Idées

Lettre d’un émigré. L’histoire comme continuité

« Yukio Mishima parlait ainsi. Le lien entre le sabre et le chrysanthème est rompu. Il n’est plus ainsi possible d’avoir une culture prospère et de caractère. Il ne reste plus qu’une culture artificielle qui ressemble à ces fontaines mécaniques des places publiques. Moi je dirais que le point clef, vital, est la façon de rétablir la précieuse continuité de l’histoire dans le passé et entre passé et nous. »[1]

            Dans les milieux viciés de la pensée révolutionnaire, la continuité n’a pas la cote, c’est le moins que l’on puisse dire. Il est difficile d’imaginer ce qu’est la continuité en vivant en Raie Publique, car tout n’est que rupture, déchirement, négation, refus et impitoyable confrontation. Encore plus en histoire. Nous nous mourrons de faire de l’histoire selon la vision révolutionnaire qui refuse toute continuité, comme elle refuse toute beauté, toute vérité, toute essence. Vous savez, cette façon freudienne de vouloir tout salir. Tout n’est que bas intérêt, mauvaise intention, la possibilité du bien n’existe plus, tous tant dans le passé que maintenant sont présumés coupables et accusés préalablement, au cas où on pourrait commencer à s’émerveiller devant une divine beauté.

            La gangrène est dans un état bien avancé. Vous arrivez devant quelques chercheurs pour présenter votre projet de recherche et les premiers résultats que vous avez. Vous présentez l’objet clairement : trouver l’essence de la chose étudiée à travers l’histoire. Derrière un masque de professionnalisme scientifique, on vous répliquera que l’essence des choses n’existe pas, que si la recherche ne veut pas faire autre chose que se parer derrière l’étude des sources qui doit forcément se perdre dans les détails, et forcément se méfier foncièrement des choses dites, comme si a priori  l’auteur avait un intérêt caché et forcément sale. Si on n’arrive pas à la conclusion que tout changement est une révolution en soi, que toute action qui se veut héritière et continuatrice n’est rien d’autre qu’une trahison voilée et une manipulation des foules, alors on n’est pas un scientifique.  On se rend compte de la folie douce de cette fausse objectivité qui est la plus subjective qui n’a jamais existé.

            La continuité devient ainsi un des enjeux essentiels de l’interprétation historique. Si la continuité existe, alors l’interprétation révolutionnaire devient impuissante. Si nous ne pouvons nous couper de notre passé, alors il est impossible de fabriquer un nouvel homme, toutes pensées révolutionnaires pour le coup vraiment nauséabondes comme certains diraient. Mais alors, la continuité existe-t-elle ? Il suffit d’ouvrir les yeux et on s’en rend compte. Vous serez toujours les enfants de vos parents, quoiqu’il arrive, comme vos parents sont enfants des leurs et ainsi de suite jusqu’à Adam. La seule chose que vous pourrez faire c’est soit accepter la réalité de la continuité, et du lien avec le divin qui s’incarne dans ce lien de filiation, en faisant honneur à vos parents, et en marchant sur le chemin ouvert par les ancêtres vers la vérité. Soit, si vous êtes révolutionnaires, nier la réalité, abandonner vos parents, voire les tuer, faire semblant de les oublier et vivre comme si ce lien véritable n’existait pas. Vous serez malheureux alors, peut-être arriverez-vous à être à l’aise, dans un confort d’illusions et de vide, qui auront vite fait de s’envoler devant les épreuves et la mort. Si encore ce révolutionnaire qui refuse la continuité des choses ne faisait que se rendre malheureux, à la limite il ne ferait pas beaucoup de dégâts, mais là où il est criminel est qu’il attaquera souvent les autres qui acceptent la vérité, car pour se convaincre que l’on parle vrai quand on parle faux, il suffit de faire passer le faux pour le vrai chez tout le monde, et forcer d’abord les autres à ne plus dire le vrai, puis ensuite, comble de l’horreur, apprendre les choses aux fils à l’envers. Et cela est criminel. Sans compter la perte de la mémoire du passé que l’on perd par la négation de la continuité, puisqu’il faudra faire oublier que nous sommes liés à nos ancêtres par le sang, comme à nos voisins, et comme à Adam, ou ce premier homme qui existe dans toutes les religions et qui est bien notre ancêtre premier, qui n’existe que par un lien supérieur, celui, le divin, qui dans le lien est la continuité absolue dans le temps et l’espace. Sans compter cette perte irrémédiable même, on met dès le début l’enfant dans la contradiction avec la réalité de la continuité. On va lui faire croire que ses parents ne le sont pas, ou pas plus que d’autres, ou, pire, on leur mentira en affirmant sans vergogne qu’il a 25 mamans et 47 papas…

Le comble de l’absurdité consistera dans cette pseudo-volonté d’unité, qui ne peut pas exister sans continuité dans le temps et l’espace, sans Dieu, et sans la volonté d’interpréter l’histoire comme une continuité belle – et non celle pseudo-salissante qui veut déterminer toute l’histoire sur des principes faux en fonction des origines ou des classes sociales comme dirait le marxiste de base. Voilà ce qui gêne le plus dans la royauté ! Nous avons devant les yeux une famille dont la mémoire traverse plusieurs millénaires, si anciennement connue que l’on sent que l’on pourrait remonter jusqu’à Adam sans trop de difficultés, si sainte dans son histoire, en rappelant par de nombreuses œuvres, actions et paroles que l’homme fait le bien aussi, et quand il fait le mal, qu’il se repent. Oui, seul un Roi tout puissant, peut mais ne le fait jamais, choisir l’injustice. Des Saint Louis ou des Shôtoku montrent au contraire cette figure de Roi qui fait du bien, sans que cela ne lui rapporte rien puisqu’il a tout sur cette terre, l’honneur, l’aisance. Au contraire, rien de plus magnifique que les Rois qui se dépouillent, sont frugaux, comme l’est traditionnellement la famille royale nipponne, s’imposent des pénitences puissantes pour racheter leur peuple, pour se racheter pour éviter la malédiction de leur peuple.

Le duc d’Anjou, le Tennô Heisei, sont les descendants de tous leurs ancêtres, depuis les saints jusqu’aux princes déviants, dont le mal même est racheté par leur pénitence, et la pénitence de toute leur famille et de leur serviteur. Cette continuité vers le passé permet de continuer vers l’avenir, et cette continuité vers le divin, en haut, permet la continuité sur cette terre, entre nous et avec la nature, dans la réalisation divine sur terre.

Paul de Beaulias


[1]    Akinori TAKAMORI (Collectif), Problème Yasukuni (靖国問題), Tôkyô, Seirindô, 2011 p.58, « 三島由紀夫は、菊と刀の連携が立たれてしまった。従って豊かな文化の音色が流れてこない。まさにプラザの噴水のような疑似文化しかないというふうに指摘しましたが、私は過去との連続性、歴史の連続性をいかにしてもう一度回復するかが大事だと思います。 »

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