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Les fondamentaux de la restauration (7) – Chap. 4 : Prospérité et décadence des peuples

Les fondamentaux de la restauration – 7

Mgr Henri Delassus, L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État, Société Saint-Augustin, Lille, 1911.

Chapitre IV – D’où vient la prospérité des peuples et d’où leur décadence

Continuons l’exploration des principes qui régissent la restauration d’une société saine :

« Aucune société ne peut subsister sans l’assistance mutuelle ; secours des grands aux petits, services des petits aux grands : et c’est chose incontestable que, pour que cette assistance mutuelle soit efficace, pour qu’elle puisse faire régner la paix et la prospérité dans la société, elle ne doit pas être occasionnelle, mais constante, et que pour être constante, elle doit être organisée socialement. On ne l’a point toujours compris, pas plus au sein de la chrétienté que dans l’antiquité païenne ; et toujours la paix sociale et les biens qui en découlent ont suivi les fluctuations qu’a subies la fidélité aux devoirs réciproques[1]. »

Notons l’ambiguïté de la dernière phrase qui dénote un certain esprit du début du XXe siècle, un peu socialisant : mal compris on pourrait croire à l’appel d’une création un peu socialiste. Mais pas du tout : « organisé socialement » devrait plutôt être remplacé par « inscrit dans les structures de la société via les corps intermédiaires, et toutes les sociétés naturelles qui entretiennent cette assistance naturelle se fondant d’abord sur les liens charnels et naturels, et sublimés ensuite par la charité ». Les païens appliquaient cette assistance naturelle, pour les plus civilisés, mais sans charité, quoiqu’avec une parfaite justice : on tuait l’ennemi, mais le compatriote était protégé, même s’il était exécuté s’il menaçait la sécurité du groupe. C’est l’effet bouc-émissaire en un certain sens, qui se retrouve d’ailleurs dans le retour d’un ordre aveugle avec la crise du coronavirus et les effets de panique, remettant au goût du jour un aspect de la nature humaine : faire passer le groupe avant l’individu, chose naturelle (mais qui aujourd’hui s’applique de façon désordonnée sur des menaces fausses d’une part, et surtout dans le désordre qui oublie que si la cité et son bien commun passe avant le bien particulier, c’est bien parce que le bien particulier ne peut s’accomplir que s’il jouit du bien commun. N’a aucune raison d’exister un pseudo « bien commun » en soi, pour lui-même, qui nie l’individu et les sociétés naturelles intermédiaires comme la famille, tel que nous le voyons dans les sociétés totalitaires, les révolutions type françaises et les régimes contemporains).

Tout est en fait avant tout un tissu d’obligations mutuelles :

« Avec l’oubli de ces obligations est venue la décadence. Toujours et partout, le principe de cette décadence s’est trouvé d’abord dans l’aristocratie. Lorsqu’elle a négligé ses devoirs envers ses clients ; lorsqu’elle a cessé de leur porter affection dans son cœur, et par suite cessé de leur prêter assistance et protection, les sentiments qui faisaient l’autorité des patrons se sont affaiblis et ont fini par s’éteindre dans le cœur de leurs inférieurs. Alors une aristocratie moins noble a succédé à une aristocratie plus noble, car les peuples ne sont jamais sans aristocratie[2]. »

Ces obligations sont multiples évidemment, et un certain nombre sont issues de l’histoire, comme les privilèges par exemple, qui n’existaient que du fait de certaines obligations : ces obligations oubliées, les privilèges peuvent commencer à devenir scandaleux, et la décadence se mettre en marche. Ceci est applicable à de nombreux phénomènes de décadence : et cette décadence est perverse. Pourquoi ? Car elle a tendance à faire croire que c’est le privilège qui est en cause, alors que pas du tout : c’est la faute de celui qui ne respecte plus son obligation, et c’est tout. Là, le roi intervient et fait justice, pour remettre le fauteur dans son devoir, ou retirer le privilège en question.

C’est un peu comme dire que par ce qu’un père bat ses enfants là, tous les pères et la paternité en soi est condamné.

Mais en fait c’est exactement ce que fait la modernité à tout va : elle prend l’exception, et condamne le bon principe, sans jamais chercher à rétablir la justice en rappelant le père à son obligation par exemple – chose qu’elle ne peut plus faire puisqu’elle a supprimé le père lui-même : il n’y a plus de justice en modernité !

D’où la nécessité absolue de la restauration !

