceur-là comment l’oublier quand on y est descendu ? (…) L’homme à l’abandon, il faut voir à Bethléem ce que cela veut dire. (…)O douceur épouvantable et qui exige de nous que nous ne nous bornions pas à dire Seigneur ! Seigneur ! Mais à souffrir sur la pierre et le bois, à souffrir avec Lui pour pouvoir Le nommer notre Sauveur. Douceur de Bethléem où il n’y a rien à faire en présence d’une exigence aussi inéluctable, nous donneras-tu la force de surmonter cette misère de notre âme – qui se refuse à ta misère ? »

Durant les semaines à venir, nous pouvons contempler cette solitude du Sauveur, une solitude non point subie, mais choisie par amour pour nous. Dès que le message évangélique s’envolera aux quatre coins du monde, des hommes imiteront ce sacrifice, à commencer par saint Antoine et tous les Pères du désert, et ceci jusqu’à nous, par exemple dans le « grand silence » de la Chartreuse. Chacun cependant peut prendre sa part dans cette offrande, quel que soit l’état de vie. Le poète Francis Jammes notait dans Le Crucifix du poète : « Seigneur, en cet exil, le chrétien est aussi solitaire que, durant la captivité, le vieux Tobie qui enterrait secrètement ses morts. » Il est certain que la solitude nous pèse souvent et nous décourage, nous poussant à dire « A quoi bon ? » lorsque nous nous découvrons comme des bêtes cernées au milieu de meutes menaçantes et hostiles. Cependant si le Maître a montré la voie, comment pourrions-nous hésiter et baisser les bras ? Il est possible que la conscience de notre indignité nous intimide et nous effraie et que nous n’osions pas mettre nos pas, tout simplement et avec confiance, dans ceux du Christ. Pourtant, pourtant ! Jammes s’exprime ainsi :

« Reviens, fils fatigué de garder les pourceaux,

Pauvre qui t’es nourri de gousses coriaces

Après avoir traîné ta chair dans les ruisseaux

Où te menait Phryné, ta chair maintenant lasse.

Je n’ose pas rentrer chez vous, ainsi souillé ;

Ma robe est en lambeaux, je n’ose pas, mon père.

O fils, il me suffit que tes yeux soient mouillés…

Viens, je te donnerai la robe de ton Frère

Qu’ils ont jouée aux dés.

Je n’ose pas revoir la face de ma mère,

De crainte de sentir sur elle, en la baisant,

Les pleurs qu’a fait couler longtemps mon cœur de pierre.

C’est la Mère de Dieu, toute pleine du sang

Que son Fils a pleuré qui t’en fait la prière :

Reviens, ô mon enfant. »

Il n’est plus temps d’hésiter. Dieu nous tend les bras durant l’Avent. Nous n’y serons plus seuls, même si le monde nous isole.

                                                                       P. Jean-François Thomas s.j.

                                                                       I° dimanche de l’Avent 2016

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