Chretienté/christianophobie

Résurrection

 

Les jours qui suivent Pâques nous transportent jusqu’à la porte de ce qui nous est promis, à savoir notre propre résurrection. Paul Claudel écrivait à André Gide : « Notre résurrection n’est pas tout entière dans le futur, elle est aussi en nous, elle commence, elle a déjà commencé. » Voilà qui provoque notre joie intérieure, non pas cette gaieté superficielle et extérieure, bruyante, qui se rit de tout et de tous, mais cette intimité de l’âme qui ne se laisse pas deviner au premier regard. L’abbé Huvelin, le célèbre et humble confesseur de l’église Saint-Augustin à Paris, – qui remonta notamment dans ses filets Charles de Foucauld-, prêcha souvent sur ce thème, s’étonnant de découvrir tant de tristesse chez les âmes qui, pourtant, recevaient tant de grâces de la part du Christ. Nous trouvons par exemple sous sa plume en 1885 : « Pax vobis ! Je vous donne la Paix ! Le bonheur n’est-il pas d’avoir cette Paix ?

La Paix que donne le Christ n’est pas celle que donne le monde, précaire, apparente, comme le sont ses consolations.

La vraie Paix, celle de l’âme, est douce, pacifique, joyeuse. Elle est refusée aux âmes qui jugent que l’on ne fait jamais assez pour elles… »

Nous confondons souvent les émotions et les sentiments avec ce qui est la fondation de notre âme, pensant qu’il suffit d’éprouver des frissons pour que l’être tout entier soit envahi par la joie. Nous sommes déçus lorsque la tension retombe et que nous nous retrouvons, une fois de plus, un peu désemparés. Dans toute joie non frelatée demeure un pan de fragilité car elle est toujours à la merci d’une épreuve imprévue. Seule la joie procurée par la foi en la Résurrection ne vacille pas. Elle survit au sein des ténèbres les plus épaisses. Durant la Semaine Sainte 1934 qu’il passa à l’abbaye de Clairvaux, Paul Claudel composa un puissant poème qui exprime parfaitement le surgissement de la joie du cœur des ténèbres, événement inattendu qui ne cessera de bouleverser le monde, même si ce dernier demeure indifférent ou hostile :

« Après les siècles révoltus, au milieu de cette éternité

à la fin autour de nous lumineuse et étalée,

  Parce que l’heure est venue tout à coup, surprise que l’on soit capable de parler§

 

  Ce n’est point une parole humaine, c’est le triomphe,

la vendange énorme de toutes les étoiles dans le ciel !

  C’est la terre délivrée vers Dieu coup sur coup qui

pousse cet aboiement solennel !

(…)

  C’est le chaos du monde avec le péché dans une étreinte

inextricable

  Qui sur son visage tout à coup a ressenti l’impression

de ces lèvres ineffables !

 

  Vous qui dormez, ne craignez point, parce que c’est

vrai que J’ai vaincu la mort !

  J’étais mort et je suis ressuscité dans mon âme et

dans mon corps.

 

  La loi du chaos est vaincue et le Tartare est souffleté !

  La terre qui dans un ouragan de cloches de toutes

parts s’ébranle vous apprend que Je suis ressuscité ! »

Puisque le chaos est mis à bas, c’est toute âme qui est délivrée ainsi, raison de la joie intérieure car la promesse commence déjà à produire ses effets en celui qui croit :

« Mon âme à son tour de la tombe s’arrache avec un

rire éperdu !

  Moi aussi j’ai vaincu la mort et je crois en mon sauveur

Jésus ! »

 Telle est l’attente de Dieu, avec gourmandise, -pour reprendre l’expression d’Arthur Rimbaud dans Une Saison en enfer. Il faut se souvenir de l’avenir, en quelque sorte-, pour connaître la joie, car le présent seul ne suffit pas à combler nos désirs d’éternité. Déjà lancés en avant, nous nous retrouvons dans la position de saint Jean qui, ayant couru jusqu’au Tombeau vide et attendant par respect saint Pierre ayant du mal à suivre sa jeunesse, demeure penché à l’entrée, regardant l’ordre qui règne en ce lieu d’où le Corps a disparu. A cet instant il croit. Nous regardons à notre tour et ce que nous voyons suffit à nous convaincre que nous sommes appelés à une identique résurrection.

Il suffit de contempler ce panneau du Retable d’Issenheim, chef-d’oeuvre de Matthias Grünewald au XV ième siècle. Le Christ est vainqueur de la pesanteur, triomphe sur toutes les servitudes de l’âme. Ce triomphe annonce le nôtre, que nous allons recevoir de Lui. « L’infini est au fond du couloir et la clef est sur la porte » note Léon Bloy

Michel Forest, fils aîné du philosophe Aimé Forest, plein de talent et jeune homme de foi, mort tragiquement à moins de vingt ans dans le massacre d’Oradour-sur-Glane, confessait dans son Journal : « Ce soir-là, ma chambre fut brusquement remplie d’une étrange et aveuglante lumière. C’était la première fois de ma vie que je voyais une lumière à la fois légère et brûlante : douce et intense, elle ressemblait à une musique jouée en sourdine et qui est en même temps pleine de force, de plénitude.(…) Elle dura quelque temps, éclairant de très diverses façons et de très diverses couleurs mes plus divers souvenirs ; puis, peu à peu, elle mourut. Je crois bien pouvoir toujours me réjouir, rien qu’au souvenir de cette lumière qui alors éblouissait mes souvenirs et éclairait les paroles que je commençais à dire et à écrire en quelques poèmes. Je crois bien toujours me réjouir du souvenir de la lumière, mais je me réjouis encore plus de l’espérance que j’ai du profond du cœur de revoir cette LUMIERE. » Il en fut enveloppé lorsqu’il périt, avec les femmes, les enfants et le curé du village, dans l’église incendiée par les SS. Une identique lumière porta sans doute le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame lorsqu’il sacrifia sa vie pour en sauver d’autres, par amour du Christ qu’il venait de découvrir et qu’il voulait servir en aimant la France.

La Résurrection habite notre cœur. A nous de la laisser croître afin qu’elle porte du fruit dès maintenant et qu’elle éclaire les ténèbres de ce monde.

 

P.Jean-François Thomas s.j.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.