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Pour une monarchie de devoir divin, par Loïc Baverel

Dans l’imaginaire façonné par deux siècles d’éducation républicaine, l’expression « monarchie de droit divin » évoque un absolutisme arbitraire, autoritaire et désuet. Or, cette vision caricaturale dénature profondément la réalité du droit royal français tel qu’il s’est constitué dans l’histoire et la pensée classique. Redonnons à cette expression son sens véritable : non pas la licence de gouverner selon le caprice d’un seul, mais le poids d’un devoir, un office au service du bien commun, dans le cadre rigoureux et supérieur du droit naturel (droit découlant de notre nature, comme inhérents à l’être humain) et des lois fondamentales du Royaume.

Le « droit » en monarchie : une norme supérieure, non une simple volonté

Le terme de droit dans « droit divin » ne désigne pas un pouvoir de domination personnelle, mais une légitimité enracinée dans un ordre supérieur. Comme le rappelle Guy Augé, « le roi n’hérite pas, il succède » : il est désigné non par la volonté d’un homme ou d’un parti, mais par la loi — cette lex regia que la tradition française nomme « les Lois fondamentales du Royaume »(in Introduction à la légitimité, ouvrage collectif de l’UCLF, éditions Vive le Roy).

Ce droit a donc une portée religieuse et politique : il est fondé sur la transcendance, mais s’exerce dans un cadre juridique contraignant, au service d’une finalité morale, non d’un intérêt personnel.

Saint Thomas d’Aquin expose dans De Regno que le gouvernement est nécessaire à l’homme non pour le dominer, mais pour l’orienter vers sa fin propre, selon la raison. Le bon roi est donc celui qui gouverne secundum rationem, c’est-à-dire selon le logos, la loi naturelle qui dicte ce qui est juste et bon pour l’homme en tant qu’animal politique et rationnel (in De Regno, St Thomas d’Aquin).

Une souveraineté verticale, non une volonté populaire

Dans la monarchie traditionnelle, le pouvoir ne descend pas du peuple, mais vient de Dieu par l’intermédiaire d’une loi coutumière. Cela ne signifie pas que le roi est au-dessus des lois ; au contraire, il en est le premier serviteur. La Couronne de France est indisponible, non patrimoniale, et son détenteur est lié par un office : servir le bien commun en jugeant, arbitrant, et protégeant les corps intermédiaires de la société.

Aristote souligne que la meilleure constitution est celle où le bien de l’homme bon et celui du bon citoyen coïncident (Ethique à Nicomaque, Aristote, trad. de Jules Tricot). Saint Thomas, reprenant cette idée, voit dans la monarchie une forme de gouvernement ordonnée à l’unité et à la paix, fondée sur l’exercice de la raison droite par une autorité unique, stable, paternelle.

Un roi lié par des devoirs, non des privilèges

Le roi légitime ne gouverne pas pour lui-même. Il est tenu par le droit naturel, cette norme universelle inscrite dans le cœur de tout homme, comme le rappelle l’Épître aux Romains (II, 14-15) et abondamment commentée par saint Thomas. En ce sens, le pouvoir royal est fonctionnel : il a pour but de permettre aux sujets de vivre selon leur nature rationnelle, c’est-à-dire vertueusement (cf. Introduction à la légitimité)

Dans cette perspective, le roi est minister Dei ad bonum — ministre de Dieu pour le bien — et doit toujours chercher, par son action, la justice distributive et corrective, en respectant la subsidiarité des corps sociaux et la hiérarchie naturelle des fonctions.

Le roi ne décide pas ce qu’est le bien ; il en reçoit la norme, qu’il doit appliquer et faire respecter. Sa liberté n’est pas de l’ordre de l’arbitraire, mais de la responsabilité.

L’office royal : arbitre des corps intermédiaires

Le royaume de France s’est toujours distingué par la richesse de son tissu social organique. La monarchie capétienne ne repose pas sur l’atomisation des individus, mais sur la reconnaissance des réalités concrètes que sont les familles, les métiers, les provinces, les ordres. Le roi ne gouverne pas contre ces corps, mais au travers d’eux, en les arbitrant, les protégeant et les corrigeant quand il le faut.

La tradition politique française n’a jamais été absolutiste dans le sens moderne du terme. Le pouvoir royal est limité par les coutumes, la nature des choses, et surtout par la mission qui lui est assignée : assurer la paix et la justice, non imposer une utopie idéologique.

Rétablir la légitimité, non simplement la monarchie

La restauration monarchique que l’on peut espérer pour notre pays ne saurait se réduire à un retour nostalgique. Il s’agit de restaurer une légitimité, c’est-à-dire une forme politique conforme à la nature de l’homme, à l’histoire de la France, et à l’ordre du droit naturel. Cela implique de rejeter les catégories idéologiques modernes, issues du contractualisme, du volontarisme politique, ou du positivisme juridique.

La monarchie de devoir divin est celle qui, par sa nature même, rejette le culte de la volonté autonome, au profit de l’acceptation d’un ordre supérieur, intelligible et juste. Elle offre à la société non un arbitre lointain ou une tutelle intrusive, mais un sommet naturel de cohésion et de finalité.

Une monarchie garante des libertés concrètes

La monarchie française n’est pas un système figé ou abstrait : elle est l’incarnation d’une autorité qui protège les libertés réelles, enracinées dans la vie des communautés et dans la nature humaine. À rebours de l’illusion moderne d’une liberté conçue comme absence de toute norme, elle fonde la vraie liberté sur l’ordre juste, celui qui permet à chacun d’agir selon la raison, au service de sa famille, de sa cité, de son métier.

Dans une société ainsi ordonnée, les libertés ne sont pas des concessions précaires de l’État, mais des droits garantis par l’autorité royale elle-même. Le roi est, par sa mission d’arbitre des corps intermédiaires, le protecteur naturel des communes, des familles, des professions, des provinces, contre les abus du pouvoir central, les dérives bureaucratiques, les jeux de pouvoir entre les corps ou les pressions idéologiques.

Ainsi, à titre d’exemples, sous une monarchie traditionnelle :

  • l’artisan ne dépend pas d’un ministère, mais de son métier ;
  • l’école est enracinée dans sa mission éducative, non dans un programme idéologique centralisé ;
  • la propriété est défendue, non comme capital spéculatif, mais comme fondement d’autonomie et de responsabilité.

La monarchie française, en intégrant la subsidiarité comme principe structurant, reconnaît que le pouvoir royal n’a pas pour vocation de tout faire, mais de laisser faire chacun à sa place, selon sa fin propre, en intervenant uniquement pour garantir l’unité, la justice et la paix.

Conclusion : une liberté enracinée dans la justice

Redonner à la France une monarchie de devoir divin, ce n’est pas abolir la liberté, c’est en restaurer les conditions réelles. C’est substituer à la fiction de la souveraineté populaire — instable, idéologique et manipulable — une autorité stable, impartiale, organique, qui s’interdit d’absorber la société et s’emploie au contraire à la protéger.

C’est aussi permettre à chaque Français, dans sa vie quotidienne, d’exister dans un ordre où l’autorité est au service de la personne, où le bien commun n’est pas un slogan, mais une réalité vécue dans les familles, les paroisses, les métiers, les campagnes et les villes.

Le roi, parce qu’il ne doit rien à une majorité passagère, mais tout à la loi et à Dieu, peut être le protecteur des faibles contre les puissants, des enracinés contre les technocrates, des libertés concrètes contre les abstractions idéologiques.

Rétablir la monarchie, c’est réouvrir l’avenir.

Loïc Baverel, Président du Cercle d’action légitimiste

 

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