Néanmoins, la barbarie de nos temps ne doit pas nous décourager, car c’est le temps de l’éclosion des saints :

« Ce siècle et le suivant, qui apparaissent comme les plus barbares de tous, sont l’époque où les saints fleurissent en plus grand nombre et exercent l’action la plus décisive sur l’orientation de notre société. Aussi M. Godefroy Kurth a-t-il pu dire, dans ses Origines de la civilisation moderne : « En moins d’un siècle, toute la scène du monde est renouvelée. Ce sont de nouveaux acteurs qui la remplissent, c’est un autre drame qu’ils jouent.

Dieu avait jeté sur notre sol, occupé depuis quatre mille ans par des barbares, des populations jeunes et ouvertes aux nobles inspirations de l’Église qui les attendait pour faire leur éducation.

« Il suffit d’ouvrir les yeux, dit encore M. Kurth, pour voir avec quelle force les peuples barbares étaient entraînés par les meilleures tendances de leur nature dans le sein de l’Église catholique », alors que l’arianisme les sollicitait. Et ces sauvageons, pleins de passions païennes, mais aussi pleins de sève et de vigueur, l’Église les entait sur la vigne plantée par le divin Sauveur. »

« Sous les auspices de l’Église, elles apprirent à connaître et à pratiquer les devoirs envers le prochain, et la charité commença à établir chez nous son empire. Toutes les feuilles d’actes d’émancipation, que nous ont léguées les premiers siècles du Moyen Âge, attestent la pensée religieuse qui les a dictées : « Il ne faut pas retenir dans les chaînes ceux que le Christ a rendus libres par le baptême, parce qu’il n’y a pas de différence de condition à ses yeux, mais qu’on est tous unis et égaux devant lui[3].  »

Ce survol historique concis montre bien toute la puissance de la foi chrétienne à civiliser même les semences les plus brutes : ce thème est classique, mais très vrai. Les grandes civilisations païennes incarnaient avant tout une justice de fer, mais jamais la charité n’existait, parfois de la mollesse qui pouvait être prise pour un semblant de « charité », mais rien à voir avec la charité chrétienne sacrificielle. Au passage, Kurth reste encore aujourd’hui l’historien de référence sur l’histoire des francs : beaucoup a été fait depuis, mais il est le fondateur des études contemporaines sur le sujet. A l’époque de l’écriture du livre de Mgr Delassus, c’était la pointe de la recherche, ce qui montre son érudition. Notons aussi à quel point il avait vu que les mauvais principes inscrits dans la société allaient donner de mauvais dans le siècle, alors même que les guerres mondiales ne s’étaient pas encore produites, et que l’illusion de la puissance brute pouvait tromper les regards mêmes les plus acérés.

Mgr Delassus voie l’apogée de l’histoire de France au treizième siècle, c’est très vrai :

« Nous voyons ici reparaître, mais épurées et sanctifiées, les relations sociales que nous avons admirées dans la clientèle romaine et la clientèle hellénique. Elles envelopperont toute la société comme dans un immense réseau, non seulement de grands feudataires à petits seigneurs et de seigneurs à vassaux, mais aussi de patrons à ouvriers. On sait la belle législation qu’Étienne Boileau donna aux corporations ouvrières au XIIIe siècle.

Ce treizième siècle fut l’apogée de l’aristocratie féodale, et de la grandeur de la France. Elle avait alors fondé le territoire et créé le génie français, fait avant tout de générosité. »

« Elle eut d’ailleurs le malheur d’arriver en même temps que la Renaissance, d’être plus tard saisie par l’absolutisme royal et enfin de se sentir inoculer le venin philosophique.

Néanmoins la France pouvait encore se glorifier d’elle et elle fil beaucoup pour la grandeur du pays en tous sens[4]. »

Le génie français s’incarnait néanmoins avant tout dans les traditions familiales fortes et solides, saintes et renouvelées : oui, cette restauration permanente ne peut pas laisser indifférent. Parvenir sur des générations et générations à produire des héros et des saints, avec tout le soi-disant « hasard » de la génétique, c’est une performance donnée par la grâce de Dieu. En France, effectivement, nous n’avons pas seulement de grandes familles postiches, mais des familles, qui malgré des hauts et des bas, renouvellent de grandes choses de siècles en siècles, ce qui est exceptionnel : il est « facile » de faire de grandes choses sur une vie, voire sur quelques générations, mais sur des siècles, c’est rare, très rare. En général, les familles anciennes des pays païens s’entèrent dans une sorte de sacralité confortable où elles ne font plus rien ; ne faisant plus rien, elles peuvent durer. Ce n’est pas le cas en France, et nous devons restaurer de telles familles dans nos rangs :

