Chretienté/christianophobie

Propos ordinaires

  La plupart de nos propos sont ordinaires, cela ne surprendra personne. Cependant nous devrions prêter attention aux mots et aux expressions que nous employons, ceci avec un soin identique à celui du poète. Le vocabulaire n’est pas neutre et il est d’autant plus trompeur en périodes de troubles et de flottement, comme notre époque le montre. Ce n’est pas par hasard si la révolution française s’est tant souciée de détricoter la langue française et son usage, sachant parfaitement que le désordre dans une langue conduit à l’abandon d’un esprit clair et construit, et donc à l’affaiblissement du sens critique, d’une pensée logique. Ce que nous énonçons oralement n’est jamais anodin et peut conduire aux pires persécutions, à la violence la plus gratuite, à la dégradation du lien avec autrui, à la diffamation. Notre Seigneur est direct en ce qui regarde l’usage de notre langue et de notre langage : « Et moi je vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère mérite d’être puni par le tribunal ; et celui qui dira à son frère : Raca (imbécile), mérite d’être puni par le Conseil ; et celui qui lui dira : Fou, mérite d’être jeté dans la géhenne de feu. » (Ev selon S.Matthieu V.23) Le Christ va beaucoup plus loin que la Loi ancienne et la menace n’est rien moins que la damnation éternelle.

Il n’est donc pas étonnant que tous les maîtres de la vie spirituelle, depuis les Pères du désert, aient tellement insisté sur la nécessité de contrôler sa langue, tel saint Jean de la Croix enseignant ses frères carmes : « Contrôler sa langue est de plus grand prix que de jeûner au pain et à l’eau. » Cette maîtrise commence par un usage approprié des mots mis à notre disposition dans notre langue maternelle. Si nous les utilisons à mauvais escient, dans un contexte qui ne sied pas, sans nous soucier des conséquences, alors toutes les interprétations seront possibles et nous commettrons bien du dégât, tout en semant la confusion dans les esprits. Voilà pourquoi la plupart des régimes politiques surveillent tant l’usage de la langue à leur profit et n’hésitent jamais à museler ceux qui continuent à avoir le souci du mot juste et donc de la vérité. La dernière loi votée en France à propos du « délit d’entrave » à l’avortement montre à quel point les pouvoirs qui ne sont pas sûrs de leur légitimité s’imposent autrement en essayant de modeler les mentalités par une surveillance rapprochée de ce qui est dit de façon transparente.

Nous vivons dans un temps où le oui ne peut plus être oui et le non ne peut plus être non. Tout doit être noyé dans des eaux troubles, jamais énoncé jusqu’au bout, suffisamment obscur pour tromper l’esprit qui cherche à savoir et à connaître. Le monde journalistique est un des instruments privilégiés pour accomplir cette œuvre qui est un doigt du démon. Il est dommage et attristant de constater que même les autorités religieuses cèdent bien souvent à ces sirènes et se perdent en logorrhées constantes, en discours insipides, en entretiens médiatiques qui ne servent plus la vérité mais qui plongent les lecteurs et les auditeurs dans la perplexité, dans la confusion  et dans le relativisme.

Les mots perdent ainsi de leur substance, de leur importance, à force d’être employés à tort et à travers, d’être pressés comme des agrumes tandis que les plus pervers et les plus malins nous font prendre des vessies pour des lanternes. Nous finissons, sans nous en rendre compte, par adopter un pli identique, par courber la tête devant la déconstruction établie en nouvelle règle d’or. Combien de fois, par exemple, n’entendons-nous pas désormais employer le mot « hommages » en des circonstances inappropriées telles que des messes de funérailles ? Là où l’Eglise, depuis toujours, prie pour le repos de l’âme du défunt, pour son salut, pour le pardon de ses péchés, une transformation perfide s’est opérée, faisant croire que le défunt n’a besoin d’aucune aide, qu’il a déjà rejoint un paradis assuré pour tous et qu’il suffit donc de multiplier les « témoignages » en sa faveur pour effacer toutes ses iniquités. Il reçoit des « hommages » dont il se passerait bien, lui qui, face à son Juge, attend plutôt des sacrifices et des intercessions. Prenons aussi l’usage du mot « victime », et ses dérivés comme « victimisation ». Nous sommes à mille lieues du Victima pascalis… Nous sommes dorénavant tous des victimes, au moins potentielles, car nous considérons que nous sommes sans cesse sujet à des injustices. Nous avons transformé également les héros de la patrie en victimes de guerres injustes.

Nous pourrions poursuivre longtemps, et de façon plus approfondie, la rédaction d’une liste de tous les mots que nous utilisons sans à propos. Une telle négligence dans le langage ne nous aide aucunement à peser nos mots lorsqu’il s’agit de défendre la vérité ou de discerner entre le bien et le mal. Nous sommes souvent comme des enfants bafouillant, ne sachant plus comment exprimer ce que nous pensons vraiment, plutôt tentés de suivre le mouvement et de copier ce qui est présenté comme la nouvelle norme en vigueur.

Notre malheur n’est pas absolu, grâce à Dieu, puisque nous sommes chrétiens et que nous pouvons tourner nos regards vers les modèles d’en-haut. Souvenons-nous que la Bienheureuse Vierge Marie ne s’est pas payée de mots, qu’Elle a toujours su parler au juste moment et garder le silence le reste du temps en méditant les gestes et la Parole de Dieu dans le tréfonds de son Cœur. Le poète aura donc le dernier mot, pour cette fois encore :

« Mais déjà l’aube blanchit sur le désert, de ce jour qui ne finira plus,

Le point de notre premier jour chrétien, l’an Premier de la grâce et de notre salut !

Ici-bas et ci-après Dieu est avec nous pour toujours,

Pour tant que nous serons à lui, et pas même ! car le propos en nous est court.

Et tout de suite nous allons refaire le mal, mais nous avons un recours

A ce cœur dans le tabernacle qui est si faible pour nous et si plein d’amour !

C’est vraiment le jour de Noel tout d’or pur qu’aucun mal ne corrode.

Demain puisqu’il le faut, nous servirons le cruel Hérode,

Reprenant l’outil de l’artisan et le siège de l’employé.

Moi, j’habite la joie divine, comme Joseph le charpentier,

Voyant à côté de moi ce petit enfant, qui est Notre Seigneur,

Et Marie, notre mère, qui ne dit rien, et conserve ces choses en son cœur » Paul Claudel, Corona Benignitatis Anni Dei, Chant de marche de Noël.

 

Il est temps, peut-être, de transformer nos propos ordinaires en contemplant la Mère et l’Enfant dans leur face à face silencieux.

 

P.Jean-François Thomas s.j.

S.Melchiade

                   

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