« Elle se recrutait d’une manière continue parmi les familles qui s’élevaient par de longues traditions de travail et de vertus jusqu’à atteindre la générosité d’Âme qui fait la noblesse. Lorsqu’il n’y avait d’autre source de richesse que la culture, toute famille riche n’était riche que parce qu’elle s’était peu à peu ennoblie dans ses sentiments par la longue pratique des vertus familiales, et dès lors elle pouvait être anoblie. C’était une famille ancienne, respectable, une bonne famille, selon l’expression reçue. Il lui avait fallu pour cela éduquer et éduquer de mieux en mieux une longue suite de générations ; fallu que, dans cette suite, la défaillance ne se fût produite à aucun des anneaux de la chaîne, car alors tout était à recommencer. Comme le dit M. Blanc de Saint-Bonnet : « Les siècles venaient se poser comme autant de fleurons sur sa couronne, et c’est la main du temps qui s’avançait pour la sacrer[5]. »

Nous trouvons encore cette particularité de la noblesse française, qui avec le « noblesse oblige » était souvent très ancrée dans sa terre et ses gens : ce sont les nobles qui ont passé les âges. Ils étaient la tête de leur petit corps local : a contrario les déserteurs de leurs campagnes n’ont pas eu la même destinée :

« C’est ce qui explique, en partie du moins, ce qui se passa dans les campagnes. On peut observer que partout où les propriétaires fonciers avaient conservé le contact avec leurs tenanciers, l’antagonisme des classes ne s’est pas manifesté. Témoigne ce qui s’est fait en Vendée, en Anjou, en Poitou, en Bretagne et en Normandie. Partout au contraire où les seigneurs ont administré leurs biens par l’intermédiaire d’intendants et où, par suite, ils étaient inconnus de leurs fermiers, partout, en un mot, où a été perdu le contact entre les riches et les pauvres, l’antagonisme social s’est révélé avec une grande violence. Taine a établi ce fait dans plusieurs passages de ses écrits. »

Ça ne s’est pas arrangé aujourd’hui…

« D’après M. le vicomte d’Avenel, les richissimes d’aujourd’hui, en France, sont douze fois plus nombreux que les plus riches personnages de l’ancien régime ; ils sont dix fois plus riches ou vingt fois plus nombreux que les plus opulents princes des temps féodaux[6]. »

Tout cela est bien connu par les recherches historiques contemporaines : saluons l’assurance de l’auteur en son temps et sa clairvoyance.

Finissons sur une note tout à fait véridique :

« Pour un peuple, il y a pire que la destruction de ses armées et de ses flottes, la banqueroute de ses finances et l’invasion de son territoire ; il y a l’abandon de ses traditions et la perte de son idéal. L’histoire de tous les peuples est là qui nous l’atteste[7]. »

Un peuple ne se compose évidemment pas d’abord par son « poids économique » (absolu depuis la dernière guerre mondiale), ni par son poids militaire et géopolitique (absolu des XIXe et XXe siècles) mais par son histoire, ses traditions et sa raison d’être.

La France a une raison d’être claire : gesto dei per francos. Nous avons cette chance alors ne la laissons pas passer : beaucoup de pays qui semblent aller bien mieux que notre bon pays n’ont en fait pas de raison d‘être et, en ce sens, c’est peut-être un plus grand malheur pour eux.

Sachons être joyeux dans les épreuves et confiants dans les tribulations, sûrs de ce que nous sommes, bons sujets, bons chrétiens.

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France


[1] Mgr Henri Delassus, L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État, Société Saint-Augustin, Lille, 1911, p. 60

[2] Ibid., p. 62

[3] Ibid., p. 67-68

[4] Ibid., P. 69-70

[5] Ibid., p. 71-72

[6] Ibid., p. 74

[7] Ibid., p. 75


Dans cette série d’articles intitulée « Les fondamentaux de la restauration », Paul-Raymond du Lac analyse et remet au goût du jour quelques classiques de la littérature contre-révolutionnaire. Il débute cette série avec L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État, écrit par Mgr Delassus il y a désormais plus d’un siècle.

Mgr Delassus, L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État (1911) :

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